Ferdinand Tönnies (1855-1936), "Gemeinschaft und
Gesellschaft" (1887) - Georg Simmel (1858-1918), "Philosophie des Geldes" (1900), "Die Großstädte und das Geistesleben" (1903) - Max Weber (1864-1920), "Die protestantische Ethik und der Geist
des Kapitalismus" (1904-05) - Ludwig Meidner (1884-1966), "Ich und die Stadt" (1913) - .....
Last update: 31/11/2016
En 1845, Marx et Engels dans leurs "Thèses sur Feuerbach" présentent une conception matérialiste de l'histoire : le moteur du changement social, ce sont les conditions économiques, non les idées. Les pionniers de la sociologie tentent, quant à eux, de comprendre et d'expliquer les facteurs qui ont façonné la société moderne. Leurs intuitions s'élaborent dans un nouveau monde marqué par un "objet" qui se voient et se ressent, "la foule".
Pour Durkheim, le monde moderne résulte de la division du travail qui a accompagné l'industrialisation. En disciple d'Auguste Comte, Durkheim considère qu'une société a besoin de consens pour subsister et que le consensus suppose qu'on se réfère à des croyances absolues. A partir de là, il distingue deux formes de solidarité sociale, la solidarité "mécanique" et la solidarité "organique". Dans une solidarité mécanique, les membres de la collectivité adhèrent aux mêmes valeurs parce qu'ils reconnaissent le même sacré, l'individu en tant que tel n'existe pas. Dans une collectivité organique, le consensus se réalise par différenciation des individus, qui remplissent chacun leur fonction propre et sont néanmoins indispensables à la vie de la collectivité. Les sociétés modernes sont caractérisées par la disparition de la "solidarité par similitude" au profit d'une différenciation croissante des fonctions. D'où une problématique de maintien de la cohérence de ce type de société, et la crise éventuelle, qui peut survenir, est essentiellement dû à l'érosion des morales traditionnelles fondées sur la religion. Durkheim voyait alors dans la nouvelle science du social, le moyen de régénérer la société en lui redonnant par l'éducation un consensus approprié aux exigences de l'esprit scientifique.
Max Weber raisonne différemment. Pour Weber, le monde moderne résulte du processus de "rationalisation". Alors que pour Durkheim, le social est la réalité première, Weber tente de reconstituer le tout de la société à partir des relations entre individus. La caractéristique des sociétés modernes est de privilégier l'action rationnelle par rapport à un but, soit d'optimiser les rapports moyens-fins : l'activité de l'entrepreneur capitaliste en fournit un bon exemple. Le monde moderne est donc sur la voie d'une organisation de plus en plus bureaucratique et rationnelle : les progrès de la modernité s'accompagnent d'une extension de la sphère d'organisation rationnelle et anonyme. Le monde devient "désenchanté", il est la proie de la rationalité instrumentale, devient un "monde administré" (Marx Horkheimer). Max Weber est fondamentalement pessimiste et craint que les progrès de cette rationalisation ne tendent à faire disparaître tout choix personnel, toute conscience de la responsabilité individuelle : désenchantement du monde, déshumanisation, extension sans limite de la bureaucratisation, jeux de la domination constellent ses propos comme des anticipations du monde à venir. Quant à Ferdinand Tönnies (1855-1936), contemporain de Max Weber et d'Émile Durkheim, il prophétise quelque part que la société moderne à venir sera économiquement certes plus efficace, mais psychologiquement déprimante, et que le désir d'un retour à une forme de communauté ne disparaîtra jamais. Enfin Georg Simmel va porter son attention sur les effets de la vie moderne sur les individus..
- Ludwig Meidner (1884-1966), "Ich und die Stadt" (1913) -
"Notre époque est caractérisée par la rationalisation" - La sociologie allemande se développe dans un contexte économique et social en décalage par rapport à la France ou la Grande-Bretagne : l'entrée dans l'ère industrielle y est plus tardive, mais lorsque les organisations et moyens de production sont en place, les progrès sont alors rapides et spectaculaires. La longue tradition d'organisation prussienne et l'abondance des ressources permet d'ériger en un temps record une société industrielle performante et la modernité entre avec fracas dans le tissu social. Max Weber construit sa réflexion en tenant compte de l'apport des théories de Marx et en particulier l'idée que la société capitaliste qui vient brutalement de s'imposer, est par nature dépersonnalisante et aliénante. Mais il rejette toute interprétation matérialiste qui ne prend pas en compte la culture et les idées. A Durkheim, qui recherche des "lois universelles régissant les sociétés, et qui considère que la science de l'homme doit être construite à l'exemple des sciences de la nature, Max Weber rétorque que l'homme que la sociologie tente d'étudier un être doué de conscience, un être agissant, et qu'il s'agit donc non pas de vouloir expliquer les faits humains par des propositions plus ou moins vérifiables, mais de "comprendre" le sens subjectif que les hommes donnent à leurs conduites : la sociologie de Max Weber sera donc une "science compréhensive" (Verstehen)...
Max Weber (1864-1920)
Weber naît à Erfurt dans une famille protestante aisée et cultivée, étudie le droit, l'histoire, la philosophie, la théologie aux universités de Heidelberg,
Berlin et Göttingen. Il débute sa carrière de professeur à l'université de Berlin en 1893, puis enseigne à Fribourg et Heidelberg. En 1907, il se retire pour se consacrer uniquement à la science.
Il fait partie de la délégation allemande à Versailles en 1919 et participe à la commission chargée de rédiger la Constitution de Weimar. Contemporain d'Émile Durkheim, remarquable juriste,
brillant économiste, historien renommé, Max Weber fait aussi partie des fondateurs de la sociologie moderne, et se propose "de comprendre par interprétation l'activité sociale et par-là
d'expliquer causalement son développement et ses effets ". Son œuvre maîtresse, "l'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme", rayonne depuis un siècle sur l'histoire des idées et
l'ensemble de ses oeuvres n'ont cessé d'influencer d'une manière déterminante l'évolution de la sociologie dans tous les pays : Sociologie de la religion (1920) et Économie et société (posthume,
1922) et deux importantes conférences, « la Science, profession et vocation » (1917) et « la Politique, profession et vocation » (1919), exposent la problématique dont est issu l'ensemble de
cette œuvre.
Ce n'est qu'en 1946 que Charles Wright Mills et Hans Heinrich Gerth exposeront au public anglophone les idées de Max Weber en publiant "From Max Weber: Essays in Sociology"...
Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus
(1904-05, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme)
Max Weber opère donc d'abord une séparation radicale entre le monde de l'action et le monde de la pensée ou de la connaissance. Il fonde son approche
du monde de l'action sous l'angle de la rationalité : comprendre un acte, c'est comprendre sa rationalité par rapport à sa fin. De plus, la sociologie de Weber entretient un rapport
étroit avec l'histoire. Il s'intéresse explicitement au comportement vécu des acteurs sociaux, entend comprendre les hommes tels qu'ils ont été, tels qu'ils ont agi et pensé, et donc
comprendre les valeurs auxquelles ils ont adhéré. C'est ainsi que dans "l'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme", Weber soutient l'idée que le capitalisme naquit au XVIe siècle, dans les
milieux calvinistes, que la morale puritaine favorise la recherche du profit, parce que celui-ci est perçu comme le signe de la bénédiction divine : la réussite économique est la marque d'une
vocation. A contrario, le système de valeurs catholiques qui forge la mentalité de l'occident chrétien est un obstacle au développement de ce capitalisme : il valorise de la pauvreté,
la charité, critique le prêt à intérêt, etc.
"Dans nos recherches sur les rapports entre l'éthique des vieux protestants et le développement de l'esprit capitaliste, nous partons des créations de
Calvin, du calvinisme et des autres sectes puritaines. Mais il ne faut pas en déduire pour autant que nous
nous attendons à rencontrer chez l'un des fondateurs ou des représentants de ces mouvements religieux,
comme but de l'effort de sa vie,- l'éveil de ce que nous appelons « esprit capitaliste », et cela en quelque sens que ce soit. Nous ne croyons
certes pas que la recherché des biens de ce monde, conçue comme une fin en elle-même, ait
jamais revêtu une valeur éthique pour aucun d'entre eux. Disons-le une fois pour toutes : pour
aucun des réformateurs - et parmi ceux-ci nous rangerons pour notre propos un Menno, un Fox, un
Wesley -les programmes de réforme morale n'ont jamais constitué la préoccupation dominante. Ces hommes ne
furent à aucun degré des fondateurs de sociétés pour la « culture morale », les représentants de
réformes sociales humanitaires ou d'idéaux culturels. Le salut des âmes - et lui seul - tel fut le pivot de leur vie, de leur action.
Leurs buts éthiques, les manifestations pratiques de leurs doctrines étaient tous ancrés là, et n'étaient
que les conséquences de motifs purement religieux. C'est pourquoi nous devons nous attendre à ce que les effets de la Réforme sur la culture, pour une
grande part -sinon, de notre point de vue particulier, la part prépondérante- aient été des conséquences
imprévues, non voulues, de l'œuvre des réformateurs -conséquences souvent fort éloignées de tout ce qu'ils s'étaient proposé
d'atteindre, parfois même en contradiction avec cette fin.
Ainsi la présente étude pourrait sans doute contribuer, pour sa modeste part,
à faire comprendre de, quelle façon les « idées » deviennent des forées historiques
efficaces. pour écarter tout malentendu sur le sens que nous attribuons ici à une telle efficacité
de motifs purement idéels, nous nous permettrons d'ajouter quelques remarques pour conclure cet exposé préliminaire. (...) Il est
hors de question de soutenir une thèse aussi déraisonnable et doctrinaire qui prétendrait que « l'esprit du capitalisme » (toujours au sens
provisoire où nous employons ce terme) ne saurait être que le résultat de certaines influences de la Réforme, jusqu'à affirmer même que le
capitalisme en tant que système économique est une création de celle-ci. Le fait que telle ou telle forme importante d'organisation
capitaliste soit considérablement plus ancienne que la Réforme en est une réfutation suffisante. Bien au
contraire, notre unique souci consistera à déterminer dans quelle mesure des influences religieuses ont contribué,- qualitativement, à formation d'un
pareil esprit, et, quantitativement, à son expansion à travers le monde ; à définir en outre quels sont les aspects
concrets de la civilisation capitaliste qui en ont découlé. En face de l'énorme enchevêtrement d'influences réciproques entre bases
matérielles, formes d'organisation sociales et politiques, teneurs spirituelles des époques de Réforme, force nous est de commencer par
rechercher si certaines « affinités électives » sont perceptibles entre les formes de la croyance religieuse et l'éthique professionnelle. En même temps, il nous faudra élucider, dans
la mesure du possible, de quelle façon et dans quelle direction le mouvement religieux,
par suite de ces affinités électives, a influencé le développement de la civilisation matérielle. Ce n'est que lorsque ce
point aura été déterminé avec une précision suffisante que nous pourrons tenter d'évaluer la part des motifs religieux dans les origines de la civilisation et ce qui revient à d'autres éléments.
(...)
L'un des éléments fondamentaux de l'esprit du capitalisme moderne, et non
seulement de celui-ci, mais de la civilisation moderne elle-même, à savoir : la conduite rationnelle fondée sur
l'idée de Beruf (« vocation ») est lié de l'esprit de l'ascétisme chrétien - c'est ce que notre exposé s'est proposé de démontrer. Si nous
relisons à présent le passage de Franklin cité au début de cette étude, nous verrons que les
éléments essentiels de l'attitude que nous avons alors appelée « esprit du capitalisme » sont précisément
ceux que nous avons trouvé être le contenu de l'ascétisme puritain du métier, mais dépourvus du
fondement religieux déjà fort affaibli chez Franklin. L'idée que le travail moderne est marqué du sceau de l'ascétisme n'est
certes pas nouvelle. Se borner à un travail spécialisé, et par suite renoncer à l'universalité
faustienne de l'homme, telle est la condition de toute activité fructueuse dans le monde moderne ; ainsi, de nos
jours, « action » et « renoncement » se conditionnent fatalement l'un et l'autre. Ce caractère foncièrement ascétique du
style de vie bourgeois - il serait plus à propos de parler d'absence de style - Goethe, au sommet de sa sagesse, a voulu lui aussi nous
l'enseigner, tant avec les Wandeijahre qu'avec la fin qu'il a donnée à la vie de son Faust. Cette connaissance avait pour lui le sens d'un adieu, d'un renoncement à un âge d'opulente et belle
humanité, lequel ne pourra pas davantage se répéter, dans le cours de notre culture, que la floraison
d'Athènes durant l'Antiquité.
Le puritain voulait être un homme besogneux - et nous sommes forcés de
l'être. Car lorsque l'ascétisme se trouva transféré de la cellule des moines dans la vie professionnelle
et qu'il commença à dominer la moralité séculière, ce fut pour participer à l'édification du cosmos
prodigieux, de l'ordre économique moderne. Ordre lié aux conditions
techniques et économiques de la production mécanique et machiniste qui détermine, avec une force irrésistible,
le style de vie de l'ensemble des individus nés dans ce mécanisme - et pas seulement de ceux que concerne
directement l'acquisition économique..."
"Le monde ne serait rempli que de ces petits rouages, de petits hommes collés à leur petit poste et qui n'auraient d'autre ambition que d'accéder à un poste supérieur." C'est dans "L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme" que Marx Weber introduit une notion qui connaîtra un succès considérable, sans par ailleurs aller au-delà d'un constat partagé, le "désenchantement du monde" (Entzauberung der Welt) : il traduit ici un processus de recul des croyances religieuses et magiques au profit de cette rationalité que portent la sécularisation et la modernité qui s'installent au début du XXe siècle. Certes la rationalisation et la prise de décision logique ont débouché sur le progrès économique et social mais, en contre-partie, a modifié la façon dont nous gérons la société et qui débouche sur une importance accrue de la bureaucratie dans toutes les organisations. Cette bureaucratie est quasiment inévitable, elle ne peut que continuer à croître et à s'étendre, mais alors, paradoxalement, alors que l'être humain semblait s'être libéré des normes sociales irrationnelles de la religion, le voici soumis à une nouvelle forme de contrôle et de normes qui risquent d'étouffer toute individualité. "Un mécanisme bureaucratique pleinement développé se comporte ainsi à l'égard des autres organisations exactement comme une machine à l'égard des types non mécaniques de production de biens." Le désenchantement est bien ce prix que nos sociétés modernes doivent payer pour les gains matériels que lui apporte la rationalisation bureaucratique..
L'efficacité bureaucratique a rompu toutes les interactions traditionnelles et nous a quasi-piégés dans la "cage d'acier de la rationnalité" (stahlhartes Gehäuse) : "... Le puritain voulait être un homme besogneux - et nous sommes forcés de l'être ("Der Puritaner wollte Berufsmensch sein, wir müssen es sein"). Car lorsque l'ascétisme se trouva transféré de la cellule des moines dans la vie professionnelle et qu'il commença à dominer la moralité séculière, ce fut pour participer à l'édification du cosmos prodigieux de l'ordre économique moderne. Ordre lié aux conditions techniques et économiques de la production mécanique et machiniste qui détermine, avec une force irrésistible, le style de vie de l'ensemble des individus nés dans ce mécanisme - et pas seulement de ceux que concerne directement l'acquisition économique. Peut-être le déterminera-t-il jusqu'à ce que la dernière tonne de carburant fossile ait achevé de se Consumer. Selon les vues de Baxter, le souci des biens extérieurs ne devait peser sur les épaules de ses saints qu'à la façon d' « un léger manteau qu'à chaque instant l'on peut rejeter » . Mais la fatalité a transformé ce manteau en une cage d'acier ("Aber aus dem Mantel ließ das Verhängnis ein stahlhartes Gehäuse werden).
En même temps que l'ascétisme entreprenait de transformer le monde et d'y déployer toute son influence, les biens de ce monde acquéraient sur les hommes une puissance croissante et inéluctable, puissance telle qu'on n'en avait jamais connue auparavant. Aujourd'hui, l'esprit de l'ascétisme religieux s'est échappé de la cage - définitivement? qui saurait le dire... Quoi qu'il en soit, le capitalisme vainqueur n'a plus besoin de ce soutien depuis qu'il repose sur une base mécanique. Il n'est pas jusqu'à l'humeur de la philosophie des Lumières, la riante héritière de cet esprit, qui ne semble définitivement s'altérer; et l'idée d'accomplir son « devoir » à travers une besogne hante désormais notre vie, tel le spectre de croyances religieuses disparues. Lorsque l' «accomplissement» [du devoir] professionnel ne peut être directement rattaché aux valeurs spirituelles et culturelles les plus élevées - ou bien, inversement, lorsqu'il ne peut plus être ressenti comme une simple contrainte économique - l'individu renonce, en général, à le justifier. Aux ÉtatsUnis, sur les lieux mêmes de son paroxysme, la poursuite de la richesse, dépouillée de son sens éthico-religieux, a tendance aujourd'hui à s'associer aux passions purement agonistiques, ce qui lui confère le plus souvent le caractère d'un sport .
Nul ne sait encore qui, à l'avenir, habitera la cage, ni si, à la fin de ce processus gigantesque, apparaîtront des prophètes entièrement nouveaux, ou bien une puissante renaissance des pensers et des idéaux anciens, ou encore - au cas où rien de cela n'arriverait - une pétrification mécanique, agrémentée d'une sorte de vanité convulsive. En tout cas, pour les «derniers hommes » de ce développement de la civilisation, ces mots pourraient se tourner en vérité - « Spécialistes sans vision et voluptueux sans cœur - ce néant s'imagine avoir gravi un degré de l'humanité jamais atteint jusque-là. » ..."
("Niemand weiß noch, wer künftig in jenem Gehäuse wohnen wird und ob am Ende dieser ungeheuren Entwicklung ganz neue Propheten oder eine mächtige Wiedergeburt alter Gedanken und Ideale stehen werden, o d e r aber - wenn keins von beiden - mechanisierte Versteinerung, mit einer Art von krampfhaftem Sich - wichtig - nehmen verbrämt. Dann allerdings könnte für die “letzten Menschen” dieser Kulturentwicklung das Wort zur Wahrheit werden: “Fachmenschen ohne Geist, Genußmenschen ohne Herz: dies Nichts bildet sich ein, eine nie vorher erreichte Stufe des Menschentums erstiegen zu haben.”..")
Essais sur la théorie de la science
(posthume, extraits de Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre, 1922)
Recueil de quatre essais publiés entre 1904 et 1917 comportant :
- “L'objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales ” (1904),
- "Études critiques pour servir à la logique des sciences de la culture ” (1906),
- “Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive ” (1913) ,
- “Essai sur le sens de la neutralité axiologique dans les sciences sociologiques et économiques ” (1917)
"Supposons qu'une jeune mère de fort tempérament se trouve énervée par des désobéissances de son enfant et qu'en bonne Allemande elle lui administre une gifle, sans égard pour la théorie contenue dans cette belle strophe de Busch : « La gifle est superficielle / seule la force de l'esprit / pénètre jusqu'à l'âme. » Supposons en plus qu'elle soit suffisamment « remuée par la pâleur de la pensée » pour s'inquiéter après coup, «pendant quelques secondes » soit de l'« opportunité pédagogique » ou de la « légitimité » de la gifle, soit au moins de la « dépense d'énergie » considérable déployée à cette occasion, ou - mieux encore - supposons que les cris de l'enfant éveillent chez le pater familias, convaincu comme tout Allemand de son intelligence supérieure en toute chose, y compris l'éducation des enfants, le besoin de faire à sa femme des remontrances sous certains points de vue « téléologiques ». Elle se mettra à réfléchir et trouvera comme excuse que si à ce moment-là elle n'avait pas été énervée, supposons-le, par la cuisinière, elle n'aurait jamais appliqué cette punition ou pour le moins « sous une autre forme », et elle sera finalement portée à faire à son mari cet aveu » - «Tu sais bien qu'en général je n'agis pas ainsi. » En disant cela, elle fait appel à ce que celui-ci sait par expérience de ses «motifs constants d' agir» qui, parmi le nombre prépondérant de toutes les constellations possibles en général, l'auraient amenée à un geste moins irrationnel. En d'autres termes, elle prétend que cette gifle constitue de son côté une réaction « accidentelle » au comportement de son enfant et qu'elle n'était pas déterminée par une cause « adéquate », pour utiliser par anticipation une terminologie que nous expliquerons dans un moment.
Ce simple dialogue conjugal a donc déjà suffi pour faire de cette « expérience vécue » un « objet » formé catégorialement, et, à l'image du bourgeois de Molière qui apprit à sa grande stupéfaction que pendant toute sa vie il avait parlé « en prose », cette jeune femme serait certainement tout aussi étonnée si un logicien lui apprenait qu'elle a fait une «imputation causale » à la manière de l'historien, qu'elle a formé à cet effet des jugements « objectifs de possibilités » et qu'elle a même opéré avec la catégorie de « causalité adéquate », que nous expliquerons bientôt - car devant le forum de la logique il n'y a pas de différence. Une connaissance réflexive, même de notre propre expérience vécue, ne saurait jamais être une véritable « reviviscence » ou une simple « photographie » du vécu, car l'« expérience vécue », en devenant « objet », s'enrichit toujours de perspectives et de relations dont on n'a justement pas « conscience » au moment où on la « vit ». La représentation qu'on se fait par le souvenir d'une action personnelle n'est en rien différente à cet égard de celle qu'on se fait d'un événement concret passé de la « nature» que nous avons vécu nous-même ou qui nous a été rapporté par d'autres. Il n'est sans doute pas nécessaire de commenter plus longuement la validité générale de cette assertion au moyen d'exemples plus compliqués et d'établir explicite ment, qu'à propos d'une décision de Napoléon ou de Bismarck, nous ne procédons pas autrement du point de vue logique que la mère allemande dé l'exemple précédent. Quant à la différence suivant laquelle l'action à analyser nous est donnée dans ce cas directement dans notre propre souvenir par son « côté intime », alors qu'il nous faut « interpréter » de l' « extérieur » celle d'un tiers, elle n'est, malgré un préjugé naïf, que de degré, en ce sens que les «matériaux » sont plus ou moins accessibles et complets...."
Économie et société
(Wirtschaft und Gesellschaft. Grundiss der verstehenden Soziologie, posthume, 1922)
"Economie et Société", publié après la mort de Weber, a été reconstitué par les éditeurs sous la direction de sa femme Marianne Weber et son texte remanié plusieurs fois lors des éditions allemandes successives.
Le Savant et le politique (1918)
Traduction de deux conférences prononcées en 1917 et 1919 à l'université de Munich, "Wissenschaft als Beruf" et "Politik als Beruf".
S'interrogeant sur le sens de la science, Weber pense qu'aujourd'hui la science n'est plus le chemin qui conduit à l'être véritable, au vrai Dieu ou au vrai bonheur. La science n'apporte aucune réponse à la question, "comment devons-nous vivre?" La science n'a pas de sens ni ne nous dit quoique ce soit sur le sens du monde. En fait, la science s'inscrit dans un mouvement plus général de rationalisation et d'intellectualisation, et par là revient au fameux "désenchantement" du monde. Le savant ne doit pas se comporter en prophète, "dans un amphithéâtre, aucune vertu n'a plus de valeur que celle de la probité intellectuelle."
Dans la seconde conférence, Weber définit l'Etat, non par les tâches dont il s'occupe, mais par le moyen d'action qui lui est propre, en l'occurrence la violence physique. L'Etat est une communauté humaine qui "revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime", visant à assurer une domination de l'homme sur l'homme. Evoquant la question de la "vocation politique", Max Weber reprend sa fameuse distinction entre l'éthique de la responsabilité, où ,l'on doit répondre de ses actes, et l'éthique de la conviction, dans laquelle on oriente son action vers des valeurs.
"La science est de nos jours une « vocation » fondée sur la spécialisation au service clé la prise de conscience de nous-mêmes et de la connaissance des rapports objectifs. Elle n'est pas une grâce qu'un visionnaire on un prophète auraient reçue en vue de dispenser le salut de l'âme, ou des révélations; elle n'est pas non plus partie intégrante de la méditation des sages et clés philosophes qui s'interrogent sur le sens du monde. Telle est la donnée inéluctable de notre situation historique à laquelle nous ne pouvons pas échapper si no-us restons fidèles à nous-mêmes. Et maintenant si vous posez à nouveau la question à la manière de Tolstoï en disant : « Étant donné la défaillance de la science, qui pourra nous donner une réponse à la question : que devons-nous faire et comment devons-nous organiser notre vie? », ou bien si vous posez le problème dans les termes que nous avons employés ce soir : « Quel Dieu devons-nous servir parmi tous ceux qui se combattent? devons-nous peut-être servir un tout autre Dieu, mais quel est-il? », -je vous dirai : adressez-vous à un prophète ou à un sauveur. Et si ce sauveur n'existe plus ou bien si son message n'est plus entendu, soyez certains que vous ne réussirez pas à le faire descendre sur terre tout simplement parce que des milliers de professeurs, transformés en petits prophètes privilégiés et stipendiés par l'État, essayent de jouer ce rôle dans un amphithéâtre. Par ce moyen vous ne réussirez qu'à faire une chose, à empêcher la jeune génération de se rendre compte de ce fait décisif : lé prophète, que tant de membres de la jeune génération appellent de tous leurs vœux, n'existe pas.." (Le métier et la vocation de savant).
Georg Simmel (1858-1918)
Né à Berlin, élève du grand historien allemand Theodor Mommsen, puis professeur de philosophie dont les idées furent peu partagées par les autorités de l'université de Berlin, malgré le soutien de Weber et de Tönnies, Simmel rejette la conception de Kant qui aboutit à maintenir comme un absolu les formes de la pensée, des catégories. Pour Simmel, il n'y a pas un "esprit" mais autant de conception du monde que d'individus. Et plus encore, il n'y a pas "une" philosophie, mais des contenus de pensée générés par des circonstances individuelles ou collectives, et qui n'ont donc de valeur que comme des témoignages historiques de l'humanité. Comment donc appréhender ces réalités sociales qui résultent d'une multitude d'actions individuelles, si ce n'est en s'appuyant des "formes", des constructions mentales : Simmel apparaît ainsi comme le fondateur de la "sociologie formelle". Il est assez proche de l' "idéal-type" qu'utilise Max Weber, mais aux antipodes d'un Durkheim qui entend dégager des sociologiques universelles. Par le biais de ces "formes", Simmel va tenter de rendre compréhensibles certaines situations sociales , mais il lui paraît inutile de chercher à reproduire une réalité qui reste inaccessible par sa complexité. Et plus encore, cette recherche de régularités sociales macroscopiques universelles est totalement sans intérêt. C'est avec cette démarche intellectuelle que Simmel construit sa fameuse "Philosophie de l'argent"(Philosophie des Geldes, 1900).
"Philosophie de l'argent"(Philosophie des Geldes, 1900)
"Die Ordnung der Dinge, in die sie sich als natürliche Wirklichkeiten einstellen, ruht auf der Voraussetzung, daß alle Mannigfaltigkeit ihrer Eigenschaften von einer Einheit des Wesens getragen werde: die Gleichheit vor dem Naturgesetz, die beharrenden Summen der Stoffe und der Energien, die Umsetzbarkeit der verschiedenartigsten Erscheinungen ineinander versöhnen die Abstände des ersten Anblicks in eine durchgängige Verwandtschaf, in eine Gleichberechtigtheit aller."
Simmel, dans cet ouvrage, entend répondre à deux questions fondamentales, comment l'échange monétaire entre les hommes a-t-il été rendu possible, quelles sont les conséquences de l'invention et de la généralisation de l'argent comme intermédiaire universel des échanges entre les hommes? Il engage ainsi une réflexion philosophique sur la culture, empreinte de cette nostalgie que l'on retrouve chez Oswald Spengler : Les hommes et les valeurs se sont effacés au profit des objets, de la quantité, la spécificité de l'argent est bien cette indifférence à toute valeur, ce n'est qu'un modèle de l'enchaînement des moyens et des fins.
« Il y a société, au sens large du mot, partout où il y a action réciproque des individus. Depuis la réunion éphémère de gens qui vont se promener ensemble jusqu’à l’unité intime d’une famille ou d’une ghilde du moyen âge, on peut constater les degrés et les genres les plus différents d’association. Les causes particulières et les fins, sans lesquelles naturellement il n’y a pas d’association, sont comme le corps, la matière du processus social ; que le résultat de ces causes, que la recherche de ces fins entraîne nécessairement une action réciproque, une association entre les individus, voilà la forme que revêtent les contenus. Séparer cette forme de ces contenus, au moyen de l’abstraction scientifique, telle est la condition sur laquelle repose toute l’existence d’une science spéciale de la société. Car il apparaît tout de suite que la même forme, la même espèce d’association peut s’adapter aux matières, aux fins les plus différentes. Ce n’est pas seulement l’association d’une façon générale qui se trouve aussi bien dans une communauté religieuse que dans une conjuration, dans une alliance économique que dans une école d’art, dans une assemblée du peuple que dans une famille, mais des ressemblances formelles s’étendent encore jusqu’aux configurations et aux évolutions spéciales de ces sociétés. Dans les groupes sociaux, que leurs buts et leurs caractères moraux font aussi différents qu’on peut l’imaginer, nous trouvons par exemple les mêmes formes de la domination et de la subordination, de la concurrence, de l’imitation, de l’opposition, de la division du travail, nous trouvons la formation d’une hiérarchie, l’incarnation des principes directeurs des groupes en symboles, la division en partis, nous trouvons tous les stades de la liberté ou de la dépendance de l’individu à l’égard du groupe, l’entrecroisement et la superposition des groupes mêmes, et certaines formes déterminées de leur réaction contre les influences extérieures. Cette ressemblance des formes et des évolutions qui se produit souvent au milieu de la plus grande hétérogénéité des déterminations matérielles des groupes, y révèle, en dehors de ces déterminations, l’existence de forces propres, d’un domaine dont l’abstraction est légitime ; c’est celui de l’association en tant que telle et de ses formes. Ces formes se développent au contact des individus, d’une façon relativement indépendante des causes matérielles (actuelles, singulières) de ce contact, et leur somme constitue cet ensemble concret qu’on appelle, par abstraction, société.
A vrai dire, dans les phénomènes historiques particuliers, le contenu et la forme sociale constituent en fait une combinaison indissoluble ; il n’y a pas de constitution ou d’évolution sociale qui soit purement sociale, et qui ne soit pas en même temps constitution ou évolution d’un contenu. Ce contenu peut être d’espèce objective : la production d’une œuvre, le progrès de la technique, le règne d’une idée, la prospérité ou la ruine d’un groupe politique, le développement du langage ou des mœurs. Il peut être aussi de nature subjective, c’est-à-dire concerner les innombrables parties de la personne que la socialisation renforce, satisfait, développe dans la direction de la moralité ou de l’immoralité. Mais cette pénétration absolue du contenu et de la forme, telle qu’elle se présente dans la réalité historique, n’empêche pas la science de les dissocier par l’abstraction; c’est ainsi que la géométrie ne considère que la forme spatiale du corps, qui, cependant, n’existe pas pour elle seule, mais toujours dans et avec une matière, laquelle est l’objet d’autres sciences. Même l’historien, au sens étroit du mot, n’étudie qu’une abstraction des événements réels. Lui aussi, il détache de l’infinité des actions et des paroles réelles, de la somme de toutes les particularités intérieures et extérieures les processus qui rentrent sous des concepts déterminés. Ce n’est pas tout ce que Louis XIV ou Marie-Thérèse ont fait du matin au soir, ce ne sont pas tous les mots de hasard dont ils ont couvert leurs résolutions politiques, ni tous les innombrables événements psychiques qui les ont précédés, rattachés à elles par une nécessaire liaison de fait, mais non par un rapport objectif, ce n’est pas tout cela qui entrera dans l’« histoire » ; mais le concept de l’importance politique sera appliqué aux événements réels, on ne recherchera et on ne racontera que ce qui lui appartient, ce qui, à vrai dire, en fait, n’a pas été ainsi réel, c’est-à-dire n’est pas arrivé selon cette pure cohérence intérieure et conformément à cette abstraction. De même l’histoire économique isole en quelque sorte tout ce qui concerne les besoins corporels de l’homme et les moyens d’y satisfaire de la totalité des événements, quoique, peut-être, il n’y ait pas un seul de ceux-ci qui n’ait, en réalité, quelque rapport à ces besoins. La sociologie comme science particulière ne procédera pas autrement. Elle abstrait, pour en faire l’objet d’une observation spéciale, les éléments, le côté purement social de la totalité de l’histoire humaine, c’est-à-dire de ce qui arrive dans la société - autrement dit, pour l’exprimer avec une concision un peu paradoxale, elle étudie dans la société ce qui n’est que « société ». ( "Comment les formes sociales se maintiennent", Article de l'Année sociologique, 1896-1897)
"Les grandes Villes et la vie de l'esprit" (Die Großstädte und das Geistesleben, 1903)
"Die tiefsten Probleme des modernen Lebens quellen aus dem Anspruch des Individuums, die Selbständigkeit und Eigenart seines Daseins gegen die Übermächte der Gesellschaft, des geschichtlich Ererbten, der äußerlichen Kultur und Technik des Lebens zu bewahren – die letzterreichte Umgestaltung des Kampfes mit der Natur, den der primitive Mensch um seine leibliche Existenz zu führen hat."
"Le citadin type se crée un organe protecteur contre le déracinement dont le menacent les courants divergents de son milieu externe". La révolution industrielle du XIXe siècle entraîne une forte urbanisation, et la ville porte en elle un nouvel environnement paradoxal, un moyen de s'affranchir des contraintes sociales traditionnelles mais aussi division et spécialisation du travail et nouvelles formes d'aliénation. Simmel tente de comprendre comment l'être humain de la cité parvient à maintenir son autonomie et la singularité de son existence. Face au rythme de cette nouvelle vie urbaine, le citadin doit réagir non plus avec le "coeur" mais avec "l'intellect", il doit ériger autour de lui un rempart d'indifférence affectée qui permet la survie sociale. Et c'est au détour de cette analyse que surgit la célèbre digression de Simmel sur la figure de l'étranger qu'il développera dans "Soziologie" (1908) : l' "étranger" est désormais une figure incontournable du paysage urbain qui s'installe, il est "celui qui vient aujourd'hui et qui reste demain", à la fois proche et éloigné, analysé par Simmel non comme un "individu" mais comme un "type social" (Exkurs über den Fremden, 1908).
"Les problèmes les plus profonds de la vie moderne découlent de la tentative de l'individu de maintenir l'indépendance et l'individualité de son existence contre les puissances souveraines de la société, contre le poids du patrimoine historique et la culture et la technique extérieures de la vie. L'antagonisme représente la forme la plus moderne du conflit que l'homme primitif doit exercer sur la nature pour sa propre existence corporelle. Le dix-huitième siècle peut avoir appelé à la libération de tous les liens qui ont grandi historiquement dans la politique, la religion, la morale et l'économie, pour permettre à la vertu naturelle originelle de l'homme, égale en chacun, de se développer sans inhibition; Le dix-neuvième siècle a pu chercher à promouvoir, outre la liberté de l'homme, son individualité (qui est liée à la division du travail) et ses réalisations qui le rendent unique et indispensable, mais qui le rend d'autant plus dépendant L'activité complémentaire des autres; Nietzsche peut avoir vu la lutte acharnée de l'individu comme la condition préalable à son développement complet, tandis que le socialisme a trouvé la même chose dans la suppression de toute concurrence - mais dans chacun d'eux le même motif fondamental était à l'œuvre, à savoir la résistance de l'individu à être nivelé, englouti dans le mécanisme socio-technologique..."
Ferdinand Tönnies (1855-1936)
"La communauté est par essence plus ancienne que ses sujets ou que ses membres".
Né à Riep (Schesweig), agrégé de philosophie de l'université de Kiel en 1881, il n'est âgé que de ving-deux ans lorsqu'il fit paraître son ouvrage le plus connu, "Communauté et Société", dans lequel il replace au devant de la réflexion la notion de "communauté", notion jadis familière aux philosophes de l’Antiquité et aux théologiens de l’époque médiévale. Partant du constat de la destruction du lien social liée à la montée de l’individualisme, Tönnies porte une vision qui influencera tant Max Weber que Georg Simmel. Mais la vision de Tönnies est très conservatrice, il déplore la disparition de la communauté au profit de la modernité, il revient à Weber de développer à partir de ses intuitions le rôle de la volonté et de l'intuition.
Par la suite, il devint président de la société allemande de sociologie (Deutsche Gesellschaft für Soziologie, 1909) avec Werner Sombart et Max Weber, et en 1933, son opposition au national-socialisme lui valut d'être déchu de la dignité de professeur émérite. Son itinéraire spirituel est remarquablement restitué dans "Die Philosophie der Gegenwart in Selstdarstellungen" (1822).
Dans "Communauté et société" (Gemeinschaft und Gesellschaft, 1887), Tönnies, le premier, propose une analyse des formes d'appartenance aux groupes et de leurs fondements en partant des conséquences au niveau humain du passage de l'ère préindustrielle à l'ère industrielle. Les liens de nature individuelle, fondés sur le sang, l'affection, le respect et la crainte de la communauté traditionnelle, ont été remplacé par des liens d'ordre rationnel fondés sur le contrat et l'intérêt de la société moderne. Et tout concourt pour prévoir une société future, certes économiquement plus efficace, mais psychologiquement déprimante. C'est dans ce cadre qu'il élabore donc sa célèbre distinction entre "Gemeinschaft" et "Gesellschaft", au fond entre société traditionnelle et société moderne. La Gemeinschaft ("communauté") décrit tout groupement "naturel", à forte dimension émotionnelle, fondé sur des liens objectifs (famille, ethnie, religion, appartenance villageoise, traditions, langue, références historiques...), et basée sur une "volonté organique". La communauté forme ainsi un tout homogène, un ensemble de consciences fortement dépendantes les unes des autres, une unité harmonieuse et spontanée où se réalise la fusion des membres, la communauté des traditions s’ajoutant à la communauté de sang, exprimant ainsi une morale "spontanée". La Gesellschaft ("société") est un groupement fondé sur le consentement et l'adhésion volontaire, un pur "produit de la pensée" (Gedankenprodukt), au fond une juxtaposition d’individus différents qui ne peuvent constituer une réelle unité que par suite d’un contrat ou d’un accord réfléchi. Le fait que cette repose désormais sur un lien rationnel et individualiste, permet de s'interroger sur sa solidité et sur l'organisation juridique qui le sous-tend, en comparaison du lien de solidarité ancré dans la Gemeinschaft.