Generación del 36 - Max Aub (1903-1972), "EI laberinto mágíco", "Campo cerrado" (1940),
"Campo abierto" (1941),"Campo de sangre" (1942), "Josep Torres Campalans" (1958), "Campo de los almendros" (1968) - Ramón J. Sender (1901-1982), "Requiem por un campesino español" (1953) -
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Last update: 01/15/2017
1936-1939, Espagne - La "Guerra civil" débute le 18 juillet 1936 - particulièrement meurtrière, cette guerre opposent près de 800 000 nationalistes et un nombre équivalent de républicains. Suivent l'assassinat le 19 août de Federico García Lorca par les milices franquistes, l'intervention des brigades internationales pour soutenir les Républicains en novembre, le bombardement de Guernica le 26 avril 1937, pour voir Franco s'imposer en 1939 avec la chute de Barcelone (26 janvier), l'internement de l'armée républicaine en France (5 février) et le blocage de la flotte à Bizerte (27 février). La dictature est instaurée le 1er avril 1939 dans un pays totalement ruiné : on dénombre plus d'un million de victimes (145 000 morts, 134 000 fusillés, des représailles inexpiables des deux côtés, 630 000 morts de maladie, plus de 400 000 exilés). Et de 1939 à 1944, plus de cent mille personnes seront exécutés et deux cent milles contraintes à l'exil...
(José García Narezo (1922-1994), Defensa de Madrid, 1937 . Arte y Guerra Civil Museu)
1939-1945 (posguerra) - L'autarcie et un alignement très partiel sur les puissances de l'Axe marquent cette période qui voit le régime franquiste écarter progressivement les phalangistes les plus radicaux au profit des conservateurs plus traditionnels...
La Retirada (janvier - février 1939) - l'émigration vers la France s'accélère après la bataille de l'Èbre et dans les mois suivants, devient massif après la chute de Barcelone le 26 janvier 1939 (jusqu'à 465 000 exilés). Mais cette émigration atteint aussi l'Afrique du Nord et l'instauration du régime de Vichy en 1940 accroît particulièrement les difficultés d'existences des républicains espagnols en France (12 000 républicains espagnols seront acheminés vers des camps de concentration ou de travail entre août 1940 et mai 1945). La Génération de 27 sera aussi dispersée non seulement en Europe mais aussi en Amérique, près de 20000 vers le Mexique, mais aussi l'Argentine, le Venezuela, la Colombie, Cuba et les Etats-Unis.. La police franquiste continuera à poursuivre après la guerre les opposants et la "posguerra" se poursuivra de 1945 au début des années soixante...
Les exilés....
Ramón J. Sender (1901-1982),
né à Chalamera (Huesca), est un précurseur du réalisme social; auteur reconnu de "Mister Witt en el cantón" (1935), qui évoque les temps anarchiques de la Première République, il doit s'exiler en 1939 au Mexique et s'installer définitivement aux États-Unis en 1949 pour occuper une chaire de littérature espagnole. Il y écrit nombre d'œuvres dédiées à la guerre civile, comme "Contraataque" (1938), "El rey y la reina" (1947), "Los cinco libros de Ariadna" (1957) et "Réquiem por un campesino español" (1960).
"Requiem por un campesino español" (1953, Requiem pour un paysan espagnol)
D'abord publié à Mexico, en 1953, sous le titre "Mosén Millán", puis rééditée à New York sous ce second titre en 1960, c'est l'un des romans les plus significatifs sur le thème de la guerre civile et des années qui la précédèrent dans les campagnes d'Espagne. Mosén Millán, un curé de village aragonais, attend dans son église l'heure de dire une messe de requiem. Un poulain qui hennit du côté de la place fait resurgir dans sa mémoire le souvenir du défunt, Paco du Moulin, fils d'une famille de paysans, depuis le jour où il l'a baptisé jusqu'à celui où, vingt ans plus tard, ses ennemis politiques, les cacíques du pays, l'ont fusillé. Le prêtre revoit Paco enfant de chœur, puis l'adolescent qui s'éloigne de lui pour se consacrer aux affaires de sa ferme, son mariage, les élections et les déchirements que suscitent au village les luttes sociales, les premiers crimes de la guerre civile. Paco doit se cacher; découvert, il se défend à coups de fusil; ses assiégeants font venir Mosén Millán pour parlementer avec lui, il se rend, on l'arrête, puis on le sort de sa prison pour le conduire au cimetière, où on l'exécute, après que le curé l'a confessé dans la voiture de ses justiciers transformée en confessionnal et dit "Ego te absolvo...". C'est un garçon hébété mais conscient de sa pureté et de son innocence qui a interrogé quelques instants plus tôt Mosén Millán au cours d'un dialogue d'une exceptionnelle beauté dramatique. Ce roman est sans doute le chef-d'œuvre de Sender ...
"El cura esperaba sentado en un sillón con la cabeza inclinada sobre la casulla de los oficios de réquiem. La sacristía olía a incienso. En un rincón había un fajo de ramitas de olivo de las que habían sobrado el Domingo de Ramos. Las hojas estaban muy secas, y parecían de metal. Al pasar cerca, mosén Millán evitaba rozarlas porque se desprendían y caían al suelo.
Iba y venía el monaguillo con su roquete blanco. La sacristía tenía dos ventanas que daban al pequeño huerto de la abadía. Llegaban del otro lado de los cristales rumores humildes.
Alguien barría furiosamente, y se oía la escoba seca contra las piedras, y una voz que llamaba:
—María... Marieta...
Cerca de la ventana entreabierta un saltamontes atrapado entre las ramitas de un arbusto trataba de escapar, y se agitaba desesperadamente. Más lejos, hacia la plaza, relinchaba un potro. «Ése debe ser —pensó mosén Millán el potro de Paco el del Molino, que anda, como siempre, suelto por el pueblo.» El cura seguía pensando que aquel potro, por las calles, era una alusión constante a Paco y al recuerdo de su desdicha.
Con los codos en los brazos del sillón y las manos cruzadas sobre la casulla negra bordada de oro, seguía rezando. Cincuenta y un años repitiendo aquellas oraciones habían creado un automatismo que le permitía poner el pensamiento en otra parte sin dejar de rezar. Y su imaginación vagaba por el pueblo. Esperaba que los parientes del difunto acudirían. Estaba seguro de que irían —no podían menos— tratándose de una misa de réquiem, aunque la decía sin que nadie se la hubiera encargado. También esperaba mosén Millán que fueran los amigos del difunto. Pero esto hacía dudar al cura. Casi toda la aldea había sido amiga de Paco, menos las dos familias más pudientes: don Valeriano y don Gumersindo. La tercera familia rica, la del señor Cástulo Pérez, no era ni amiga ni enemiga.
El monaguillo entraba, tomaba una campana que había en un rincón y, sujetando el badajo para que no sonara, iba a salir cuando mosén Millán le preguntó:
—¿Han venido los parientes?
—¿Qué parientes? —preguntó a su vez el monaguillo.
—No seas bobo. ¿No te acuerdas de Paco el del Molino?
—Ah, sí, señor. Pero no se ve a nadie en la iglesia, todavía.
El chico salió otra vez al presbiterio pensando en Paco el del Molino. ¿No había de recordarlo? Lo vio morir, y después de su muerte la gente sacó un romance. El monaguillo sabía algunos trozos:
Ahí va Paco el del Molino,
que ya ha sido sentenciado,
y que llora por su vida
camino del camposanto.
Eso de llorar no era verdad, porque el monaguillo vio a Paco, y no lloraba. «Lo vi —se decía— con los otros desde el coche del señor Cástulo, y yo llevaba la bolsa con la extremaunción para que mosén Millán les pusiera a los muertos el santolio en el pie.» El monaguillo iba y venía con el romance de Paco en los dientes. Sin darse cuenta acomodaba sus pasos al compás de la canción:
... y al llegar frente a las tapias
el centurión echa el alto.
Eso del centurión le parecía al monaguillo más bien cosa de Semana Santa y de los pasos de la oración del huerto. Por las ventanas de la sacristía llegaba ahora un olor de hierbas quemadas, y mosén Millán, sin dejar de rezar, sentía en ese olor las añoranzas de su propia juventud. Era viejo, y estaba llegando —se decía— a esa edad en que la sal ha perdido su sabor, como dice la Biblia. Rezaba entre dientes con la cabeza apoyada en aquel lugar del muro donde a través del tiempo se había formado una mancha oscura.
Entraba y salía el monaguillo con la pértiga de encender los cirios, las vinajeras y el misal.
—¿Hay gente en la iglesia? —preguntaba otra vez el cura.
—No, señor.
Mosén Millán se decía: es pronto. Además, los campesinos no han acabado las faenas de la trilla. Pero la familia del difunto no podía faltar. Seguían sonando las campanas que en los funerales eran lentas, espaciadas y graves. Mosén Millán alargaba las piernas. Las puntas de sus zapatos asomaban debajo del alba y encima de la estera de esparto. El alba estaba deshilándose por el remate. Los zapatos tenían el cuero rajado por el lugar donde se doblaban al andar, y el cura pensó: tendré que enviarlos a componer. El zapatero era nuevo en la aldea. El anterior no iba a misa, pero trabajaba para el cura con el mayor esmero, y le cobraba menos. Aquel zapatero y Paco el del Molino habían sido muy amigos.
Le prêtre attendait, assis dans un fauteuil, la tête inclinée sur la chasuble des offices de requiem. La sacristie sentait l'encens. Dans un coin, un bouquet de rameaux d'olivier restants du dimanche des Rameaux séchait. Les feuilles, d'une sécheresse extrême, semblaient métalliques. En passant près d'elles, mosén Millán évitait de les effleurer car elles se détachaient et tombaient au sol.
L'enfant de chœur allait et venait dans son surplis blanc. La sacristie avait deux fenêtres donnant sur le petit potager de l'abbaye. À travers les vitres parvenaient des bruits humbles.
Quelqu'un balayait avec rage ; on entendait le frottement sec du balai sur les pierres, et une voix qui appelait :
— Maria... Marieta...
Près de la fenêtre entrouverte, une sauterelle prise au piège dans les brindilles d'un arbuste tentait désespérément de s'échapper. Plus loin, du côté de la place, un poulain hennissait. "Ça doit être - pensa mosén Millán - le poulain de Paco du Moulin, qui erre comme toujours en liberté dans le village." Le prêtre ne pouvait s'empêcher de voir dans ce poulain une allusion constante à Paco et au souvenir de son malheur.
Les coudes sur les accoudoirs et les mains croisées sur la chasuble noire brodée d'or, il continuait à prier. Cinquante et une années à répéter ces prières avaient créé un automatisme lui permettant de penser à autre chose sans cesser de réciter. Son imagination errait dans le village. Il espérait que les parents du défunt viendraient. Il en était certain - ils ne pouvaient faire autrement - pour une messe de requiem, même non commandée. Il espérait aussi voir les amis de Paco. Mais là, le doute l'assaillait. Presque tout le village avait été l'ami de Paco, excepté les deux familles les plus aisées : don Valeriano et don Gumersindo. La troisième famille riche, celle de monsieur Cástulo Pérez, n'était ni amie ni ennemie.
L'enfant de chœur entra, prit une clochette dans un coin et, retenant le battant pour l'empêcher de tinter, allait sortir quand mosén Millán demanda :
— Les parents sont-ils venus ?
— Quels parents ? répondit l'enfant.
— Ne fais pas l'imbécile. Tu ne te souviens pas de Paco du Moulin ?
— Ah oui, monsieur. Mais on ne voit personne dans l'église pour l'instant.
Le garçon retourna dans le chœur, pensant à Paco du Moulin. Comment pourrait-il l'oublier ? Il l'avait vu mourir, et après sa mort, les gens avaient composé une complainte. L'enfant de chœur en connaissait des passages :
Ahí va Paco el del Molino,
que ya ha sido sentenciado,
y que llora por su vida
camino del camposanto.
Ce passage sur les pleurs n'était pas vrai - l'enfant avait vu Paco, et il ne pleurait pas. "Je l'ai vu - se répétait-il - avec les autres depuis la voiture de monsieur Cástulo, et je portais la burette avec l'extrême-onction pour que mosén Millán puisse oindre les mourants."
L'enfant de chœur allait et venait avec la complainte de Paco sur les lèvres. Sans s'en rendre compte, il adaptait ses pas au rythme de la chanson :
... y al llegar frente a las tapias
el centurión echa el alto.
Cette histoire de centurion lui évoquait plutôt la Semaine Sainte et les stations du chemin de croix.
Par les fenêtres de la sacristie arrivait maintenant une odeur d'herbes brûlées, et mosén Millán, sans cesser de prier, sentait dans cette odeur la nostalgie de sa propre jeunesse. Il était vieux, et atteignait - se disait-il - cet âge où le sel a perdu sa saveur, comme dit la Bible. Il priait à mi-voix, la tête appuyée contre ce pan de mur où, avec le temps, s'était formée une tache sombre.
L'enfant de chœur entrait et sortait avec l'allume-cierge, les burettes et le missel.
— Y a-t-il du monde dans l'église ? demanda encore le prêtre.
— Non, monsieur.
Mosén Millán se disait : "Il est tôt. D'ailleurs, les paysans n'ont pas fini le battage. Mais la famille du défunt ne pouvait manquer de venir."
Les cloches continuaient de sonner, lentes, espacées et graves comme il se doit pour les funérailles. Mosén Millán allongea les jambes. La pointe de ses chaussures dépassait de l'aube, au-dessus de la natte de sparterie. L'aube s'effilochait à l'ourlet. Les chaussures avaient le cuir fendu à l'endroit où elles pliaient en marchant, et le prêtre pensa : "Il faudra que je les fasse réparer." Le cordonnier était nouveau au village. L'ancien ne venait pas à la messe, mais travaillait pour le curé avec le plus grand soin, et le faisait payer moins cher. Ce cordonnier et Paco du Moulin avaient été de grands amis.
(...)
Juan Gil-Albert (1906-1994),
né à Alcoy (Alicante) est un essayiste et un poète ("Misteriosa presencia", "Candente horror") contraint à l'exil en 1939, au Mexique. Il retourne en Espagne en 1947 pour y mener une existence totalement retirée de toute vie publique, ponctuée d'une célèbre lecture en 1953 de son poème "Elegia a una de campo" (Valence), et d'une anthologie poétique en 1972 qui l'impose bien tardivement au public espagnol ("Fuentes de la constancia").
Max Aub (1903-1972),
poète et écrivain, eut un parcours des plus atypiques, français et allemand, né à Paris, allemand par son père et français par sa mère, vit en Espagne dès 1913 et acquiert la nationalité espagnole, écrit en espagnol (Luis Álvarez Petrena, 1934), combat pour la République, est déporté puis s'exile au Mexique (1942) où il écrit une oeuvre abondante et exubérante : une tétralogie sur la guerre civile, restée une référence tant il brosse avec minutie ces luttes fratricides et sanglantes ("El laberinto mágico",1943-1963: Campo cerrado, Campo de sangre, Campo abierto, Campo del moro), un roman sur l'avant-guerre, "Las Buenas Intenciones" (1959), un récit des plus barroques ("Qui n'a pas un jour de sa vie envie de tuer l'autre"), "Crimenes ejemplares" (1956) et, surtout, "Jusep Torres Campalans" (1958), son chef-d'œuvre, biographie imaginaire d'un peintre, où l'on retrouve du Picasso et toute la problématique de l'art contemporain du début du siècle. Il a fait partie de la délégation espagnole républicaine qui entrera en contact avec Pablo Picasso et lui commandera pour le compte du gouvernement républicain le fameux "Guernica", exposé le 12 juillet 1937 à Paris, à côté de la célèbre sculpture "La Montserrat" de Julio Gonzalez (1876-1942).
"Campo cerrado" (1940, Champ clos)
Cette œuvre, première partie de l'ouvrage "Le Labyrinthe magique" (EI laberinto mágíco), ouvre la trilogie consacrée par Max Aub à la guerre civile : "Champ ouvert", "Champ sanglant". Le personnage principal, Rafaël Lopez Serrador, originaire d'une petite bourgade du Levant, Viver, évolue pendant les dix ans précédant la Guerre civile, de Castellón de la Plana, la capitale de sa province, à Barcelone où il assiste à la préparation du soulèvement franquiste du 18 juillet 1936. Autour de cette figure centrale gravitent les hommes plus ou moins célèbres que connut l'Espagne en crise de cette époque, les noms sont changés, mais ils composent toute une galerie à la fois vivante et typée : vivante car chaque individu pense, discute son problème, en termes directs, souvent prosaïques; typée, car tous semblent des documents pris sur le vif, représentatifs du fait politique des années 30.
Max Aub est avant tout un romancier et non un historien. Mais l'intérêt politico-social qu'il éprouve à l`égard de ce moment de l`histoire de son pays se traduit à merveille dans chacune de ses créations proprement littéraires. À son service, un style dense, dru, percutant qui souligne la forte personnalité de ses héros. Ceux-ci n'hésitent pas à s'exprimer grossièrement. L`introduction du mot cru dans la langue écrite est défendue par l'écrivain espagnol dans la préface. Les mots sont très familiers à l'homme espagnol, et la guerre ne fait que multiplier la fréquence de leur usage. "Champ clos" ouvre ainsi une belle fresque où se mêlent avec une constante efficacité la réalité historique et la fiction romanesque...
"1. Viver de las Aguas
De pronto se apagan las luces: las diez, la luna luce su presencia en las paredes jaharradas: el jalbegue se parte, mitad blanco, mitad gris. El silencio corre por las calles del poblado como un calofrío, de la cabeza a los pies, desde la plaza al Quintanar Alto, ya pegado al alcor. Primeros de septiembre y el aire frío bajando por el Ragudo; más arriba las estrellas de monte, tachas del viento.
La plaza, por ocho días ruedo verdadero, apuntaladas las fachadas limpias de derrengaduras con escaleras y tablones; el casino adargando su última luz tras las talanqueras; en el centro, la fuentecilla barroca con su canto de agua de cuatro caños recobrando su calaña de abrevadero; la plaza, acabadas de tocar las diez, ombligo del mundo. Mil quinientas almas y la Raya de Aragón. Hacia abajo, caídos hacia la mar, por Jérica y Segorbe, los pueblos de Valencia; cuesta arriba, por Sarrión, el áspero, desnudo camino de Teruel.
El reloj de la iglesia tiene la luna de cara; a todos les baraja el regustillo del miedo con el de la espera, un no se sabe qué otea por las espaldas; hay menos aire entre las gentes. Las diez y cinco: un rumor levanta su cola, asoman por los postigos las cabezas de los valientes, ya corren y cazcalean frente a la casa del notario y la contigua del doctor los que quieren presumir el tipo, puesto el ojo a las hijas en edad de merecer, agrupaditas en los balcones de los probos funcionarios, con su dote por delante y el pretendiente detrás, bálano en ristre, manos invisibles bendiciendo la oscuridad. Las blusas negras de viejos renegridos, que no quieren dar su brazo a torcer por los años, se escurren por las paredes. La albórbola recibe su corrección inmediata: un murmullo la acalla.
En lo más remoto de su memoria Rafael López Serrador no halla un recuerdo más viejo; de su niñez es ésa la imagen más cana: el momento en el cual, por las fiestas de septiembre, van a soltar el toro de fuego; eso, y el ruido del agua viva por la tierra: fuentes, manantiales, acequias.
El toro de fuego siempre ha matado a cinco o seis hombres: un animal bárbaro y terrible, mejor encornado que «Fávila», que el 89 mató a ocho en Rubielos de Mora; su dueño, a quien los niños tienen por rico y misterioso, pasea el basilisco de feria en fiesta; algún año, cuando la pez lo ha dejado cegato, echan el bestión a unos torerillos para que acaben con él. Cuéstales Dios y ayuda, cuando no corralones, porque el bicharraco sabe ya más que Lepe. El ganadero toma café en el círculo maurista. Los chiquillos le rodean a prudente distancia: «Ese es, ése es».
Las vaquillas corren, los mozos las jalean y les dan cantonada; la gente, hombres y mujeres, sale a recibirlas por la carretera en busca del susto, (¡ay, qué susto!), del miedo, (¡ay, qué miedo!), de la topada y del escalo de las rejas de la casa amiga perfectamente determinada de antemano, o del amparo de las cercas, murallones y albarradas de las veras del camino. Los hombres llevan gayatos y blusas negras, los veraneantes van en mangas de camisa; hay quien intenta quiebros y sale con los calzones descalandrajados para mayor burla y risotada. Polvo y cerveza, carreras de cintas mientras la banda enhebra pasodobles.
Pero el toro de fuego llega por la noche y está solo en las orillas del río, nadie se atreve a citarlo. Por veredas y balates van mayores y mocosos desde las primeras horas de la mañana a divisar y apreciar el ganado. Se apacienta éste en las márgenes de la torrentera, medio escondido por los carrizos, en una madre seca y cantalinosa. Los olivos y las higueras sirven de burladeros. Las señoritas dan grititos que animan al jabardillo. Los novios se apartan a derecha e izquierda «para ver mejor», según aseguran, y sofaldar sin sobresaltos. Hay quien almuerza. Allá abajo, sin dar importancia a los torillos que pacen, cruzan hacia el pueblo tres cavatierras, segur al hombro, colilla terciada, salivazo trallero:
—¡Paece que nunca hayan visto animales, rediós!
Una mula remacha el lendel circular de un azud quintañón y martillea el jolgorio con el ritmo de sus pezuñas ciegas; corre un agua estrecha. Rafael Serrador pasa el meñique derecho de su fosa nasal diestra a la siniestra, bájase luego a coger un guijo e intenta largarlo al río, y se queda corto. Otros, ya muy creciditos, lanzan a voleo pedruzcos a los lomos de las vaquillas. Algunas, las menos, levantan el testuz y miran indiferentes, otras, a lo sumo, adelantan un paso, el belfo rastreante en busca de hierbajos escuálidos entre tanta cárcava.
Soudain, les lumières s’éteignent : dix heures, la lune étale sa présence sur les murs blanchis à la chaux : l’enduit se fend, moitié blanc, moitié gris. Le silence parcourt les rues du village comme un frisson, de la tête aux pieds, depuis la place jusqu’au Quintanar Alto, déjà collé à la colline. Début septembre, et l’air froid descend le long du Ragudo ; plus haut, les étoiles de montagne, clous du vent.
La place, pendant huit jours un vrai cirque, les façades propres soutenues par des échelles et des planches pour éviter l’effondrement ; le casino protégeant sa dernière lumière derrière les barrières ; au centre, la petite fontaine baroque avec son chant d’eau à quatre jets, retrouvant son rôle d’abreuvoir ; la place, juste après les dix coups de cloche, nombril du monde. Mille cinq cents âmes et la frontière de l’Aragon. Vers le bas, penchés vers la mer, par Jérica et Segorbe, les villages de Valence ; en montant, par Sarrión, la route âpre et nue de Teruel.
L’horloge de l’église a la lune en face ; à tous, un petit arrière-goût de peur se mêle à celui de l’attente, un je-ne-sais-quoi épie dans leur dos ; l’air semble plus rare entre les gens. Dix heures cinq : un murmure dresse sa queue, les têtes des courageux apparaissent aux volets, déjà ils courent et s’agitent devant la maison du notaire et celle, voisine, du médecin, ceux qui veulent frimer, l’œil rivé sur les filles en âge de plaire, groupées sur les balcons des fonctionnaires intègres, dot en avant et prétendant derrière, lance en arrêt, mains invisibles bénissant l’obscurité. Les blouses noires des vieux entêtés, qui refusent de céder malgré les années, glissent le long des murs. Le tumulte reçoit sa correction immédiate : un chuchotement l’éteint.
Au plus profond de sa mémoire, Rafael López Serrador ne trouve pas de souvenir plus ancien ; de son enfance, c’est l’image la plus blanche : le moment où, pendant les fêtes de septembre, on va lâcher le taureau de feu ; cela, et le bruit de l’eau vive sur la terre : fontaines, sources, canaux.
Le taureau de feu a toujours tué cinq ou six hommes : une bête barbare et terrible, mieux encornée que « Fávila », qui en 89 en a tué huit à Rubielos de Mora ; son propriétaire, que les enfants considèrent comme riche et mystérieux, promène le basilic de foire en foire ; certains ans, quand le goudron l’a rendu presque aveugle, on jette la bête à de petits toréadors pour qu’ils en finissent. Dieu leur vient en aide, sinon ce sont des massacres, car le monstre en sait plus que Lepe. L’éleveur prend son café au cercle mauriste. Les gamins l’entourent à distance prudente : « C’est lui, c’est lui. »
Les génisses courent, les jeunes les excitent et les coincent ; les gens, hommes et femmes, sortent les accueillir sur la route en quête de peur, (ah, quelle peur !), de frayeur, (ah, quelle frayeur !), de la bousculade et de l’escalade des grilles d’une maison amie parfaitement choisie à l’avance, ou de la protection des clôtures, murs et talus au bord du chemin. Les hommes portent des blouses noires, les estivants sont en manches de chemise ; certains tentent des esquives et finissent avec leur pantalon en lambeaux, pour le plus grand éclat de rire. Poussière et bière, courses de rubans pendant que la bande enchaîne les pasodobles.
Mais le taureau de feu arrive la nuit et reste seul au bord de la rivière, personne n’ose l’affronter. Par les sentiers et les murets, vieux et gamins partent dès l’aube pour observer et juger le bétail. Il paît sur les berges du torrent, à moitié caché par les roseaux, dans un lit sec et caillouteux. Les oliviers et les figuiers servent de refuge. Les jeunes filles poussent des cris qui excitent la foule. Les fiancés s’écartent à droite et à gauche « pour mieux voir », affirment-ils, et s’aventurent sans trop de crainte. Certains déjeunent. Là-bas, indifférents aux petits taureaux qui broutent, trois journaliers traversent vers le village, la serpe sur l’épaule, mégot au bec, crachat traînant :
— On dirait qu’ils n’ont jamais vu des bêtes, bon Dieu !
Une mule martèle le bord circulaire d’un vieux barrage et rythme la fête avec le bruit de ses sabots aveugles ; un filet d’eau court. Rafael Serrador passe son auriculaire droit de sa narine droite à la gauche, se baisse pour ramasser un caillou et tente de le lancer dans la rivière, mais n’y arrive pas. D’autres, déjà bien grands, lancent des pierres sur le dos des génisses. Quelques-unes, les plus rares, lèvent le museau et regardent avec indifférence, d’autres, au mieux, avancent d’un pas, la lèvre traînante cherchant quelques herbes chétives parmi tant de ravin.
(...)
"Campo abierto" (1941, Champ ouvert)
Ce second volume de la trilogie intitulée "Le Labyrinthe magique" (El laberinto mágico) a pour thème les événements de Valence et la défense de Madrid en 1936. Il s'agit de tranches de vie auxquelles la guerre sert de décor et d'explication. C'est elle qui conditionne les problèmes des divers personnages mis en scène, quotidiens ou exceptionnels, moraux, sentimentaux ou autres. Divisée en trois parties : "Valence", "De l'autre côté", "Madrid", l'œuvre ne consacre que quelques pages à la deuxième, qui relate la capture d'un jeune "national" dans la Sierra de Guadanamo. Les autres comportent différents chapitres qui, en général, introduisent de nouveaux héros, cependant que ceux déjà évoqués réapparaissent dans la série "Valence" pour créer l'unité indispensable.
Ainsi Gabriel Rojas, après avoir vainement essayé de mettre au monde seul son enfant, car il n'a pu trouver de médecin à cause de l'état d'alerte, est abattu lorsqu`il sort pour en trouver un. Vicente Tamals, ébéniste valencien, dont les opinions sont à gauche, facilite la fuite d`un vieil ami qui, lui, est à droite. Un dialogue, qui retrace avec une incomparable habileté la vie de Vicente, son milieu familial, ses conceptions, l'oppose à un autre de ses amis, communiste, qui lui reproche son attitude.
L'homme de théâtre qu`est Max Aub est ici parfaitement à son aise. Rythme et intensité caractérisent ces très belles pages. L' "Uruguayen" est un criminel qui profite de la situation pour commettre ses méfaits sous une étiquette politique avant d'être finalement exécuté. Relatés dans leur nudité, ces brefs récits apparaissent plongés avant tout dans la réalité de la guerre, et pourtant il n`en est rien, car elle n'est là que comme une trame, cependant que le caractère des personnages et l'atmosphère propre à Valence donnent tout son relief à la création purement littéraire de Aub.
Odeurs, couleurs, rumeurs de la ville levantine affleurent constamment à la surface des dialogues. Dans "Madrid" surgissent des personnages de plus en plus nombreux, dont les histoires s'imbriquent les unes dans les autres et qui échangent des conversations animées, aux thèmes de toutes sortes. La plupart d'entre eux joueront un rôle important dans le troisième tome de la trilogie "Champ sanglant", comme Paulino Cuartero, Templado, Fajardo. Roman idéologique puissant, "Champ ouvert" reflète à merveille la réalité psychologique et descriptive de l'Espagne en guerre....
Gabriel Rojas
24 de julio de 1936
—¿Cómo te encuentras?
Gabriel Rojas se despatarra ante su mujer, las manos en la cintura.
Ángela contesta cerrando los ojos: Bien.
—¿Quieres que vaya a buscar al médico?
Ángela vuelve lentamente la cabeza buscando entre sus párpados entrecerrados la figura ya un poco rechoncha de su marido. Intenta sonreír, intenta sonreír débilmente, intenta que Gabriel comprenda que intenta sonreír.
—¿De qué te ríes?
—De tu facha.
Ángela está tumbada en una mecedora de la sala, perniabierta, enorme, con su bata de flores celestes y rosas. Gabriel, en mangas de camisa, la mira con amor. Ángela vuelve a dejar caer su cabeza, que enderezó para sonreír.
—¿Dolores?, —la mujer asiente con la cabeza.
—¿Y tu madre?
—Se fue a casa. Tenía que hacer la cena de los chicos.
—¿Y Adelina?
—Fue a la tienda.
—Estará con el novio.
—Es lo más probable.
Una mueca desfigura la cara dulce y apacible de la mujer.
—¿Qué hago?, —pregunta un tanto desamparado el hombre.
—Anda, anda a buscar a Renán. (Ya no le llama doctor, médico o don. El dolor abate distancias y allana tratamientos).
—¿Cómo te voy a dejar sola?
—Llama por teléfono.
Gabriel da media vuelta, sale al recibidor, llama a casa del médico. Le contestan que no está, toman el recado: seguramente telefoneará de un momento a otro: Lo dejó dicho.
—Tome el recado: que venga corriendo.
—¡Gabriel!
Vuelve rápidamente a la sala.
—Llévame a la cama.
Con precaución el hombre pasa su brazo por la cintura de la mujer y la lleva hacia el dormitorio. Silencio en la calle, silencio en la ciudad, como si el tiempo no existiera. Ángela jadea; lleva un pañuelo a la boca, se lo pone entre los dientes. Párase a cada medio paso, echada hacia adelante, se apoya un momento en la mesa cubierta con un hule, fondo verde, flores rosadas.
—¿Cómo te encuentras?
La mujer dirige una rápida mirada iracunda a su marido. Gabriel siente la puñalada. Obliga sus dedos a oprimir un poco la cintura de Ángela.
—Vamos —dice el hombre.
—Espera.
La voz sale ronca y entorpecida por el pañuelo. Pasan tres segundos interminables.
—¿No puedes?
La mujer vuelve a mirar a su marido con las pupilas empañadas. Gabriel Rojas no sabe qué hacer (¡Si me coge solo, si me coge solo!). No puede pensar en otra cosa. (Si me coge solo, ¿qué hago?).
Ángela, con un movimiento imperativo de la barbilla indica que quiere volver a caminar.
(Por lo menos que llegue hasta la cama —piensa Gabriel—, por lo menos hasta la cama). Sin darse cuenta alarga el paso. Su mujer le retiene con el peso de su cuerpo. Se para.
—¿No, puedes? ¿Te duele? ¿Qué…?
Los ojos de Ángela matan la pregunta. Llegan a la puerta. Nunca le pareció tan grande la habitación. Aún hay que atravesar el pasillo.
(¿Dónde estará mi suegra? ¿Dónde estará la criada?).
Gabriel no tiene tiempo de tener miedo. Tiene ganas de huir, de correr, de gritar, de abandonar a su mujer en medio del pasillo brillante, estucado hasta la altura del hombro. Llaman a la puerta. Los dos seres se miran angustiados.
—¿Será Renán?, —dice Gabriel.
Y antes que su mujer apruebe se lanza hacia la Puerta, abandonándola. Abre, es el portero.
—Que enciendan en la habitación de delante y abran las ventanas. En seguida. La patrulla está abajo. ¿Cómo está la señorita?
—Mal. Espero al médico. Voy a dejar la puerta abierta. O mejor pase usted y encienda. No puedo dejar sola a mi mujer.
—Sí —dice—, es mejor, porque no se andan con chiquitas y si no encienden empezarán a tiros, y mire que es manía…
Ya no le oye Gabriel que ha vuelto al lado de Ángela, apoyada en el quicio de la puerta del cuarto de baño.
—Era el portero.
Ángela hace señas de que lo sabe.
—¿Podrás aguantar hasta que llegue el doctor?
La mujer ya no tiene fuerza para girar la cabeza. Rechina los dientes y desgarra el pañuelo. Da tres pasos, jadeando entre cada uno de ellos. El dolor la destroza. A fuerza de meter las uñas en la palma de la mano y apretar las muelas, no grita. No ha gritado nunca; no lo va a hacer ahora que Gabriel está delante. El cuarto de baño brilla, blanco, aséptico. Le da rabia. Como puerto aparece la entrada del dormitorio. Hay que llegar allá, pase lo que pase. ¿Qué le corre por las piernas? La puerta ¡Dios! ¡La puerta! Apoya una mano en la jamba. Desde allí, como lago, aparece la cama preparada, el embozo deshecho. Ángela siente cómo se resquebraja. Mira, agonizante, a su marido, como si se quisiera asir de su cuello con la mirada.
— Comment te sens-tu ?
Gabriel Rojas s’affale devant sa femme, les mains sur les hanches.
Ángela répond en fermant les yeux : Bien.
— Tu veux que j’aille chercher le médecin ?
Ángela tourne lentement la tête et, entre ses paupières mi-closes, cherche la silhouette déjà un peu empâtée de son mari. Elle essaie de sourire, elle essaie d’esquisser un faible sourire, elle essaie de faire comprendre à Gabriel qu’elle tente de sourire.
— De quoi tu ris ?
— De ta tête.
Ángela est allongée dans un rocking-chair du salon, les jambes écartées, énorme, dans sa robe de chambre à fleurs bleues et roses. Gabriel, en bras de chemise, la regarde avec amour. Ángela laisse à nouveau retomber sa tête, qu’elle avait redressée pour sourire.
— Des douleurs ?
La femme acquiesce.
— Et ta mère ?
— Elle est rentrée chez elle. Elle devait préparer le dîner des enfants.
— Et Adelina ?
— Elle est allée à l’épicerie.
— Elle doit être avec son fiancé.
— C’est très probable.
Une grimace déforme le doux et paisible visage de la femme.
— Qu’est-ce que je fais ? demande l’homme, un peu désemparé.
— Va, va chercher Renán. (Elle ne l’appelle plus docteur, médecin ou don. La douleur abat les distances et aplanit les formalités.)
— Comment je peux te laisser seule ?
— Passe un coup de fil.
Gabriel fait demi-tour, sort dans l’entrée, appelle chez le médecin. On lui répond qu’il n’est pas là, mais qu’on prend le message : il devrait rappeler d’un moment à l’autre. Il l’a dit.
— Prenez le message : qu’il vienne en courant.
— Gabriel !
Il revient rapidement au salon.
— Emmène-moi au lit.
Avec précaution, l’homme passe son bras autour de la taille de sa femme et la guide vers la chambre. Silence dans la rue, silence dans la ville, comme si le temps n’existait plus. Ángela halète ; elle porte un mouchoir à sa bouche, le serre entre ses dents. Elle s’arrête tous les deux pas, penchée en avant, s’appuie un instant sur la table recouverte d’une toile cirée, fond vert à fleurs roses.
— Comment te sens-tu ?
La femme lance à son mari un regard rapide et furieux. Gabriel sent le coup de poignard. Il force ses doigts à serrer un peu plus la taille d’Ángela.
— Allez, dit l’homme.
— Attends.
La voix sort rauque et étouffée par le mouchoir. Trois secondes interminables passent.
— Tu ne peux pas ?
La femme regarde à nouveau son mari, les pupilles voilées. Gabriel Rojas ne sait pas quoi faire. (Si elle m’y prend seul, si elle m’y prend seul !) Il ne peut penser à rien d’autre. (Si elle m’y prend seul, qu’est-ce que je fais ?)
Ángela, d’un mouvement impératif du menton, indique qu’elle veut reprendre sa marche.
(Au moins qu’elle arrive jusqu’au lit, pense Gabriel, au moins jusqu’au lit.) Sans s’en rendre compte, il allonge le pas. Sa femme le retient par le poids de son corps. Il s’arrête.
— Tu ne peux pas ? Ça te fait mal ? Qu’est-ce que… ?
Les yeux d’Ángela tuent la question. Ils arrivent à la porte. Jamais la chambre ne lui avait paru si grande. Il reste encore le couloir à traverser.
(Où est ma belle-mère ? Où est la bonne ?)
Gabriel n’a pas le temps d’avoir peur. Il a envie de fuir, de courir, de crier, d’abandonner sa femme au milieu du couloir brillant, stuqué jusqu’à hauteur d’épaule. On frappe à la porte. Les deux êtres échangent un regard angoissé.
— C’est Renán ? dit Gabriel.
Et avant que sa femme n’approuve, il se précipite vers la porte, l’abandonnant. Il ouvre : c’est le concierge.
— Qu’ils allument dans la chambre de devant et qu’ils ouvrent les fenêtres. Tout de suite. La patrouille est en bas. Comment va madame ?
— Mal. J’attends le médecin. Je vais laisser la porte ouverte. Ou plutôt, passez et allumez. Je ne peux pas laisser ma femme seule.
— Oui, dit-il, c’est mieux, parce qu’ils n’y vont pas de main morte et s’ils n’allument pas, ils commenceront à tirer, et vous savez, c’est une manie…
Gabriel ne l’entend plus, il est déjà revenu près d’Ángela, appuyée contre le chambranle de la porte de la salle de bains.
— C’était le concierge.
Ángela fait signe qu’elle le sait.
— Tu pourras tenir jusqu’à ce que le docteur arrive ?
La femme n’a plus la force de tourner la tête. Elle grince des dents et déchire son mouchoir. Elle fait trois pas, haletant entre chacun d’eux. La douleur la déchire. À force d’enfoncer ses ongles dans ses paumes et de serrer les mâchoires, elle ne crie pas. Elle n’a jamais crié ; elle ne va pas le faire maintenant que Gabriel est là.
La salle de bains brille, blanche, aseptique. Ça l’énerve. Comme un port apparaît l’entrée de la chambre. Il faut y arriver, coûte que coûte. Qu’est-ce qui lui court dans les jambes ? La porte… Mon Dieu, la porte ! Elle pose une main sur le montant. De là, comme un lac, apparaît le lit préparé, la couverture défait. Angela sent tout se fissurer en elle. Elle regarde son mari, agonisante, comme si elle voulait s’agripper à son cou du regard.
Dan un paso a través de la estancia con la sensación de haber perdido la seguridad que les daba las maderas de la puerta; como si se enmarzaran en un océano todavía furioso, tras una arribada forzosa. La cama está ahí, a dos metros. Pero entre ella y la puerta que acaban de abandonar el espacio es inmenso, y son, todavía, los pies, los solos pies, con su borde, como un acantilado. Hay que darle la vuelta, pisar la alfombra que corre a su lado derecho, regalo del año antepasado, gris y anaranjado: venció el gusto del marido, que mujer y suegra preferían un color pardo. Gabriel suda. Las gotas le corren por las mejillas mal afeitadas y se le meten por el cuello.
Ils franchissent un pas à travers la pièce avec la sensation d’avoir perdu la sécurité que leur offrait le bois de la porte ; comme s’ils s’aventuraient sur un océan encore furieux, après un atterrissage forcé. Le lit est là, à deux mètres. Mais entre lui et la porte qu’ils viennent de quitter, l’espace est infini, et il n’y a encore, sous eux, que les pieds, les seuls pieds, avec leur bordure, comme une falaise.
Il faut en faire le tour, poser le pied sur le tapis qui longe leur droite — un cadeau de l’année précédente, gris et orangé : le goût du mari l’avait emporté, alors que la femme et la belle-mère préféraient une couleur brune.
Gabriel transpire. Les gouttes ruissellent le long de ses joues mal rasées et lui glissent dans le cou.
(...)
"Campo de sangre" (1942, Champ sanglant)
Cette œuvre est la dernière partie de la trilogie "Le Labyrinthe magique", de Max Aub. L'action se déroule essentiellement à Barcelone, au moment des bombardements de 1937, sauf un assez bref passage consacré à la prise de Teruel en 1938. L'orientation romanesque se fait ici plus nette que dans les deux premiers "Champs", et les événements politiques cèdent le pas à l'étude minutieuse des processus psychologiques. L`un des principaux personnages est Paulino Cuartero que le lecteur est amené à voir évoluer intérieurement à partir d`une situation donnée - l'infortune conjugale - qui n'a presque rien à voir avec le contexte historique. Cela va même jusqu`à donner des pages où Aub révèle ses conceptions du théâtre, pages magnifiques et très éloignées des préoccupations politiques. De la même façon, l`archiviste de Teruel, blessé lors du siège, se livre à un monologue à bâtons rompus sur une infinité de thèmes plus divers les uns que les autres. L`acteur Vicente Dalmases et l`actrice Asunción - déjà vus dans "Champ ouvert" - permettent aussi à Max Aub de décrire la vie du théâtre pendant les troubles. Ce dernier volet est donc une chronique de la guerre vue de l'intérieur, où s'affirme particulièrement la souveraine habileté de Aub pour faire apparaître la réalité matérielle à travers la réalité spirituelle de ses héros ...
"El laberinto mágico", comprend, outre "Campo cerrado" (1943), "Campo de sangre"(1945) et "Campo abierto" (1951), "Campo del Moro" (1963), "Campo francés" (1965) et "Campo de los almendros" (1967) ...
"En veintitrés días de travesía, de Casablanca a Veracruz, en septiembre de 1942, escribí este Campo francés. Había vivido todos sus cuadros todos sus encuadres; de ello saqué, en un momento de descorazonamiento, Morir por cerrar los ojos ..." - "Campo Frances" a été écrit en 1942 à bord du bateau (Serpa Pinto) qui transportait Max Aub au Mexique et vers la liberté. Ce quatrième livre constitue une rupture dans le cycle du "Le labyrinthe Magique" : d’une part, il ne s’agit pas d’un roman proprement dit, mais d’un texte avec une structure de scénario cinématographique (Aub avait collaboré, pendant la Guerre Civile, avec Malraux, au tournage du célèbre film "Sierra de Teruel"), d’ailleurs, l’action ne se situe pas sur le champ de bataille espagnol, bien que la Guerre Civile reste en arrière-plan de l’œuvre. Le drame de la Seconde Guerre mondiale, face à la passivité des "Imbeciles", comme le dit Aub, face à l’impassibilité de ceux qui ne veulent rien savoir de politique."Campo Frances" se passe dans l’un des nombreux geôles français où sont détenus tous les étrangers "avec un casier", et parmi eux se trouvent de nombreux anciens républicains espagnols et beaucoup de ces "Imbéciles" qui, par leur seul accent ou nom de famille ont été arrêtés la plupart sans raison.
"Campo de los almendros" est considéré comme le roman le plus réussi du "Labyrinthe Magique", magnifique fresque de la guerre civile espagnole, longtemps ignoré dans l’histoire de la littérature espagnole d’après-guerre. Ecrit en 1968, "c’est l’histoire d’Alicante; les visions du célèbre passage qui finit par dire : 'la guerre est finie', et une date : 1er avril 1939", selon les propres mots de Max Aub. Mais ce n’est pas seulement, avec ses divagations, dialogues et événements, un roman "historique", mais surtout un "roman", avec sa multitude de personnages réels et imaginaires, dans des situations de tout genre, qui tend à dresser un tableau fidèle de quelques jours parfaitement déterminés del a guerre civile ...
I
Esa Junta de Madrid, ¿no es un Gobierno de verdad? ¿Ni hay ministro de Instrucción Pública?
—¡Para eso están!
—¿Ni director general de Bellas Artes?
—¡A qué santo!
—Entonces… ¡Soy el dueño! ¡El mandamás! ¡El propietario!
Ambrosio Villegas, archivero y director interino de San Carlos, se pone a gambetear, tarareando el U y el Dos, ante las columnas renacentistas del Patio del Embajador Vich:
Ta ta ta tá, ta tata ta ta ta tá,
Ta ta ta tá, ta tata ta ta ta tá.
Te canto con mis amores,
con el alma y corazón;
ya me llaman los pintores
que te pinten afición.
Resaladita Dolores,
cumpliendo con mi deber,
le digo de corazón
que mejor no puede ser
con el cante labrador
cumpliendo con el deber.
Alarga a más no poder los gorgoritos al final de los sedicentes versos de las insulsas coplas, salta sobre la azulejería policromada del centro de la sala, baila frente a la tremebunda Visión del Coliseo, de don José Benlliure. Arriba, el cielo lívido de El entierro de Santa Cecilia, de Cecilio Plá, nunca ha visto cosa igual.
Juan Valcárcel mira a su amigo como si se hubiese vuelto loco. (¿Lo estamos todos? Entonces, no vale). González Moreno ríe, enseñando todos sus dientes. Para rematar, Villegas cabalga el León de Bocairente, y sigue, con otro aire de la tierra:
Y en un quinset ting un puro,
y en dos quinsets una pipa,
y en tres quinsets una guitarra,
y en una peseta una chica.
—Che, tú, ya está bien. Mira que si entra alguien…
—¿Quién quieres que venga? Y si llega, le echo. Aquí mando yo. El museo ha pasado a ser de mi propiedad.
La verdad es que habían tomado unas copas de más para festejar el acontecimiento. (Además: ¿para qué almacenar ya botellas?).
« Cette Junte de Madrid, ce n’est donc pas un vrai gouvernement ? Ils n’ont même pas de ministre de l’Instruction publique ?
— C’est à ça qu’ils servent !
— Ni de directeur général des Beaux-Arts ?
— Pour quoi faire, bon sang ?
— Alors… Je suis le patron ! Le grand manitou ! Le propriétaire ! »
Ambrosio Villegas, archiviste et directeur par intérim de San Carlos, se met à gambader, fredonnant l’U et le Deux, devant les colonnes Renaissance de la Cour de l’Ambassadeur Vich :
Ta ta ta tá, ta tata ta ta ta tá,
Ta ta ta tá, ta tata ta ta ta tá.
Je te chante avec mes amours,
Avec l’âme et le cœur ;
Déjà les peintres m’appellent
Pour te peindre de passion.
Resaladita Dolores,
En faisant mon devoir,
Je te dis du fond du cœur
Que mieux tu ne peux avoir
Avec le chant laboureur
En faisant mon devoir.
Il allonge à n’en plus finir les vocalises à la fin de ces prétendus vers de coplas insipides, bondit sur les azulejos polychromes au centre de la salle, danse devant la terrifiante Vision du Colisée de don José Benlliure. Là-haut, le ciel livide de L’Enterrement de Sainte Cécile de Cecilio Plá n’a jamais rien vu de tel.
Juan Valcárcel regarde son ami comme s’il avait perdu la raison. (Sommes-nous tous fous ? Dans ce cas, ça ne compte pas.) González Moreno rit, montrant toutes ses dents. Pour couronner le tout, Villegas enfourche le Lion de Bocairente et enchaîne, sur un autre air populaire :
Et dans un quinzet un cigare,
Et dans deux quinzets une pipe,
Et dans trois quinzets une guitare,
Et dans une peseta une fille.
— Hé, toi, ça suffit maintenant. Tu te rends compte si quelqu’un entre…
— Qui veux-tu qui vienne ? Et s’il vient, je le vire. Ici, c’est moi qui commande. Le musée est devenu ma propriété.
La vérité, c’est qu’ils avaient un peu trop fêté l’événement. (D’ailleurs : à quoi bon stocker des bouteilles maintenant ?)
El edificio del Carmen no es cosa del otro mundo, pero el patio es hermoso y las estatuas desportilladas por el tiempo, las estelas labradas, le dan aire de gran monumento. Claro que el ala central no presenta un aspecto muy lucido; faltan las tablas góticas, los mejores Juan de Juanes, los Ribaltas, todo lo que fue de Portaceli: el gran retablo donado por Fray Bonifacio, el hermano de San Vicente Ferrer, aquel que después de estar casado se metió a cartujo y llegó a prior general de la Orden, gran personaje en la tramitación del cisma de Occidente, compromisario en Caspe y traductor de la Biblia. Tampoco están los Nicolaus ni los Osona ni, naturalmente, el Pinturicchio. Dejando sus huellas en los damascos de la tierra, faltan los Goyas y el autorretrato de Velázquez; seguros —hasta donde pueden estarlo— en los sótanos de las Torres de Serranos. De todos modos, con lo que queda, todavía es un museo respetable, sobre todo para quien, como él, gusta de Muñoz Degrain; colgadas todavía sus telas porque son muchas y muy grandes; a pesar de que, según él, valen un potosí; no tienen al valenciano en el aprecio que merece. Ambrosio Villegas es hombre del siglo XIX, liberal, masón, amigo de vaguedades y seguro de que si se hubiese llevado a cabo la reforma agraria, España sería un paraíso.
—Para lo que te va a durar.
—Hasta que entren los otros. Pero hasta entonces, ¿quién me lo quita? ¡Nadie!
—Pero si con Gobierno o sin él nadie te lo iba a quitar.
—Eso nunca se sabe. De pronto, una mañana, una tarde, recibes una carta, un oficio y ¡zas!, ya no eres director de San Carlos. Ahora, ¿quién puede conmigo? Es como si una —la— mujer con la que has soñado acostarte durante toda la vida te dijera: ¡ahora!
Y se pone de nuevo a cantar.
Y el que templa una guitarra
por templar un gitarró.
—¡Claro que hasta que entren los otros! ¡Pues no habrá pocos que ansíen el puesto!
—Y nosotros, ¿qué vamos a hacer?
Ambrosio Villegas mira al portero, viejo, que se ha hecho viejo ahí, en el zaguán, en las salas. No sabe qué contestarle.
Le bâtiment du Carmen n’a rien d’extraordinaire, mais sa cour est belle, et les statues ébréchées par le temps, les stèles sculptées, lui donnent des airs de grand monument. Bien sûr, l’aile centrale n’a pas l’air très reluisante : il manque les panneaux gothiques, les plus beaux Juan de Juanes, les Ribalta, tout ce qui provenait de Portaceli – le grand retable offert par Fray Bonifacio, le frère de Saint Vincent Ferrier, celui qui, après avoir été marié, entra chez les Chartreux et devint prieur général de l’Ordre, personnage clé dans la résolution du schisme d’Occident, compromis de Caspe et traducteur de la Bible. Les Nicolaus et les Osona ne sont pas là non plus, ni, bien sûr, le Pinturicchio. Laissant leurs traces dans les damas de la terre, manquent aussi les Goya et l’autoportrait de Velázquez – en sécurité (du moins autant que possible) dans les sous-sols des Tours de Serranos. Quoi qu’il en soit, avec ce qui reste, c’est encore un musée respectable, surtout pour quelqu’un comme lui, amateur de Muñoz Degrain ; ses toiles sont toujours accrochées, car elles sont nombreuses et immenses, bien que, selon lui, elles valent une fortune – les Valenciens ne lui rendent pas justice. Ambrosio Villegas est un homme du XIXe siècle, libéral, franc-maçon, ami des chimères et convaincu que si la réforme agraire avait été menée à bien, l’Espagne serait un paradis.
— Pour le temps que ça va te durer.
— Jusqu’à ce que les autres arrivent. Mais d’ici là, qui me l’enlèvera ? Personne !
— Mais enfin, avec ou sans gouvernement, personne ne te l’aurait pris.
— On ne sait jamais. Un matin, un soir, tu reçois une lettre, un ordre officiel, et paf ! – tu n’es plus directeur de San Carlos. Mais maintenant, qui peut me déloger ? C’est comme si une femme – LA femme – avec laquelle tu as rêvé de coucher toute ta vie te disait : "Maintenant !"
Et il se remet à chanter :
Et celui qui accorde une guitare
Pour accorder un guitarrón.
— Bien sûr, jusqu’à ce que les autres arrivent ! Et ils ne seront pas peu nombreux à convoiter le poste !
— Et nous, qu’allons-nous faire ?
Ambrosio Villegas regarde le portier, un vieil homme qui a vieilli là, dans le vestibule, dans les salles. Il ne sait pas quoi lui répondre
No he muerto. La guerra ha terminado y no he muerto. Ésta es la verdad. La guerra la han ganado los otros. Es pasajero. Vendrá la nuestra. Ganaron un round, perderán el combate. ¿Quién lo duda? Nadie, y menos él.
Apretado, encogido; el codo de Máximo en el estómago, la pistola de Federico incrustada en el muslo izquierdo, la panza de no sabe quién en la espalda. De aquí para allá; callados. Noche negra. Vicente piensa en Asunción: la única verdad, el amor. Se reprocha su sentir: falso; no es verdad, se miente. El amar, sólo parte. Vuelve la insidia: sólo el amor vale la pena, sólo el amor cuenta: tener ahora a Asunción contra él, y, todo lo demás ¡al demonio!, a la cuneta, a la muerte.
¿Qué pensaría Álvarez si leyera en él? ¿Qué le diría Uribe?
No ha muerto. No ha hecho nada por evitarlo, tampoco lo ha buscado (¿para qué?). Ha obedecido órdenes, no le tocó ninguna china. No le han herido en los treinta y dos meses de guerra. La verdad es que los últimos doce los ha pasado sin peligro. No lo pidió, le mandaron. Es fácil decir: Asunción, pensar en Asunción, ahora que Madrid se queda atrás a sesenta o setenta kilómetros por hora, que cada minuto señala mayor distancia entre él y el cadáver de Lola, Lola, muerta, a la que naturalmente no volverá a ver nunca. Lola, punto y basta. Ahora, Asunción, su amor, toda su vida; la que fue y la que será. Lola, ¿qué iba a hacer? La guerra es la guerra. Hace exactamente seis meses y siete días que no ha visto a Asunción, que no la ha tenido entre sus brazos. Entonces, ¿quién le echa la primera piedra? ¿Pedro? ¿Luis? ¿Dolores? No tenían sino haberla destinado a Madrid, o cerca. (No. No: tú, en Valencia. Aquí haces falta). O haberle enviado a Valencia. (No, eres necesario en Madrid, ya irás la semana próxima). Nunca. Ahora sí, que se ha perdido todo, hasta el honor. Fue el mismo Francisco I el que dijo: ¡Bienaventurada España, que pare y cría a los hombres armados!
¿Habrá logrado Asunción salir hacia Alicante?, ¿habrá podido escapar? No ha muerto. No se lo puede figurar. En Valencia no hubo lucha. Es una razón tan buena como otra. Se citaron por teléfono: en Alicante. ¿Me oiría? Cortaron la comunicación. Debía haber ido él a Valencia. Todo se amontonó sin dejarle respiro. ¿Qué hará si no lo encuentra? ¿Qué harán si no se encuentran? No ha de ser tan difícil. Alicante no es tan grande y, aunque los del partido deben de vivir escondidos, escondiéndose, hallará la manera de dar con el hilo.
Baches, trompicones, choquecillos, encontronazos, traspiés que no van más allá de las espaldas, los costados, los pechos de los apretujados de pie en medio del camión. Rebotes, tropiezos y el cansancio que puede más que todo: duelen los brazos, las piernas, los pies, los hombros. Trastabilla constantemente un viejito que no se tiene más que por lo que le sostiene. Envidia de los que han conseguido apoyarse en los adrales o de los que, en la zaga, se pudieron sentar, colgadas las piernas al aire. El tiempo se multiplica por sí mismo en la noche enorme.
Hace poco pasaron Tarancón.
Je ne suis pas mort. La guerre est terminée, et je ne suis pas mort. Voilà la vérité. Ce sont les autres qui ont gagné la guerre. Ce n’est que passager. La nôtre viendra. Ils ont gagné un round, ils perdront le combat. Qui en doute ? Personne, et encore moins lui.
Serré, recroquevillé ; le coude de Máximo dans l’estomac, le pistolet de Federico enfoncé dans la cuisse gauche, le ventre de je-ne-sais-qui dans le dos. De-ci de-là ; silencieux. Nuit noire. Vicente pense à Asunción : la seule vérité, l’amour. Il se reproche ce sentiment : faux ; ce n’est pas vrai, il se ment. Aimer, ce n’est qu’une partie. L’insidieuse pensée revient : seul l’amour vaut la peine, seul l’amour compte. Avoir Asunción contre lui maintenant, et tout le reste au diable ! Au fossé, à la mort.
Que penserait Álvarez s’il lisait en lui ? Que lui dirait Uribe ?
Il n’est pas mort. Il n’a rien fait pour l’éviter, mais il ne l’a pas non plus cherché (pour quoi faire ?). Il a obéi aux ordres, aucune balle ne l’a touché. Il n’a pas été blessé en trente-deux mois de guerre. La vérité, c’est qu’il a passé les douze derniers sans danger. Il ne l’a pas demandé, on l’a envoyé. C’est facile de dire : Asunción, penser à Asunción, maintenant que Madrid s’éloigne à soixante ou soixante-dix kilomètres à l’heure, que chaque minute creuse la distance entre lui et le cadavre de Lola – Lola, morte, qu’il ne reverra évidemment jamais. Lola, point final. Maintenant, Asunción, son amour, toute sa vie ; celle qui fut et celle qui sera. Lola, qu’aurait-il pu faire ? La guerre est la guerre. Cela fait exactement six mois et sept jours qu’il n’a pas vu Asunción, qu’il ne l’a pas serrée dans ses bras. Alors, qui lui jettera la première pierre ? Pedro ? Luis ? Dolores ? Ils n’avaient qu’à l’affecter à Madrid, ou près d’elle. (Non. Non : toi, à Valence. On a besoin de toi ici.) Ou l’envoyer à Valence. (Non, tu es nécessaire à Madrid, tu iras la semaine prochaine.) Jamais. Maintenant oui, tout est perdu, jusqu’à l’honneur. C’est François Ier lui-même qui a dit : « Heureuse Espagne, qui enfante et nourrit des hommes armés ! »
Asunción aura-t-elle réussi à partir pour Alicante ? Aura-t-elle pu s’échapper ? Il n’est pas mort. Il ne peut pas se l’imaginer. À Valence, il n’y a pas eu de combat. C’est une raison aussi bonne qu’une autre. Ils se sont donné rendez-vous par téléphone : à Alicante. L’a-t-elle entendu ? La communication a été coupée. Il aurait dû aller à Valence. Tout s’est accumulé sans lui laisser de répit. Que fera-t-elle si elle ne le trouve pas ? Que feront-ils s’ils ne se retrouvent pas ? Ce ne devrait pas être si difficile. Alicante n’est pas si grande, et même si ceux du parti doivent vivre cachés, se cachant, il trouvera un moyen de mettre la main sur le fil.
Cahots, secousses, chocs légers, accrocs, faux pas qui ne dépassent pas les dos, les flancs, les poitrines des entassés debout au milieu du camion. Rebonds, trébuchements, et la fatigue qui l’emporte sur tout : les bras, les jambes, les pieds, les épaules font mal. Un petit vieux qui ne tient plus que par ceux qui le soutiennent trébuche sans cesse. Il envie ceux qui ont réussi à s’appuyer sur les ridelles ou ceux qui, à l’arrière, ont pu s’asseoir, les jambes pendantes. Le temps se multiplie dans l’énorme nuit.
Il y a peu, ils ont dépassé Tarancón.
(...)
"Jusep Torres Campalans" (1958)
Max Aub propose la biographie d'un peintre catalan, ami de Picasso, un peintre qu'il aurait connu au Mexique, oublié, menant une vie étrange parmi les Indiens, et devenu l'ennemi de la civilisation. Le personnage l'a tant passionné qu'à sa mort il a voulu l'éterniser dans un portrait pour la postérité qui a donné lieu au roman. C'est du moins ce que raconte l'écrivain espagnol dans sa préface en s`appuyant sur des photographies (Picasso et Torres Campalans par exemple), des reproductions, des témoignages et autres documents apparemment irréfutables. Pourtant il est fort probable que ce personnage fut créé de toutes pièces par Aub - qui n`a jamais rien voulu dire à ce sujet. Pour certains. Torres Campalans est une sorte de double de Picasso, pour d`autres, il s'agit d'une fiction totale. dans tous les cas, le personnage principal permet à l'auteur de brosser un extraordinaire tableau de l`évolution de la peinture, et des idées relatives à la peinture dans les années 30, à Paris.
C`est à vrai dire une éblouissante anthologie où s'élabore le procès du réalisme et du naturalisme, tant sur le plan pictural que sur le plan littéraire. Aub réussit par ailleurs une magistrale création humaine. Torres Campalans, bohème anarchiste, atrabilaire, se dresse superbement au ponton de chaque chapitre. Les femmes qui l`entourent, les amis - pour la plupart des peintres connus - composent une étonnante fresque. Et la prose d'Aub n'a jamais été aussi précise et harmonieuse (Trad. Gallimard, 1961).
"Yo vivo" (1934-1936)
Écrit entre 1934 et 1936, ce livre relate en 21 Capitulos un jour dans la vie d’un homme. Une journée où la joie de vivre constitue, le plaisir même de ce qui l’entoure, constitue une épiphanie terrestre et vitaliste vraiment fascinante. Avec une attention minutieuse au détail et un usage extraordinaire du langage, Aub fait de cette œuvre indéfinissable un véritable hybride littéraire, un récit chargé d’un lyrisme exubérant, un poème en prose, un texte où la poésie se révèle comme un chant total à la vie. La fraîcheur, le désir de vivre, l’hédonisme naturel qui émane du texte prend une plus grande importance dans la trajectoire littéraire de Max Aub si l’on considère le contexte historique et personnel dans lequel il a été écrit. Ce livre, écourté par le début de la guerre civile, marque une première étape créatrice ...
"Es, de pronto. Ya. Surte, rompe las nieblas del blando sueño del amanecer ya tibio. Todo, como estaba; la noche pasó volando, sin huella.
Nada sorprende tras el repente del día ya hecho. Al despertar no hay quien lo coja: dándose cuenta ya fue.
Sí, está en la playa: en la casa de la playa.
Lo primero que percibe, es la presión de la sábana en el pulgar de su pie derecho: lo tumba, lo aparta hacia un lado, siente el frescor del lienzo limpio. Extraña la penumbra, hecho a la mayor oscuridad de su cuarto de la ciudad. Las fallebas se hinchan, pegajosas, rezumando resina. El sol, de poco nacido, embija los nudos de la madera de pino de las contraventanas. Sombra caliente. Ahora, despacio, separa la pierna izquierda hasta formar su mayor ángulo con la derecha. La suave temperie de lo inhollado asciende por las pantorrillas, como si atravesara un vado. Entonces, movimiento brusco, da media vuelta a la derecha, se vuelca sobre su costado. Siente su perfil en la almohada, una línea de hilo. Enrique todavía no ha pensado en nada. Cree que no ha pensado en nada. ¿Tiene sueño? Indaga y no se contesta. Cierra los ojos y piensa en lo que va a hacer. No tiene nada que hacer. Mullicie, Euritmia. Se encoge. Se desenrosca en seguida; alarga un brazo y toca el fresco encalado de la pared.
Nada más que lo que él quiera hacer. Placidez. Ocio deleitoso. Balsa de aceite. Da otra vuelta, pasa los brazos bajo la almohada. Se siente envallado por la cama, protegido. Los antebrazos gozan ahora la misma noción de frescura de que antes disfrutaban sus piernas. Debe de ser muy temprano. Alarga hacia las cuatro esquinas de la cama los veinte dedos de que dispone. Seguridad de que no puede llegar más lejos.
Toda esa superficie es él, no da más de sí. Intenta, con placentero esfuerzo, ganar unos centímetros, estirando en lo posible sus articulaciones, lanzando a fondo sus músculos; cree sentir sus tendones, las puntas de sus pies. ¿Cuánto medirá su cruz? No se interesa en calcularlo. Quietud. Dulce apacibilidad. Descanso. ¿Qué es el despertar? Se ausenta el sueño sin sentirlo, vuelve a serse; regresa el pensamiento ido. Silencio de adentro y de afuera. Cerrar los ojos no basta para reaprender y reemprender el sueño. Además, ¿para qué?
Sigue siendo el que fue, dulce continuidad. Vive. Abre los ojos al alba del día. Está en lo cierto. Sosiego. Mano a mano con el ocio, largas las horas tendidas al frente. Hiedra, lirón; descubrir, descansando, queda el alma, sin fuerza los músculos, que la ventana es una ventana, y que el sol tibio saluda sin trabas. Dulce cansancio del descanso. El techo es igual a ayer: aquel ligero desconchado, con su partícula a medio desprender, desde que la vio. Bienestar siempre blanco. El colodrillo en la almohada limpia; las sábanas limpias, las paredes limpias, el sol limpio. Todavía no han nacido las moscas. Serenidad. Ponerse el traje de baño, y al mar. Al mar, qué ahora oye, sordo. Las olillas de casi nada, lamiendo la arena fina; ocre, por mojada; pajiza, dos pasos más arriba. Enrique descubre el Mediterráneo y echa una pierna fuera de la cama.
"C'est le cas, tout d'un coup. Déjà. Surte, rompre les brumes du doux sommeil de l'aube déjà chaude. Tout, comme c'était ; la nuit a filé, sans trace.
Rien ne surprend après la soudaineté du jour déjà fait. Quand il se réveille, il n'y a personne pour le rattraper : il est déjà parti.
Oui, il est sur la plage : dans la maison de la plage.
La première chose qu'il remarque est la pression du drap sur le pouce de son pied droit : il le tire vers le bas, l'écarte, sent la fraîcheur de la toile propre. La pénombre lui manque, rendue à la plus grande obscurité de sa chambre en ville. Les espagnolettes gonflent, collantes, suintantes de résine. Le soleil, pas encore né, fragilise les nœuds de la pinède des volets. Ombre chaude. Maintenant, lentement, lentement, il écarte sa jambe gauche pour former avec la droite l'angle le plus large. Le doux tempérament de l'inhollado remonte le long des mollets, comme s'il traversait un gué. Puis, d'un mouvement brusque, il se tourne à moitié vers la droite, se retourne sur le côté. Il sent son profil sur l'oreiller, une ligne de fil. Henry n'a toujours pas pensé à quoi que ce soit. Il pense qu'il n'a pensé à rien. A-t-il sommeil ? Il s'interroge et ne se répond pas. Il ferme les yeux et réfléchit à ce qu'il va faire. Il n'a rien à faire. Mullicie, Eurythmie. Il recule. Il se déroule aussitôt, tend un bras et touche le mur frais, blanchi à la chaux.
Rien d'autre que ce qu'il veut faire. Placidité. Loisir délicieux. Radeau de pétrole. Il se retourne, met ses bras sous l'oreiller. Il se sent enveloppé par le lit, protégé. Ses avant-bras bénéficient maintenant de la même notion de fraîcheur que ses jambes. Il doit être très tôt. Il tend ses vingt doigts vers les quatre coins du lit. Il est certain de ne pas pouvoir aller plus loin.
Il n'y a que lui à la surface, il ne peut pas aller plus loin. Il essaie, dans un effort agréable, de gagner quelques centimètres, en étirant ses articulations au maximum, en lançant ses muscles à fond ; il croit sentir ses tendons, la pointe de ses orteils. Quelle sera la longueur de son garrot ? Le calcul ne l'intéresse pas. L'immobilité. Douceur. Le repos. Qu'est-ce que l'éveil ? Le sommeil est absent sans qu'on le sente, il revient à l'être, la pensée disparue revient. Silence du dedans et du dehors. Il ne suffit pas de fermer les yeux pour réapprendre et recommencer le rêve. D'ailleurs, à quoi bon ?
C'est toujours ce que c'était, douce continuité. Vivre. Ouvrez les yeux à l'aube du jour. Il a raison. Le calme. Main dans la main avec les loisirs, les longues heures qui s'étirent devant. Lierre, loir ; découvrir, en se reposant, l'âme laissée, les muscles sans force, que la fenêtre est une fenêtre, et que le chaud soleil salue sans entrave. Douce lassitude du repos. Le plafond est le même qu'hier : ce léger écaillage, avec sa particule à demi enlevée, depuis qu'il l'a vu. Bien-être toujours blanc. Les fesses sur l'oreiller propre ; les draps propres, les murs propres, le soleil propre. Les mouches ne sont pas encore nées. Sérénité. Enfiler le maillot de bain, et à la mer. A la mer, qui maintenant entend, sourde. La petite sent presque rien, lèche le sable fin ; ocre, parce qu'il est mouillé ; paille, deux marches plus haut. Enrique découvre la Méditerranée et jette un pied hors du lit.
(...)