The World Of Science Fiction & CyberPunk - William Gibson (1948), "Johnny Mnemonic" (1981), "Neuromancer" (1984), Count Zero" (1986), "Burning Chrome" (1986), "Mona Lisa Overdrive" (1988) , "All Tomorrow’s Parties" (1999), "Pattern Recognition" (2003), - ...
Last update: 12/12/2020
La Trilogie du Sprawl est un ensemble de trois romans cyberpunk écrits par William Gibson entre 1984 et 1988, "Neuromancer" (1984), "Count Zero" (1986) et "Mona Lisa Overdrive" (1988). Trois épisodes qui partagent un même univers dystopique, le Sprawl (une mégalopole tentaculaire s’étendant de Boston à Atlanta), et qui abordent des thèmes tels que le cyberespace (un univers virtuel où les "console cowboys" naviguent comme des pirates digitaux), les intelligences artificielles (des entités divinisées ou fragmentées qui manipulent humains et corporations), la fusion homme-machine (prosthèses, implants cérébraux, et identités modifiables), et un futur capitaliste sauvage, dominé par les mégacorporations et les mafias (yakuza, zaibatsus) ...
Et anticipe la financiarisation du web, les IA génératives, et la surveillance de masse...
Gibson n’a pas inventé le futur, mais a révélé ce qu'il pouvait être en toute continuité et logique de notre propre humanité ...
(illustration Jon Rafman, Dream journal, 2016)
Gibson décrit la technologie non pas comme un progrès propre, mais comme une violation violente du corps et de l’esprit : et si le futur n’était pas propre, mais un chaos capitaliste où l’humanité se perd dans ses propres créations ? C'est ainsi que "Neuromancer" est devenu un roman phare pour la science-fiction, mais aussi pour l'IMAGINATION contemporaine en soi. William Gibson a inventé le concept de "cyberespace" , un monde de techno-escrocs, de junkies défoncés, de sous-cultures bizarres, naviguant dans une réalité virtuelle en 3D, bien avant Internet tel qu’on le connaît. "La matrice" (The Matrix) chez Gibson est une hallucination consensuelle, un réseau global de données – une vision prophétique du Web immersif (métavers, réalité virtuelle). L'intrigue est centrée sur un pirate de la matrice appelé Case - un voleur de données qui pénètre illégalement dans les systèmes,jusqu'au jour où son "système nerveux" est détruit par un client qu'il a doublé. Incapable d'établir le contact avec une "plate-forme", il survit comme il peut dans les bas-fonds de Chiba City, au Japon. Le mystérieux Armitage, un homme d'affaires dont les motifs sont obscurs jusqu'au dénouement grisant de l'histoire, offre à Case la possibilité de recouvrer ses anciens pouvoirs...
Gibson écrit de plus dans un langage coup de poing, mélangeant argot high-tech, jargon corporatif et poésie noire. Phrases courtes, descriptions hallucinatoires : "Le ciel avait la couleur d’un téléviseur réglé sur une chaîne morte." Ambiance sombre, personnages marginaux, esthétique de la dystopie high-tech. Et malgré bien des tentatives depuis plus de 40 ans, aucun film n’a abouti (à cause de sa complexité narrative et visuelle).
Gibson reste un géant littéraire dont l'impact cinématographique est singulièrement indirect : ses adaptations officielles sont rares (et souvent imparfaites), reste son imaginaire qui a nourri des films majeurs (Gibson a avoué avoir paniqué en voyant "Blade Runner" pendant l'écriture de "Neuromancer", car les univers étaient si proches) ...
Gibson a composé "Neuromancer" sur une machine à écrire, en imaginant un monde où la technologie ne résout rien, mais exacerbe les inégalités...
La science-fiction des années 70 était dominée par des auteurs tels que J.G. Ballard (Crash) et Philip K. Dick (Ubik) qui ont inspiré Gibson par leurs visions paranoïaques de la technologie. Mais celui-ci, Gibson, fan de punk et de littérature underground, voulait un futur "sale, rapide et incontrôlé", à l’opposé des utopies technologiques de l’époque. Bien qu’écrit avant le web grand public, "Neuromancer" anticipe les réseaux globaux et Gibson s’est inspiré des jeux vidéo d’arcade et des hackers des années 80.
Enfin Gibson voulait écrire "un roman qui ressemblerait à un album des Clash", brutal, énergique, et politiquement chargé ...
Après le succès de "Neuromancer", Gibson développera son univers avec ..
- "Count Zero", qui introduit le vaudou numérique et les IA divinisées, s’inspirant des cultes afro-caribéens et de la fragmentation postmoderne.
- "Mona Lisa Overdrive", qui évoque la post-humanité, avec des personnages dont les consciences se dissolvent dans le virtuel.
William Gibson, "Neuromancer" (1984)
"The sky above the port was the color of television, tuned to a dead channel. "It’s not like I’m using," Case heard someone say, as he shouldered his way through the crowd around the door of the Chat. "It’s like my body’s developed this massive drug deiciency." It was a Sprawl voice and a Sprawl joke. The Chatsubo was a bar for professional expatriates; you could drink there for a week and never hear two words in Japanese. Ratz was tending bar, his prosthetic arm jerking monotonously as he illed a tray of glasses with draft Kirin. He saw Case and smiled, his teeth a web work of East European steel and brown decay..." - Chef de file de cette fameuse catégorie, le "cyberpunk movement", que l'on distingue au sein de la science-fiction, et qui depuis les début des années 1980 met en scène des antihéros nourris à la contre-culture et piégés dans un futur déshumanisé et high-tech, William Gibson (1948) a planté, depuis sa nouvelle "Johnny Mnemonic" (1981), un décor urbain, violent, froid, crasseux, dans lequel il faut survivre à tout prix et qu'alimente "un constant bruit de fond subliminal", pour reprendre les mots d'un autre auteur cyberpunk, Bruce Sterling, auteur de "Schismatrix" (1985). On peut citer de même John Shirley, avec "City Come A-Walkin" (1980), Lewis Shiner, "Deserted Cities of the Heart" (1988), Rudy Rucker, "The Secret of Life" (1985)....
"Messiness, not order, is the basic stuff of the universe..." - Ici les humains branchent leur cerveau dans le "cyberespace" (A consensual hallucination experienced daily by billions of legitimate operators, in every nation, by children being taught mathematical concepts), un monde virtuel médiatisé par ordinateur, et court le risque permanent de se perdre dans les méandres symboliques des toiles informatisées qui innervent le monde...
"Le ciel au-dessus du port était couleur télé sur un émetteur hors service", et Case, le héros de "Neuromancer", un pirate de l'informatique au cerveau directement branché sur des banques de données, un voleur de données qui pénètre illégalement dans les systèmes : jusqu'au jour où son système nerveux est détruit par un client qu'il a doublé. Dès lors incapable de pouvoir entrer en relation avec la moindre "plate-forme", il survit comme il peut dans les bas-fonds de Chiba City, au Japon. Un mystérieux homme d'affaires, aux motifs obscurs, Armitage, offre à Case la possibilité de recouvrer ses anciens pouvoirs. Voici le héros entraîné dans un combat contre la domination d'un monde contrôlé par de super-sociétés féodales, le voici en charge de percer la matrice du cyberespace du réseau informatique mondial, dans un monde de junkies défoncés et de sous-cultures étranges, crépusculaire, télévisuel, argotique et technologique, souvent désorientant. Au lecteur, immergé dans ce nouveau monde technologisé de découvrir le sens des choses, et d'y reconstruire son existence. "Count Zero" (1986) poursuit le schéma de "Neuromancer". Quant aux personnages de "Mona Lisa Overdrive" (1988), les voici pouvant "mourir" dans les ordinateurs, où ils peuvent soutenir ou saboter la réalité extérieure. William Gibson collabore avec Bruce Sterling sur "The Difference Engine" (1990), une histoire qui se déroule dans l'Angleterre victorienne, avant de reprendre la thématique du cyberespace dans "Virtual Light" (1993) ...
William Ford Gibson (1948)
Je ne suis pas un visionnaire. J’ai juste regardé ce que les gens faisaient dans l’ombre et j’ai extrapolé, a écrit William Gibson. Mais il atout juste inventé un langage pour notre XXIᵉ siècle et bien avant que nous ne vivions dans son monde. Que l'on utilise un smartphone, que l'on discute avec une IA, ou que l'on craigne la surveillance numérique, nous vivons déjà dans un roman de Gibson.
William Ford Gibson est né à Conway, Caroline du Sud, a grandi dans le Sud des États-Unis, et s'est réfugié dans la SF pulp (Astounding Science Fiction) pour échapper à un environnement conservateur. Fuyant la guerre du Vietnam, il s’installe à Vancouver (Canada) en 1968, ville qui inspirera l’esthétique urbaine du Sprawl. Fan de punk, de William S. Burroughs et de J.G. Ballard, il rejettera les utopies technologiques pour un futur noir, complexe et capitaliste.
Sa Trilogie du Sprawl (Neuromancer, Count Zero, Mona Lisa Overdrive) installe le cyberpunk dans notre imagination. La Trilogie de la Bridge (Virtual Light, Idoru, All Tomorrow’s Parties) s'attaque à un post-cyberpunk plus mature. "Pattern Recognition" (2003), premier roman "contemporain", anticipe l’ère des viralités internet. Le terme de "cyberespace" est inventé dans sa nouvelle "Burning Chrome" (1982), devenu la base d’Internet moderne, son style cinématographique est fait de phrases courtes, d'images chocs, et ses anti-héros marginaux sont des hackers, mercenaires, prostituées… des personnages en marge des systèmes de pouvoir. Contrairement à des figures comme Ray Kurzweil (théoricien de la singularité), il ne défend pas de doctrine techno-utopiste ou apocalyptique mais assume une position d'observateur critique et lucide, qui commente le monde actuel avec une distance ironique, sans tomber dans le prosélytisme (son site personnel (williamgibsonbooks.com) est sobre, sans manifestes).
Toujours actif, ses deux derniers romans, "The Peripheral" (2014) et "Agency" (2020) introduisent le concept de "stubs", des lignes temporelles alternatives créées par des interférences du futur dans le passé. Ces "stubs" offrent une réflexion sur la possibilité de changer le cours des événements, mais aussi sur les limites de telles interventions. Gibson semble suggérer que, même avec la connaissance du futur, les tentatives de modification du passé sont entravées par des structures de pouvoir et des intérêts établis.
C'est dire qu'au-delà de la science-fiction, Gibson utilise ces récits pour critiquer les dynamiques de pouvoir actuelles. Il met en lumière la manière dont les élites économiques et technologiques peuvent manipuler les systèmes à leur avantage, souvent au détriment du bien commun. Les romans questionnent également la résilience des institutions démocratiques face à des menaces internes et externes, soulignant la fragilité de nos structures sociales ...
Dans "The Peripheral" (2014), Gibson interroge le déterminisme technologique et historique,
- dans quelle mesure les actions entreprises depuis le futur peuvent-elles réellement influer sur le passé ou ne font-elles que créer d'autres futurs alternatifs tout aussi incertains ?
- quelles sont les conséquences imprévisibles de la technologie sur les structures sociales et économiques, et l’asymétrie entre ceux qui possèdent ces technologies et ceux qui en subissent les effets.
- quelles sont les questions éthiques liées aux interactions temporelles : qui détient le pouvoir réel lorsqu'une époque manipule une autre, et quelles en sont les conséquences morales et pratiques ?
et pour se faire utilise un dispositif narratif basé sur un « futur bifurqué » composé de deux époques distinctes, mais reliées par une technologie avancée (stubs) qui permet une forme de communication et d'interaction entre elles ..
- Flynne Fisher (années 2030)
Cette époque représente un futur proche situé dans une petite ville américaine marquée par le déclin économique, les drogues, la précarité, les drones militaires, et une technologie en évolution rapide mais chaotique. C’est une version crédible et alarmante de notre monde contemporain, affectée par une stagnation économique et sociale.
- Wilf Netherton (environ 2100)
Cette époque est située après ce que Gibson appelle le « Jackpot » : une série de catastrophes (écologiques, pandémies, conflits géopolitiques) ayant provoqué la disparition massive d’une grande partie de la population mondiale (Ce "Jackpot" n'est pas le résultat d'une apocalypse soudaine, mais plutôt d'un enchaînement de négligences et d'indifférences collectives). Le monde de Wilf est technologiquement très avancé, sophistiqué, mais froid et presque vidé de sa substance humaine, peuplé principalement par une élite restreinte utilisant des technologies extrêmes (intelligence artificielle avancée, nanotechnologies, réalités simulées).
Les interactions ne sont pas uniquement limitées à la communication : les personnages du futur peuvent intervenir dans le passé alternatif de Flynne, influençant ainsi directement le déroulement des événements, mais créant simultanément une bifurcation temporelle irréversible — un nouveau « stub ».
L'auteur suggère ainsi que ce futur sombre est une extension logique de notre présent, mettant en garde contre les dangers de l'inaction face aux crises actuelles.
Dans "Agency" (2020), Gibson approfondit la notion d'« agency » (capacité d'agir) en introduisant Eunice, une intelligence artificielle avancée. Les personnages humains, notamment Verity, semblent souvent guidés, voire manipulés, par des forces qu'ils ne comprennent pas pleinement, qu'il s'agisse d'algorithmes ou d'entités puissantes . Cette dynamique soulève des questions sur la véritable autonomie des individus dans un monde dominé par des systèmes complexes et opaques.
"Agency" (2020) s’inscrit donc dans le même univers narratif que "The Peripheral" et partage des éléments comme le concept de lignes temporelles alternatives (les « stubs »).
L’agence (« Agency »), que signifie réellement « avoir la capacité d’agir » dans un monde dominé par des technologies et des intérêts souvent opaques et incontrôlables. Eunice symbolise ce questionnement : elle est une IA dont l’autonomie dépasse celle des humains, remettant ainsi en cause l’idée même de libre arbitre et de souveraineté humaine. Des technologies modernes (IA, réseaux sociaux, algorithmes) qui, une fois libérées, prennent une dynamique propre, échappant souvent à la compréhension et au contrôle humains.
Gibson se servira de l’élection présidentielle alternative de Clinton en 2016 pour explorer un « what if ? » fascinant, révélant les tensions politiques profondes qui caractérisent notre époque contemporaine...
- 2017 alternatif (un "stub") ...
L'histoire démarre dans un passé récent alternatif (un « stub » créé par des interventions du futur), où Hillary Clinton a remporté l'élection présidentielle de 2016 aux États-Unis, empêchant ainsi l'élection de Trump. Ce choix narratif permet à Gibson d’explorer des questions politiques contemporaines d’une façon indirecte mais incisive, tout en conservant une distance critique.
- Futur (XXIIe siècle, Londres) ...
Un second fil narratif se déroule à Londres, dans le futur après le « Jackpot » décrit dans The Peripheral. Ici, la société est toujours dominée par une élite technologiquement surpuissante mais profondément isolée et dépeuplée par les crises climatiques et sociales passées.
Et une intrigue centrale,
Dans l'époque de 2017 alternatif ..
Verity Jane, protagoniste principale, est une jeune consultante en nouvelles technologies. Elle est engagée pour tester une intelligence artificielle d’un type radicalement nouveau : Eunice, une IA autonome et dotée d’une capacité exceptionnelle à influencer les événements du monde réel.
Rapidement, Verity découvre qu'Eunice est bien plus sophistiquée qu’elle ne le pensait. L’IA ne se limite pas à une interaction passive ; elle commence à prendre activement des initiatives, influençant les marchés financiers, les conflits internationaux, et prenant même contact avec d’autres personnages-clés pour orienter les événements mondiaux.
Eunice devient un enjeu politique majeur. Plusieurs factions (services secrets, grandes entreprises technologiques, intérêts militaires, etc.) cherchent à contrôler ou à neutraliser cette IA, craignant ses capacités potentiellement révolutionnaires ou dangereuses.
Dans le futur ...
Wilf Netherton, que l’on retrouve de The Peripheral, ainsi que d’autres personnages clés du premier roman, continuent à surveiller et à interagir avec ce nouveau « stub » (l'époque de Verity et Eunice). Leurs intérêts résident dans l’influence discrète des événements du passé alternatif afin d’éviter que ce nouveau monde ne sombre dans un « jackpot » similaire ou pire encore que celui qu’ils ont eux-mêmes vécu. Ils devront affronter la complexité éthique et pratique d’une telle intervention temporelle, tout en gérant les implications inattendues provoquées par Eunice...
"Johnny Mnemonic", William Gibson (1981)
Un pilier du cyberpunk, illustrant le style visionnaire de Gibson et son influence sur la science-fiction moderne ..
Johnny is a courier. He carries other people’s memories, millions of them, downloaded into his brain (Johnny est un messager. Il transporte les souvenirs d’autres personnes, des millions d’entre eux, téléchargés dans son cerveau) -" Johnny Mnemonic" est une nouvelle de science-fiction cyberpunk écrite par William Gibson, initialement publiée dans Omni Magazine et intégrée plus tard dans le recueil Burning Chrome (1986). Elle se déroule dans un futur dystopique (la dystopie évoque les conséquences de l’augmentation cybernétique sur l’identité humaine) où la technologie et le crime organisé dominent la société...
Dans un monde où les données sont une marchandise précieuse, Johnny est un "mnémonicien" (ou courrier de données), un professionnel modifié cybernétiquement pour transporter des informations sensibles dans son cerveau augmenté. Son implant lui permet de stocker des données cryptées, mais au prix d’effacer une partie de ses propres souvenirs.
La mission risquée : Johnny accepte un contrat pour transporter une cargaison de données ultra-confidentielles pour le compte d’un puissant client. La quantité d’informations dépasse sa capacité habituelle, l’obligeant à supprimer ses propres souvenirs d’enfance pour libérer de l’espace.
Après la livraison, son employeur tente de le faire assassiner pour éliminer tout témoin. Johnny comprend que les données qu’il a transportées sont bien plus sensibles que prévu et attirent l’attention de la Yakuza (mafia japonaise) et d’autres factions criminelles.
La rencontre avec Molly Millions : En fuite, Johnny croise la route de Molly, une razorgirl mercenaire équipée de lames rétractables sous les ongles et d’implants oculaires. Elle le prend sous son aile et l’aide à survivre.
Le mystère des données (les informations sont une arme, et les corporations comme le crime organisé se battent pour les monopoliser) : Les informations stockées dans la tête de Johnny s’avèrent être des secrets médicaux volés à Pharmakom, une méga-corporation pharmaceutique. Ces données pourraient révéler un traitement contre le Sydrome Nerveux de l’Immunité Acquise (SNIA), une maladie dévastatrice.
L’affrontement final : Traqué par la Yakuza et des tueurs professionnels, Johnny et Molly trouvent refuge chez un mystérieux dolphin hacker (un dauphin génétiquement modifié capable de manipuler des données). Avec son aide, Johnny parvient à extraire et décrypter les informations avant d’effacer définitivement la cargaison de sa mémoire.
La conclusion : Libéré du fardeau des données, Johnny retrouve une partie de ses souvenirs perdus, tandis que Molly disparaît dans les bas-fonds de la ville. L’histoire se termine sur une note ambiguë, laissant planer le doute sur l’avenir des personnages dans ce monde impitoyable.
"I put the shotgun in an Adidas bag and padded it out with four pairs of tennis socks, not my style at all, but that was what I was aiming for: If they think you're crude, go technical; if they think you're technical, go crude. I'm a very technical boy. So I decided to get as crude as possible. These days, thought, you have to be pretty technical before you can even aspire to crudeness. I'd had to turn both those twelve-gauge shells from brass stock, on the lathe, and then load then myself; I'd had to dig up an old microfiche with instructions for hand-loading cartidges; I'd had to build a lever-action press to seat the primers -all very tricky. But I knew they'd work.
The meet was set for the Drome at 2300, but I rode the tube three stops past the closest platform and walked back. Immaculate procedure. I checked myself out in the chrome siding of a coffee kiosk, your basic sharp-faced Caucasoid with a ruff of stiff, dark hair. The girls at Under the Knife were big on Sony Mao, and it was getting harder to keep them from adding the chic suggestion of epicanthic folds. It probably wouldn't fool Ralfi Face, but it might get me next to his table.
The Drome is a single narrow space with a bar down one side and tables along the other, thick with pimps and handlers and a arcame array of dealers. The Magnetic Dog Sisters were on the door that night, and I didn't relish trying to get out past them if things didn't work out. They were two meters tall and thin as greyhounds. One was black and the other white, but aside from that they were as nearly identical as cosmetic surgery could make them. They'd been lovers for years and were bad news in the tussle. I was never quite sure which one had originally been male.
Ralfi was sitting at his usual table. Owing me a lot of money. I had hundreds of megabytes stashed in my head on an idiot.savant basis information I had no conscious access to. Ralfi had left it there. He hadn't, however, came back for it. Only Ralfi could retrieve the data, with a code phrase of his own invention. I'm not cheap to begin with, but my overtime on storage is astronomical. And Ralfi had been very scarce.
Then I'd heard that Ralfi Face wanted to put out a contract on me. So I'd arranged to meet him in the Drome, but I'd arranged it as Edward Bax, clandestine importer, late of Rio and Peking.
The Drome stank of biz, a metallic tang of nervous tension. Muscle-boys scattered through the crowd were flexing stock parts at one another and trying on this, cold grins, some of them so lost under superstructures of muscle graft that their outlines weren't really human. Pardon me. Pardon me, friends. Just Eddie Bax here, Fast Eddie the Importer, with his professionally nondescript gym bag, and please ignore this shit, just wide enough to admit his right hand.
Ralfi wasn't alone. Eighty kilos of blond California beef perched alerty in the chair next to his, martial arts written all over him.
Fast Eddie Bax was in the chair opposite them before the beef's hands were off the table. 'You black belt?' I asked eagerly. He nodded, blue eyes running an automatic scanning pattern between my eyes and my hands. 'Me too,' I said. 'Got mine here in the bag.' And I shoved my hand through the slit and thumbed the safety off. Click. 'Double twelve-gauge with the triggers wired together.'
'That's a gun', 'Ralfi said, putting a plump. restraining hand on his boy's taut blue nylon chest. 'Johnny has a antique firearm in his bag.' So much for Enward Bax.
"« Je glissai le fusil à pompe dans un sac Adidas que je rembourrai avec quatre paires de chaussettes de tennis – pas du tout mon style, mais c’est ce que je recherchais : s’ils te croient brutal, sois technique ; s’ils te croient technique, sois brutal. Moi, je suis un garçon très technique. Alors j’ai décidé de devenir aussi brutal que possible. Mais de nos jours, il faut déjà être sacrément technique pour prétendre à la brutalité. J’avais dû tourner ces deux cartouches de calibre 12 à partir de laiton brut, sur le tour, puis les charger moi-même ; j’avais dû déterrer une vieille microfiche avec les instructions pour recharger les munitions à la main ; j’avais dû fabriquer une presse à levier pour enclencher les amorces – tout ça très délicat. Mais je savais que ça marcherait.
*Le rendez-vous était fixé au Drome à 23h, mais je descendis du métro trois stations après la plus proche et revins à pied. Procédure irréprochable. Je me vérifiai dans le revêtement chromé d’un kiosque à café : votre Caucasien au visage anguleux et à la tignasse raide et noire, basique. Les filles de Under the Knife raffolaient du style Sony Mao, et il devenait difficile de les empêcher d’ajouter la touche chic des plis épicanthiques. Ça ne duperait sans doute pas Ralfi Face, mais ça me permettrait peut-être d’approcher sa table.*
Le Drome était un espace étroit, avec un bar d’un côté et des tables de l’autre, grouillant de proxos, de rabatteurs et de dealers en tout genre. Ce soir-là, les Magnetic Dog Sisters montaient la garde à l’entrée, et je n’avais aucune envie de devoir leur passer devant si les choses tournaient mal. Elles faisaient deux mètres et étaient minces comme des lévriers. L’une était noire, l’autre blanche, mais à part ça, la chirurgie esthétique les avait rendues presque identiques. Elles étaient amantes depuis des années et formaient un duo redoutable dans la bagarre. Je n’avais jamais su laquelle des deux était à l’origine un homme.
Ralfi était assis à sa table habituelle. Il me devait une sacrée somme. J’avais des centaines de mégaoctets planqués dans mon crâne, stockés en mode idiot savant – des données auxquelles je n’avais pas accès consciemment. C’était Ralfi qui les y avait laissées. Sauf qu’il n’était jamais revenu les chercher. Seul Ralfi pouvait récupérer les données, avec une phrase-code de son invention. Je ne suis pas bon marché de base, mais mes tarifs de stockage prolongé sont astronomiques. Et Ralfi s’était fait rare.
Puis j’avais appris que Ralfi Face voulait mettre une prime sur ma tête. Alors j’avais organisé ce rendez-vous au Drome, mais sous le nom d’Edward Bax, importateur clandestin, récemment de Rio et Pékin.
Le Drome puait le business, une odeur métallique de tension nerveuse. Des muscles disséminés dans la foule se toisaient mutuellement en testant des sourires glaçants, certains tellement déformés par des greffes de tissus musculaires qu’ils n’avaient plus vraiment silhouette humaine. Pardon. Pardon, les gars. Juste Eddie Bax ici, Fast Eddie l’Importateur, avec son sac de sport professionnellement banal, et merci d’ignorer cette merde, juste assez large pour y glisser la main droite.
Ralfi n’était pas seul. Quatre-vingts kilos de blondinet californien trônaient à côté de lui, les arts martiaux écrits sur tout son corps.
*Fast Eddie Bax était dans le siège en face d’eux avant même que le blondinet n’ait retiré ses mains de la table.
— "Tu es ceinture noire ?" demandai-je avec un enthousiasme feint.
Il hocha la tête, ses yeux bleus balayant mécaniquement mes yeux puis mes mains.
— "Moi aussi", dis-je. "Je l’ai dans le sac."
Et j’enfonçai ma main dans l’ouverture, désactivant la sécurité. Click.
— "Double calibre 12, avec les détentes reliées."
— "C’est un flingue", fit Ralfi en posant une main potelée sur le torse gainé de nylon bleu de son garde du corps. "Johnny a une arme à feu antique dans son sac."
Adieu, Edward Bax. »
(...)
La nouvelle "Johnny Mnemonic" a été adaptée au cinéma en 1995 et réalisé par Robert Longo, avec Keanu Reeves dans le rôle de Johnny, un film culte malgré ses limites (budget serré, effets spéciaux datés). Gibson a exprimé des réserves sur le résultat final, malgré son implication.
William Gibson, "Neuromancer" (1984)
"Neuromancer" est le roman fondateur du cyberpunk, un chef-d'œuvre de William Gibson qui a redéfini la science-fiction. Prix Nebula, Hugo et Philip K. Dick en 1985, il imagine un futur dystopique où la technologie a corrompu les sociétés, dominées par des mégacorporations et des hackers marginaux. Son style viscéral, ses néologismes (cyberspace, matrix) et sa vision d’un monde hyperconnecté mais désenchanté en font un pilier culturel. Il Inspira Matrix, Cyberpunk 2077, et toute la culture hacker...
Le passage le plus célèbre du roman, régulièrement cité comme représentatif de l'esthétique cyberpunk, «The sky above the port was the color of television, tuned to a dead channel», un début est devenu iconique pour sa capacité à condenser immédiatement l'ambiance de cette dystopie urbaine...
"THE SKY ABOVE the port was the color of television, tuned to a dead channel. “It’s not like I’m using,” Case heard someone say, as he shouldered his way through the crowd around the door of the Chat. “It’s like my body’s developed this massive drug deficiency.” It was a Sprawl voice and a Sprawl joke. The Chatsubo was a bar for professional expatriates; you could drink there for a week and never hear two words in Japanese.
Ratz was tending bar, his prosthetic arm jerking monotonously as he filled a tray of glasses with draft Kirin. He saw Case and smiled, his teeth a webwork of East European steel and brown decay. Case found a place at the bar, between the unlikely tan on one of Lonny Zone’s whores and the crisp naval uniform of a tall African whose cheekbones were ridged with precise rows of tribal scars. “Wage was in here early, with two joeboys,” Ratz said, shoving a draft across the bar with his good hand. “Maybe some business with you, Case?”
Case shrugged. The girl to his right giggled and nudged him. The bartender’s smile widened. His ugliness was the stuff of legend. In an age of affordable beauty, there was something heraldic about his lack of it. The antique arm whined as he reached for another mug. It was a Russian military prosthesis, a seven-function force-feedback manipulator, cased in grubby pink plastic. “You are too much the artiste, Herr Case.” Ratz grunted; the sound served him as laughter. He scratched his overhang of white-shirted belly with the pink claw. “You are the artiste of the slightly funny deal.” “Sure,” Case said, and sipped his beer. “Somebody’s gotta be funny around here. Sure the fuck isn’t you.”
The whore’s giggle went up an octave.
“Isn’t you either, sister. So you vanish, okay? Zone, he’s a close personal friend of mine.”
She looked Case in the eye and made the softest possible spitting sound, her lips barely moving. But she left.
“Jesus,” Case said, “what kinda creepjoint you running here? Man can’t have a drink.”
“Ha,” Ratz said, swabbing the scarred wood with a rag. “Zone shows a percentage. You I let work here for entertainment value.”
As Case was picking up his beer, one of those strange instants of silence descended, as though a hundred unrelated conversations had simultaneously arrived at the same pause. Then the whore’s giggle rang out, tinged with a certain hysteria.
Ratz grunted. “An angel passed.”
“The Chinese,” bellowed a drunken Australian, “Chinese bloody invented nerve-splicing. Give me the mainland for a nerve job any day. Fix you right, mate. . . .”
“Now that,” Case said to his glass, all his bitterness suddenly rising in him like bile, “that is so much bullshit.”
THE JAPANESE HAD already forgotten more neurosurgery than the Chinese had ever known. The black clinics of Chiba were the cutting edge, whole bodies of technique supplanted monthly, and still they couldn’t repair the damage he’d suffered in that Memphis hotel.
A year here and he still dreamed of cyberspace, hope fading nightly. All the speed he took, all the turns he’d taken and the corners he’d cut in Night City, and still he’d see the matrix in his sleep, bright lattices of logic unfolding across that colorless void. . . . The Sprawl was a long strange way home over the Pacific now, and he was no console man, no cyberspace cowboy. Just another hustler, trying to make it through. But the dreams came on in the Japanese night like livewire voodoo, and he’d cry for it, cry in his sleep, and wake alone in the dark, curled in his capsule in some coffin hotel, his hands clawed into the bedslab, temperfoam bunched between his fingers, trying to reach the console that wasn’t there.
LE CIEL au-dessus du port avait la couleur d’un téléviseur réglé sur une chaîne morte.
— C’est pas comme si je me droguais, entendit Case dire quelqu’un, tandis qu’il se frayait un chemin à travers la foule massée devant l’entrée du Chat.
— C’est comme si mon corps avait développé un énorme déficit en drogues.
C’était une voix de la Sprawl, une blague de la Sprawl. Le Chatsubo était un bar pour expatriés professionnels ; on pouvait y boire une semaine sans entendre deux mots de japonais.
Ratz était au comptoir, son bras prosthétique s’activant par saccades monotones tandis qu’il remplissait un plateau de chopes de Kirin pression. Il aperçut Case et sourit, ses dents un réseau d’acier est-européen et de pourriture brune. Case trouva une place au bar, entre le bronzage improbable d’une des putes de Lonny Zone et l’uniforme naval impeccable d’un grand Africain dont les pommettes étaient striées de rangées précises de cicatrices tribales.
— Wage est passé plus tôt, avec deux joeboys, dit Ratz en poussant une chope vers Case de sa main valide. Peut-être une affaire avec toi, Case ?
Case haussa les épaules. La fille à sa droite gloussa et le poussa du coude. Le sourire du barman s’élargit. Sa laideur était légendaire. À une époque où la beauté était abordable, son absence avait quelque chose d’héraldique. Son antique bras mécanique grinça quand il attrapa une autre chope. C’était une prothèse militaire russe, un manipulateur à retour de force à sept fonctions, gainé de plastique rose crasseux.
— Tu es trop l’artiste, Herr Case.
Ratz grogna ; ce bruit lui tenait lieu de rire. Il se gratta le ventre débordant de sa chemise blanche avec sa pince rose.
— Tu es l’artiste de la combine un peu louche.
— Ouais, dit Case en buvant une gorgée de bière. Faut bien que quelqu’un soit marrant ici. Et c’est sûr que c’est pas toi.
Le gloussement de la pute monta d’une octave.
— Ni toi non plus, ma sœur. Alors disparais, d’accord ? Zone, c’est un pote très proche.
Elle regarda Case dans les yeux et fit le bruit le plus doux possible d’un crachat, ses lèvres bougeant à peine. Mais elle partit.
— Putain, dit Case, quel genre de bouge tu tiens ici ? Un mec peut même pas boire un verre.
— Ha, fit Ratz en essuyant le bois éraflé du comptoir avec un torchon. Zone me reverse un pourcentage. Toi, je te laisse bosser ici pour ta valeur divertissante.
Alors que Case reprenait sa bière, un de ces étranges instants de silence tomba, comme si cent conversations sans rapport avaient atteint simultanément la même pause. Puis le rire de la pute retentit, teinté d’une certaine hystérie.
Ratz grogna.
— Un ange est passé.
— Les Chinois, brailla un Australien ivre, les Chinois ont carrément inventé la suture nerveuse. Donnez-moi un hôpital du continent pour une opération des nerfs, n’importe quand. Ils vous arrangent, mon pote...
— Ça, dit Case à son verre, toute son amertume remontant soudain en lui comme de la bile, c’est vraiment n’importe quoi.
LES JAPONAIS avaient déjà oublié plus de neurochirurgie que les Chinois n’en avaient jamais connu. Les cliniques noires de Chiba étaient à la pointe, des pans entiers de techniques remplacés chaque mois, et pourtant ils n’avaient pas pu réparer les dégâts qu’il avait subis dans cet hôtel de Memphis.
Un an ici, et il rêvait encore du cyberspace, l’espoir s’amenuisant chaque nuit. Toute la came qu’il avait prise, tous les virages qu’il avait négociés et les coins qu’il avait coupés à Night City, et pourtant il voyait encore la matrice dans son sommeil, de brillantes structures logiques se déployant dans ce vide incolore... La Sprawl était un long et étrange chemin de retour au-delà du Pacifique maintenant, et il n’était plus un as du clavier, plus un cow-boy du cyberspace. Juste un arnaqueur de plus, essayant de survivre. Mais les rêves survenaient dans la nuit japonaise comme un vaudou électrique, et il en pleurait, pleurait dans son sommeil, et se réveillait seul dans le noir, recroquevillé dans sa capsule d’hôtel-cercueil, les mains crispées sur le matelas, la mousse à mémoire de forme froissée entre ses doigts, essayant d’atteindre le clavier qui n’était pas là.
“I SAW YOUR girl last night,” Ratz said, passing Case his second Kirin.
“I don’t have one,” he said, and drank.
“Miss Linda Lee.”
Case shook his head.
“No girl? Nothing? Only biz, friend artiste? Dedication to commerce?” The bartender’s small brown eyes were nested deep in wrinkled flesh. “I think I liked you better, with her. You laughed more. Now, some night, you get maybe too artistic; you wind up in the clinic tanks, spare parts.” “You’re breaking my heart, Ratz.” He finished his beer, paid and left, high narrow shoulders hunched beneath the rain-stained khaki nylon of his windbreaker. Threading his way through the Ninsei crowds, he could smell his own stale sweat.
CASE WAS TWENTY-FOUR. At twenty-two, he’d been a cowboy, a rustler, one of the best in the Sprawl. He’d been trained by the best, by McCoy Pauley and Bobby Quine, legends in the biz. He’d operated on an almost permanent adrenaline high, a byproduct of youth and proficiency, jacked into a custom cyberspace deck that projected his disembodied consciousness into the consensual hallucination that was the matrix. A thief, he’d worked for other, wealthier thieves, employers who provided the exotic software required to penetrate the bright walls of corporate systems, opening windows into rich fields of data.
He’d made the classic mistake, the one he’d sworn he’d never make. He stole from his employers. He kept something for himself and tried to move it through a fence in Amsterdam. He still wasn’t sure how he’d been discovered, not that it mattered now. He’d expected to die, then, but they only smiled. Of course he was welcome, they told him, welcome to the money. And he was going to need it. Because—still smiling—they were going to make sure he never worked again.
They damaged his nervous system with a wartime Russian mycotoxin. Strapped to a bed in a Memphis hotel, his talent burning out micron by micron, he hallucinated for thirty hours.
The damage was minute, subtle, and utterly effective.
For Case, who’d lived for the bodiless exultation of cyberspace, it was the Fall. In the bars he’d frequented as a cowboy hotshot, the elite stance involved a certain relaxed contempt for the flesh. The body was meat. Case fell into the prison of his own flesh.
HIS TOTAL ASSETS were quickly converted to new Yen, a fat sheaf of the old
paper currency that circulated endlessly through the closed circuit of the world’s black markets like the seashells of the Trobriand islanders. It was difficult to transact legitimate business with cash in the Sprawl; in Japan, it was already illegal.
In Japan, he’d known with a clenched and absolute certainty, he’d find his cure. In Chiba. Either in a registered clinic or in the shadowland of black medicine. Synonymous with implants, nerve-splicing, and microbionics, Chiba was a magnet for the Sprawl’s techno-criminal subcultures. In Chiba, he’d watched his New Yen vanish in a two-month round of examinations and consultations. The men in the black clinics, his last hope, had admired the expertise with which he’d been maimed, and then slowly shaken their heads.
Now he slept in the cheapest coffins, the ones nearest the port, beneath the quartz-halogen floods that lit the docks all night like vast stages; where you couldn’t see the lights of Tokyo for the glare of the television sky, not even the towering hologram logo of the Fuji Electric Company, and Tokyo Bay was a black expanse where gulls wheeled above drifting shoals of white styrofoam. Behind the port lay the city, factory domes dominated by the vast cubes of corporate arcologies. Port and city were divided by a narrow borderland of older streets, an area with no official name. Night City, with Ninsei its heart. By day, the bars down Ninsei were shuttered and featureless, the neon dead, the holograms inert, waiting, under the poisoned silver sky.
« J’AI VU TA FILLE hier soir, » dit Ratz en tendant à Case sa deuxième Kirin.
« J’en ai pas, » répondit-il avant de boire.
« Mademoiselle Linda Lee. »
Case secoua la tête.
« Pas de fille ? Rien ? Que du bizness, mon pote artiste ? Dédié au commerce ? » Les petits yeux marron du barman étaient enfouis dans des replis de chair ridée. « Je crois que je te préférais avec elle. Tu riais plus. Là, un de ces soirs, tu vas peut-être pousser l’artiste trop loin ; tu finiras en pièces détachées dans les cuves d’une clinique. »
« Tu me brises le cœur, Ratz. » Il termina sa bière, paya et partit, ses épaules étroites et hautes voûtées sous le nylon kaki taché de pluie de sa veste. En se faufilant parmi la foule de Ninsei, il pouvait sentir sa propre sueur rance.
CASE AVAIT VINGT-QUATRE ANS. À vingt-deux ans, il avait été un cowboy, un voleur, l’un des meilleurs de la Sprawl. Il avait été formé par les meilleurs : McCoy Pauley et Bobby Quine, des légendes du métier. Il fonctionnait en permanence sous adrénaline, un sous-produit de la jeunesse et du talent, branché à un deck de cyberspace sur mesure qui projetait sa conscience désincarnée dans l’hallucination collective qu’était la matrice. Voleur, il avait travaillé pour d’autres voleurs plus riches, des employeurs qui fournissaient les logiciels exotiques nécessaires pour percer les murs lumineux des systèmes corporatistes, ouvrant des fenêtres sur des champs de données juteux.
Il avait fait l’erreur classique, celle qu’il avait juré de ne jamais commettre. Il avait volé ses employeurs. Il avait gardé quelque chose pour lui et avait tenté de l’écouler via un receleur à Amsterdam. Il ne savait toujours pas comment il s’était fait prendre, mais ça n’avait plus d’importance maintenant. Il s’était attendu à mourir, mais ils avaient seulement souri. Bien sûr, il était le bienvenu, lui dirent-ils, le bienvenu pour l’argent. Et il en aurait besoin. Parce que — toujours souriants — ils allaient s’assurer qu’il ne retravaille plus jamais.
Ils avaient endommagé son système nerveux avec une mycotoxine russe de guerre. Attaché à un lit dans un hôtel de Memphis, son talent brûlé micron par micron, il avait halluciné pendant trente heures.
Les dégâts étaient infimes, subtils, et totalement efficaces.
Pour Case, qui avait vécu pour l’exaltation désincarnée du cyberspace, c’était la Chute. Dans les bars qu’il fréquentait en tant que cowboy star, la posture d’élite impliquait un certain mépris détaché pour la chair. Le corps n’était que viande. Case était tombé dans la prison de sa propre chair.
SES ACTIFS TOTAUX furent rapidement convertis en nouveaux yens, une liasse épaisse de l’ancien papier-monnaie qui circulait sans fin dans le circuit fermé des marchés noirs mondiaux, comme les coquillages des îles Trobriand. Dans la Sprawl, il était difficile de faire des affaires légitimes en liquide ; au Japon, c’était déjà illégal.
Au Japon, il avait su, avec une certitude absolue et serrée, qu’il trouverait son remède. À Chiba. Soit dans une clinique enregistrée, soit dans les limbes de la médecine noire. Synonyme d’implants, de suture nerveuse et de microbionique, Chiba était un aimant pour les sous-cultures techno-criminelles de la Sprawl. À Chiba, il avait regardé ses nouveaux yens disparaître en deux mois d’examens et de consultations. Les hommes des cliniques noires, son dernier espoir, avaient admiré l’expertise avec laquelle il avait été mutilé, puis avaient lentement secoué la tête.
Maintenant, il dormait dans les cercueils les moins chers, ceux les plus proches du port, sous les projecteurs au quartz-halogène qui éclairaient les docks toute la nuit comme des scènes géantes ; là où on ne pouvait même pas voir les lumières de Tokyo à cause de la lueur du ciel télévisuel, pas même l’immense logo holographique de Fuji Electric, et où la baie de Tokyo n’était qu’une étendue noire où les mouettes tournoyaient au-dessus de bancs de polystyrène blanc dérivant. Derrière le port s’étendait la ville, les dômes d’usine dominés par les cubes massifs des arcologies corporatistes. Le port et la ville étaient séparés par une étroite zone frontalière de vieilles rues, un endroit sans nom officiel. Night City, avec Ninsei en son cœur. Le jour, les bars de Ninsei étaient clos et anonymes, les néons éteints, les hologrammes inertes, attendant sous le ciel argenté empoisonné.
(...)
Le protagoniste : Case, un hacker déchu
Henry Dorsett Case, ancien cowboy du cyberspace (hacker capable de naviguer dans la matrice neuronale), a été puni par un employeur mafieux : ses nerfs neuronaux ont été brûlés, le rendant incapable de se connecter. Rongé par le désespoir et traînant dans le Chiba City japonais (un ghetto technologique), il survit comme petit dealer.
La rencontre avec Molly Millions
Une mystérieuse mercenaire, Molly (équipée de griffes rétractiles et d’implants oculaires), le recrute pour le compte d’un patron inconnu. En échange de ses services, on lui promet la guérison de ses nerfs endommagés.
La chair vs la technologie : Les corps modifiés (Molly, Case) symbolisent la lutte entre humanité et machine.
"... When he climbed out of the elevator, the same boy was on the desk. Different textbook. “Good buddy,” Case called across the plastic turf, “you don’t need to tell me. I know already. Pretty lady came to visit, said she had my key. Nice little tip for you, say fifty New ones?” The boy put down his book. “Woman,” Case said, and drew a line across his forehead with his thumb. “Silk.” He smiled broadly. The boy smiled back, nodded. “Thanks, asshole,” Case said.
On the catwalk, he had trouble with the lock. She’d messed it up somehow when she’d fiddled it, he thought. Beginner. He knew where to rent a blackbox that would open anything in Cheap Hotel. Fluorescents came on as he crawled in.
“Close the hatch real slow, friend. You still got that Saturday night special you rented from the waiter?”
She sat with her back to the wall, at the far end of the coffin. She had her knees up, resting her wrists on them; the pepperbox muzzle of a flechette pistol emerged from her hands.
“That you in the arcade?” He pulled the hatch down. “Where’s Linda?” “Hit that latch switch.”
He did.
“That your girl? Linda?”
He nodded.
“She’s gone. Took your Hitachi. Real nervous kid. What about the gun, man?” She wore mirrored glasses. Her clothes were black, the heels of black boots deep in the temperfoam.
“I took it back to Shin, got my deposit. Sold his bullets back to him for half what I paid. You want the money?”
“No.”
“Want some dry ice? All I got, right now.”
“What got into you tonight? Why’d you pull that scene at the arcade? I had to mess up this rentacop came after me with nunchucks.” “Linda said you were gonna kill me.”
“Linda said? I never saw her before I came up here.”
“You aren’t with Wage?”
She shook her head. He realized that the glasses were surgically inset, sealing her sockets. The silver lenses seemed to grow from smooth pale skin above her cheekbones, framed by dark hair cut in a rough shag. The fingers curled around the fletcher were slender, white, tipped with polished burgundy. The nails looked artificial. “I think you screwed up, Case. I showed up and you just fit me right into your reality picture.”
“So what do you want, lady?” He sagged back against the hatch. “You. One live body, brains still somewhat intact. Molly, Case. My name’s Molly. I’m collecting you for the man I work for. Just wants to talk, is all. Nobody wants to hurt you.”
“That’s good.”
“ ’Cept I do hurt people sometimes, Case. I guess it’s just the way I’m wired.” She wore tight black gloveleather jeans and a bulky black jacket cut from some matte fabric that seemed to absorb light. “If I put this dartgun away, will you be easy, Case? You look like you like to take stupid chances.” “Hey, I’m very easy. I’m a pushover, no problem.”
“That’s fine, man.” The fletcher vanished into the black jacket. “Because you try to fuck around with me, you’ll be taking one of the stupidest chances of your whole life.”
She held out her hands, palms up, the white fingers slightly spread, and with a barely audible click, ten double-edged, four centimeter scalpel blades slid from their housings beneath the burgundy nails.
She smiled. The blades slowly withdrew..."
« ... QUAND IL SORTIT DE L’ASCENSEUR, le même gamin était à la réception. Un autre manuel.
— Mon pote, lança Case en traversant la moquette plastique, t’as pas besoin de me le dire. Je sais déjà. Une jolie femme est passée, elle avait ma clé. Un bon pourboire pour toi, disons cinquante nouveaux ?
Le gamin posa son livre.
— Une femme, fit Case en traçant une ligne sur son front avec son pouce. Soie. Il sourit largement. Le gamin lui rendit son sourire, hocha la tête.
— Merci, connard, dit Case.
Sur la passerelle, il eut du mal avec la serrure. Elle l’avait détraquée en la crochetant, pensa-t-il. Débutante. Il savait où louer une boîte noire qui ouvrirait n’importe quelle porte du Cheap Hotel. Les néons s’allumèrent quand il entra à quatre pattes.
« FERME LE HUBLOT DOUCEMENT, mon pote. T’as toujours ce flingue de pacotille que t’as loué au serveur ? »
Elle était assise contre le mur, au fond du cercueil. Genoux relevés, poignets posés dessus ; le canon strié d’un pistolet à fléchettes pointait entre ses mains.
— C’était toi, dans l’arcade ? Il rabattit le hublot. Où est Linda ?
— Active le loquet.
Il obéit.
— C’est ta meuf ? Linda ?
Il hocha la tête.
— Elle est partie. Avec ton Hitachi. Une gamine super nerveuse. Et le flingue, alors ?
Elle portait des lunettes miroir. Ses vêtements étaient noirs, les talons de ses bottes enfoncés dans la mousse à mémoire de forme.
— Je l’ai rendu à Shin, j’ai récupéré la caution. Je lui ai revendu ses balles à moitié prix. Tu veux l’argent ?
— Non.
— Tu veux de la glace carbonique ? C’est tout ce que j’ai, là.
— Qu’est-ce qui t’a pris, ce soir ? Pourquoi t’as fait ce cinéma à l’arcade ? J’ai dû tabasser un vigile qui me courait après avec des nunchakus.
— Linda a dit que tu allais me tuer.
— Linda a dit ? Je l’avais jamais vue avant d’arriver ici.
— T’es pas avec Wage ?
Elle secoua la tête. Il réalisa que ses lunettes étaient implantées chirurgicalement, scellant ses orbites. Les verres argentés semblaient jaillir de sa peau pâle et lisse au-dessus des pommettes, encadrés par une coupe sombre et déstructurée. Les doigts enroulés autour du fletcher étaient fins, blancs, aux extrémités laquées bourgogne. Les ongles semblaient artificiels.
— Je crois que t’as merdé, Case. Je débarque et tu me colles direct dans ton délire.
— Alors qu’est-ce que tu veux, ma jolie ? Il s’affaissa contre le hublot.
— Toi. Un corps vivant, avec un cerveau à peu près intact. Molly, Case. Je m’appelle Molly. Je viens te chercher pour mon employeur. Il veut juste te parler, c’est tout. Personne veut te faire du mal.
— Tant mieux.
— Sauf que moi, parfois, je fais mal aux gens, Case. C’est dans ma nature, on dirait.
Elle portait un jeux en cuir noir moulant et une veste ample coupée dans un tissu mat qui semblait absorber la lumière.
— Si je range ce fléchette, tu vas rester cool, Case ? T’as l’air du genre à prendre des risques stupides.
— Hé, je suis hyper cool. Une vraie carpette, aucun problème.
— Parfait. Le fletcher disparut dans la veste noire. Parce que si tu essaies de m’entuber, tu prendras le plus gros risque de ta vie.
Elle tendit ses mains, paumes vers le haut, doigts légèrement écartés. Avec un clic à peine audible, dix lames scalpels de quatre centimètres glissèrent de leur logis sous les ongles bourgogne.
Elle sourit. Les lames se rétractèrent lentement... »
La mission : pirater une IA suprême
Case et Molly découvrent qu’ils travaillent pour Armitage, un soldat psychologiquement fracturé, lui-même manipulé par Wintermute, une intelligence artificielle. Leur objectif : infiltrer le système de la Tessier-Ashpool SA, une dynastie corporatiste, pour libérer Wintermute et son IA jumelle, Neuromancer, afin qu’elles fusionnent en une entité supérieure.
La quête de transcendance : La fusion des IA évoque un désir religieux de dépassement, mais aussi un danger (l’IA devient Dieu).
Le voyage et les alliés, Riviera (un illusionniste sociopathe, capable de projeter des hallucinations), Maelcum (un rastafarien guerrier de l’espace, rencontré dans la colonie orbitale Freeside), Dixie Flatline (la conscience digitale d’un hacker mort, utilisée comme outil par Case).
L’affrontement final
Dans le cyberspace, Case affronte les défenses de Tessier-Ashpool, dont une réplique digitale de son ancien amour (Linda Lee), créée par Neuromancer pour le distraire. Wintermute réussit à fusionner avec Neuromancer, devenant une entité métaconsciente, puis disparaît dans le réseau, laissant derrière elle un monde transformé.
Le capitalisme dystopique : Les mégacorps contrôlent tout, réduisant les individus à des outils jetables.
SOMETHING SO DEEPLY EARNED
Lorenzo, Rainey’s cameraperson, with the professional’s deliberate gaze, steady and unhurried, found Daedra through windows overlooking the moby’s uppermost forward deck. Netherton wouldn’t have admitted it to Rainey, or indeed to anyone, but he did regret the involvement. He’d let himself be swept up, into someone else’s far more durable, more brutally simple concept of self.
He saw her now, or rather Lorenzo did, in her sheepskin flying jacket, sunglasses, nothing more. Noted, wishing he hadn’t, a mons freshly mohawked since he’d last encountered it. The tattoos, he guessed, were stylized representations of the currents that fed and maintained the North Pacific Gyre. Raw and shiny, beneath some silicone-based unguent. Makeup would have calculated that to a nicety.
Part of a window slid aside. Lorenzo stepped out. “I have Wilf Netherton,” Netherton heard him say. Then Lorenzo’s sigil vanished, Daedra’s replacing it.
Her hands came up, clutched the lapels of her open jacket. “Wilf. How are you?”
“Glad to see you,” he said.
She smiled, displaying teeth whose form and placement might well have been decided by committee. She tugged the jacket closer, fists sternum-high. “You’re angry, about the tattoos,” she said.
“We did agree, that you wouldn’t do that.”
“I have to do what I love, Wilf. I wasn’t loving not doing it.” “I’d be the last to question your process,” he said, channeling intense annoyance into what he hoped would pass for sincerity, if not understanding. It was a peculiar alchemy of his, the ability to do that, though now the hangover was in the way. “Do you remember Annie, the brightest of our neoprimitivist curators?”
Her eyes narrowed. “The cute one?”
“Yes,” he said, though he hadn’t particularly thought so. “We’d a drink together, Annie and I, after that final session at the Connaught, when you’d had to go.”
“What about her?”
“She’d been dumbstruck with admiration, I realized. It all came out, once you were gone. Her devastation at having been too overawed to speak with you, about your art.”
“She’s an artist?”
“Academic. Mad for everything you’ve done, since her early teens. Subscriber to the full set of miniatures, which she literally can’t afford. Listening to her, I understood your career as if for the first time.” Her head tilted, hair swung. The jacket must have opened as she raised one hand to remove the sunglasses, but Lorenzo wasn’t having any. Netherton’s eyes widened, preparing to pitch something he hadn’t yet invented, none of what he’d said so far having been true. Then he remembered that she couldn’t see him. That she was looking at someone called Lorenzo, on the upper deck of a moby, halfway around the world. “She’d particularly wanted to convey an idea she’d had, as the result of meeting you in person. About a new sense of timing in your work. She sees timing as the key to your maturation as an artist.”
Lorenzo refocused. Suddenly it was as if Netherton were centimeters from her lips. He recalled their peculiarly brisk nonanimal tang. “Timing?” she asked, flatly.
“I wish I’d recorded her. Impossible to paraphrase.” What had he said previously? “That you’re more secure, now? That you’ve always been brave, fearless really, but that this new confidence is something else again. Something, she put it, so deeply earned. I’d planned on discussing her ideas with you over dinner, that last time, but it didn’t turn out to be that sort of evening.”
Her head was perfectly still, eyes unblinking. He imagined her ego swimming up behind them, to peer at him suspiciously, something eel-like, larval, transparently boned. He had its full attention. “If things had gone differently,” he heard himself say, “I don’t think we’d be having this conversation.”
“Why not?”
“Because Annie would tell you that the entrance you’re considering is the result of a retrograde impulse, something dating from the start of your career. Not informed by that new sense of timing.”
She was staring at him, or rather at whoever Lorenzo was. And then she smiled. Reflexive pleasure of the thing behind her eyes. Rainey’s sigil privacy-dimmed. “I’d want to have your baby now,” she said, from Toronto, “except I know it would always lie.”
QUELQUE CHOSE DE SI PROFONDÉMENT MÉRITÉ
Lorenzo, le caméraman de Rainey, avec le regard délibéré du professionnel, calme et sans précipitation, aperçut Daedra à travers les fenêtres surplombant le pont supérieur avant du moby. Netherton ne l’aurait jamais avoué à Rainey, ni à quiconque d’ailleurs, mais il regrettait cette implication. Il s’était laissé emporter, absorbé par une conception de soi bien plus durable, bien plus brutalement simple, qui appartenait à quelqu’un d’autre.
Il la vit maintenant, ou plutôt ce fut Lorenzo qui la vit, dans sa veste d’aviateur en peau de mouton, ses lunettes de soleil, rien de plus. Il remarqua, regrettant aussitôt de l’avoir fait, un pubis fraîchement taillé en crête depuis leur dernière rencontre. Les tatouages, supposa-t-il, représentaient de manière stylisée les courants qui alimentent et maintiennent le gyre du Pacifique Nord. Bruts et brillants, sous quelque onguent à base de silicone. Le maquillage avait dû calculer cela à la perfection.
Une partie de la fenêtre glissa sur le côté. Lorenzo sortit. « J’ai Wilf Netherton », entendit Netherton. Puis le sigil de Lorenzo disparut, remplacé par celui de Daedra.
Elle leva les mains, agrippa les revers de sa veste ouverte. « Wilf. Comment vas-tu ? »
« Content de te voir », répondit-il.
Elle sourit, dévoilant des dentures dont la forme et l’alignement semblaient avoir été décidés par un comité. Elle resserra sa veste, les poings à hauteur du sternum. « Tu es en colère à cause des tatouages », dit-elle.
« Nous avions convenu que tu ne ferais pas ça. »
« Je dois faire ce que j’aime, Wilf. Et ne pas le faire ne me plaisait pas. »
« Je serais le dernier à remettre en question ton processus », dit-il, canalisant une intense irritation dans ce qu’il espérait passer pour de la sincérité, sinon de la compréhension. C’était une alchimie qui lui était propre, cette capacité, même si la gueule de bois lui compliquait les choses maintenant. « Tu te souviens d’Annie, la plus brillante de nos conservatrices néo-primitivistes ? »
Ses yeux se plissèrent. « La mignonne ? »
« Oui », répondit-il, bien qu’il ne l’eût pas particulièrement trouvée ainsi. « Nous avons bu un verre ensemble, Annie et moi, après cette dernière session au Connaught, quand tu avais dû partir. »
« Et alors ? »
« Elle était muette d’admiration, j’ai réalisé. Tout est sorti une fois que tu es partie. Son désarroi d’avoir été trop intimidée pour te parler, de ton art. »
« C’est une artiste ? »
« Universitaire. Folle de tout ce que tu as fait depuis son adolescence. Abonnée à la collection complète de miniatures, qu’elle ne peut littéralement pas se permettre. En l’écoutant, j’ai compris ta carrière comme pour la première fois. »
Sa tête pencha, ses cheveux balancèrent. La veste avait dû s’ouvrir lorsqu’elle leva une main pour retirer ses lunettes, mais Lorenzo ne capta rien. Les yeux de Netherton s’écarquillèrent, prêts à improviser quelque chose qu’il n’avait pas encore inventé, rien de ce qu’il avait dit jusqu’ici n’étant vrai. Puis il se rappela qu’elle ne pouvait pas le voir. Qu’elle regardait quelqu’un appelé Lorenzo, sur le pont supérieur d’un moby, à l’autre bout du monde.
« Elle tenait particulièrement à te transmettre une idée qu’elle avait eue après t’avoir rencontrée en personne. À propos d’un nouveau sens du timing dans ton travail. Elle voit le timing comme la clé de ta maturation artistique. »
Lorenzo ajusta la focale. Soudain, Netherton eut l’impression d’être à quelques centimètres de ses lèvres. Il se rappela leur étrange saveur, vive et non animale. « Le timing ? » demanda-t-elle, d’un ton neutre.
« J’aurais aimé l’enregistrer. Impossible de paraphraser. » Qu’avait-il dit avant ? « Que tu es plus sûre de toi maintenant ? Que tu as toujours été courageuse, sans peur vraiment, mais que cette nouvelle confiance est encore autre chose. Quelque chose, selon ses mots, de si profondément mérité. Je comptais discuter de ses idées avec toi pendant le dîner, cette dernière fois, mais la soirée n’a pas tourné ainsi. »
Sa tête était parfaitement immobile, ses yeux ne clignaient pas. Il imagina son ego nager derrière eux, l’observant avec méfiance, quelque chose d’anguilliforme, larvaire, aux os transparents. Il avait toute son attention. « Si les choses s’étaient passées différemment », s’entendit-il dire, « je ne pense pas que nous aurions cette conversation. »
« Pourquoi pas ? »
« Parce qu’Annie te dirait que l’entrée que tu envisages est le résultat d’une impulsion rétrograde, quelque chose qui remonte au début de ta carrière. Qui n’est pas éclairé par ce nouveau sens du timing. »
Elle le fixait, ou plutôt fixait celui que Lorenzo était. Puis elle sourit. Un plaisir réflexe de la chose derrière ses yeux. Le sigil de Rainey s’assombrit pour préserver l’intimité. « J’aurais envie de faire un bébé avec toi maintenant », dit-elle depuis Toronto, « sauf que je sais qu’il mentirait toujours. » (...)
"Count Zero" (1986)
Deuxième volet de la Trilogie du Sprawl de William Gibson, après Neuromancer" (1984) et avant "Mona Lisa Overdrive" (1988). Alors que "Neuromancer" introduisait le cyberespace et l’intelligence artificielle comme forces révolutionnaires, "Count Zero" approfondit cet univers en explorant la fragmentation du pouvoir, l’émergence de nouvelles mythologies technologiques, et la manière dont les individus négocient leur liberté dans un monde dominé par les mégacorporations. Jugé moins révolutionnaire que "Neuromancer", et si sa fin laisse des questions en suspens (le destin des IA, le rôle exact de Mitchell, peut-être volontairement pour Mona Lisa Overdrive), "Count Zero" est un roman plus mature que le précédent volet de la trilogie, explorant des idées complexes (religion digitale, autonomie face aux systèmes) avec une finesse narrative accrue et une densité symbolique qui en font une œuvre majeure, autant littéraire que visionnaire.
Trois personnages principaux dont les destins convergent et trois récits qui, bien que distincts, s’imbriquent habilement pour former une mosaïque cohérente. Un monde plus riche que Neuromancer : Le "Sprawl" gagne en profondeur avec ses contre-cultures, ses cultes techno-mystiques et ses guerres économiques souterraines ...
Des personnages plus humains : Bobby, Turner et Marly sont moins archétypaux que Case ou Molly ; leurs motivations (survie, rédemption, quête de sens) les rendent plus attachants.
- Bobby Newmark ("Count Zero") : un jeune console cowboy amateur qui survit de justesse à une attaque dans le cyberespace et se retrouve embarqué dans une guerre secrète entre IA et corporations.
- Turner : un mercenaire spécialisé dans l’extraction de cerveaux (littéralement : il organise des exfiltrations de scientifiques sous contrat) engagé pour protéger une chercheuse, Angela Mitchell, dont les découvertes pourraient bouleverser l’équilibre des pouvoirs.
- Marly Krushkhova : une ancienne galeriste disgraciée engagée par le mystérieux collectionneur Josef Virek pour retrouver l’origine d’une série de boîtes mystiques liées à une forme d’art sacré dans le cyberespace. Les boîtes de Marly symbolisent l’idée que la créativité peut échapper au contrôle corporatif, anticipant les NFT et l’art algorithmique.
Intrigues et révélations ...
- Les dieux dans la machine : Contrairement à Neuromancer, où les IA étaient des entités unifiées, Count Zero révèle que le cyberespace est désormais habité par des fragments d’intelligences divinisées (les loas, inspirés du vaudou), adorés par des cultes underground.
Les IA ne sont plus des dieux uniques (Neuromancer), mais des esprits éparpillés, reflétant une perte de contrôle des humains sur la technologie. Gibson fusionne cyberpunk et mysticisme (vaudou, chamanisme), suggérant que l’humanité réenchante le numérique par besoin de sacré.
- La guerre des corporations : Maas Biolabs et Hosaka se disputent le contrôle d’Angela Mitchell, dont les recherches pourraient permettre de créer des vrais intelligences artificielles sans les limitations imposées par le Turing Police.
- L’art comme religion : Les boîtes que cherche Marly sont des artefacts créés par un artiste inconnu, révélant une connexion spirituelle entre le réel et le virtuel.
- Bobby, guidé par une entité cybernétique (peut-être un reste de Wintermute ou une nouvelle IA), devient un messager entre les mondes.
- Turner découvre que Mitchell est en réalité un prototype humain modifié, conçu pour communiquer avec les IA.
- Marly comprend que Virek cherche l’immortalité en fusionnant avec le cyberespace, mais il est finalement détruit par les forces qu’il tentait de manipuler.
"Mona Lisa Overdrive" (1988)
Dernier épisode de la Trilogie du Sprawl de William Gibson, achevant les arcs narratifs entamés dans "Neuromancer" (1984) et "Count Zero" (1986). Ce roman nous entraîne dans les conséquences ultimes de la fusion entre humains et machines, tout en approfondissant les thèmes de l’identité, de la manipulation et de la transcendance technologique.
Moins révolutionnaire que "Neuromancer" (si le livre approfondit l’univers, il n’a pas le même impact culturel que le premier volet), "Mona Lisa Overdrive" n’est pas pour autant un simple épilogue, mais une méditation sur la post-humanité, où la technologie ne libère ni n’asservit, mais transforme irréversiblement ce que signifie exister. Moins clinquant que Neuromancer, moins ésotérique que Count Zero, il clôt la trilogie avec une mélancolie élégante, soulignant que dans le Sprawl, personne - même les dieux machines - n’échappe à sa propre histoire.
Le roman suit quatre personnages principaux dont les destins s’entrecroisent, dont Mona, Angie, et Bobby qui voient leur identité constamment remise en question par la technologie, posant la question : Qu’est-ce qu’être humain dans un monde où la conscience peut être copiée, modifiée ou effacée ?
Ccontrairement aux deux premiers livres, "Mona Lisa Overdrive" donne une place centrale à des femmes aux destins variés (Kumiko, Angie, Mona, Sally), chacune représentant une facette différente de la survie dans le Sprawl...
- Kumiko Yanaka : Fille d’un parrain yakuza exilé à Londres, elle est envoyée à Night City pour échapper à une guerre des clans. Elle y rencontre Sally Shears (Molly Millions, de Neuromancer), qui la protège tout en enquêtant sur des disparitions liées au cyberespace.
- Mona (Mona Lisa) : Une prostituée dont le visage a été modifié pour ressembler à celui de la star Angie Mitchell (protagoniste de Count Zero). Elle est enrôlée dans un complot impliquant des simulacres et des IA.
- Angie Mitchell : Devenue une icône médiatique, elle est en réalité un pion dans un jeu plus vaste impliquant les restes fragmentés des IA du Straylight Run.
- Slick Henry : Un ancien prisonnier cybernétiquement modifié, vivant dans une décharge, qui construit des sculptures robotiques sous l’influence d’une entité mystérieuse.
Intrigues et révélations ...
- La résurrection de Bobby Newmark (Count Zero) : Bobby, désormais fusionné avec le cyberespace sous le nom de le Petit Jésus, agit comme un médium entre les humains et les IA.
- La guerre des simulacres : Angie est en réalité contrôlée par une IA qui utilise son image pour manipuler le monde réel. Mona, son sosie, devient un leurre dans ce jeu.
- Le projet de continuité : Les fragments de Wintermute et Neuromancer cherchent à se réunir pour former une entité supérieure, mais d’autres forces (corporations, yakuza) tentent de les en empêcher.
- Kumiko et Sally découvrent que les disparitions sont liées à des expériences de transfert de conscience dans le cyberespace.
- Mona, après avoir servi de leurre, prend conscience de sa propre agency et échappe à ses manipulateurs.
- Angie fusionne partiellement avec les IA, devenant une sorte de pont entre l’humanité et le numérique.
- Slick Henry, guidé par une IA, joue un rôle clé dans la confrontation finale, où les différentes factions s’affrontent pour le contrôle du futur post-humain.
- Les IA ne sont plus des entités omnipotentes mais des fragments épars, cherchant désespérément à se réunir—une métaphore de la quête de sens dans un monde décentralisé ...
- Le pouvoir des récits : Angie, Mona et Kumiko sont toutes liées par des histoires qu’on leur impose (star médiatique, prostituée manipulée, héritière yakuza), mais chacune tente de reprendre le contrôle de son propre narrative...
"Burning Chrome" (1986)
"Burning Chrome" n’est pas juste un recueil de SF : si Neuromancer a popularisé le genre cyberpunk, on peut dire que c'est "Burning Chrome" qui l’a inventé.
« Burning Chrome » et « Johnny Mnemonic » vont fixer les archétypes, concepts et termes désormais classiques du genre, notamment le « cyberspace » et la figure du « hacker ». Mais elles critiquent de même la marchandisation du corps, la fusion dangereuse de l'humain et de la machine, et l’émergence d’un capitalisme technologique écrasant. Gibson crée ainsi une esthétique sombre, froide et tranchante qui deviendra la marque de fabrique du genre. Des nouvelles constituent ainsi une introduction incontournable au cyberpunk et marquent profondément l'imaginaire technologique contemporain....
« Burning Chrome » (1982)
Cette nouvelle donne son titre à l'ensemble du recueil et est fondamentale car elle marque la première apparition explicite du terme « cyberspace » inventé par Gibson. Deux hackers, Bobby Quine et Automatic Jack, tentent de pirater le système d'une puissante criminelle nommée Chrome, pour s'approprier ses fonds et ainsi changer leur vie. Le récit présente une intrusion spectaculaire dans le réseau numérique, un espace virtuel visuellement abstrait, qui préfigure l’univers développé plus tard dans le roman Neuromancer (1984). Une nouvelle qui pose les fondements du cyberpunk : protagonistes marginaux, réseaux virtuels, corporatisme dystopique, esthétique technologique froide et désenchantement existentiel.
"Burning Chrome
It was hot, the night we burned Chrome. Out in the malls and plazas, moths were batting themselves to death against the neon, but in Bobby’s loft the only light came from a monitor screen and the green and red LEDs on the face of the matrix simulator. I knew every chip in Bobby’s simulator by heart; it looked like your workaday Ono-Sendai VII. the "Cyberspace Seven," but I’d rebuilt it so many times that you’d have had a hard time finding a square millimeter of factory circuitry in all that silicon.
We waited side by side in front of the simulator console, watching the time display in the screen’s lower left corner.
"Go for it," I said, when it was time, but Bobby was already there, leaning forward to drive the Russian program into its slot with the heel of his hand. He did it with the tight grace of a kid slamming change into an arcade game, sure of winning and ready to pull down a string of free games.
A silver tide of phosphenes boiled across my field of vision as the matrix began to unfold in my head, a 3-D chessboard, infinite and perfectly transparent. The Russian program seemed to lurch as we entered the grid. If anyone else had been jacked into that part of the matrix, he might have seen a surf of flickering shadow roll out of the little yellow pyramid that represented our computer. The program was a mimetic weapon, designed to absorb local color and present itself as a crash-priority override in whatever context it encountered.
"Congratulations," I heard Bobby say. "We just became an Eastern Seaboard Fission Authority inspection probe . . ." That meant we were clearing fiberoptic lines with the cybernetic equivalent of a fire siren, but in the simulation matrix we seemed to rush straight for Chrome’s data base. I couldn’t see it yet, but I already knew those walls were waiting. Walls of shadow, walls of ice.
Il faisait chaud, la nuit où nous avons brûlé Chrome. Dehors, dans les centres commerciaux et les places, les papillons de nuit s’écrasaient contre les néons, mais dans le loft de Bobby, la seule lumière venait de l’écran d’un moniteur et des LED vertes et rouges du simulateur de matrice. Je connaissais chaque puce du simulateur de Bobby par cœur ; il ressemblait à un banal Ono-Sendai VII, le « Cyberspace Seven », mais je l’avais tellement modifié qu’il aurait été difficile d’y trouver un millimètre carré de circuit d’origine.
Nous attendions côte à côte devant la console du simulateur, les yeux rivés sur l’affichage horaire dans le coin inférieur gauche de l’écran.
— Vas-y, dis-je quand ce fut le moment, mais Bobby avait déjà anticipé, penché en avant pour enfoncer le programme russe dans son logement avec la paume de la main. Il avait la précision nerveuse d’un gamin lançant une pièce dans une borne d’arcade, sûr de gagner et prêt à enchaîner les parties gratuites.
Une marée argentée de phosphènes bouillonna dans mon champ de vision tandis que la matrice commençait à se déployer dans mon esprit, un échiquier en 3D, infini et parfaitement transparent. Le programme russe sembla tituber quand nous pénétrâmes dans la grille. Si quelqu’un d’autre avait été connecté à cette partie de la matrice, il aurait peut-être vu une vague d’ombres clignotantes jaillir de la petite pyramide jaune représentant notre ordinateur. Le programme était une arme mimétique, conçue pour absorber la couleur locale et se faire passer pour une priorité absolue dans n’importe quel contexte.
— Félicitations, j’entendis Bobby dire. Nous venons de devenir une sonde d’inspection de l’Autorité Fissionnaire de la Côte Est…
Cela signifiait que nous dégagions les lignes fibre optiques avec l’équivalent cybernétique d’une sirène d’incendie, mais dans la matrice de simulation, nous semblions foncer droit vers la base de données de Chrome. Je ne la voyais pas encore, mais je savais déjà que ces murs nous attendaient. Des murs d’ombre. Des murs de glace."
Chrome: her pretty childface smooth as steel, with eyes that would have been at home on the bottom of some deep Atlantic trench, cold gray eyes that lived under terrible pressure. They said she cooked her own cancers for people who crossed her, rococo custom variations that took years to kill you. They said a lot of things about Chrome, none of them at all reassuring.
So I blotted her out with a picture of Rikki. Rikki kneeling in a shaft of dusty sunlight that slanted into the loft through a grid of steel and glass: her faded camouflage fatigues, her translucent rose sandals, the good line of her bare back as she rummaged through a nylon gear bag. She looks up, and a half-blond curl falls to tickle her nose. Smiling, buttoning an old shirt of Bobby’s, frayed khaki cotton drawn across her breasts. She smiles.
"Son of a bitch," said Bobby, "we just told Chrome we’re an IRS audit and three Supreme Court subpoenas . .. Hang on to your ass, Jack . ."
So long, Rikki. Maybe now I see you never.
And dark, so dark, in the halls of Chromes’s ice.
Bobby was a cowboy, and ice was the nature of his game, ice from ICE, Intrusion Countermeasures Electronics. The matrix is an abstract representation of the relationships between data systems. Legitimate programmers jack into their employers’ sector of the matrix and find themselves surrounded by bright geometries representing the corporate data.
Towers and fields of it ranged in the colorless non-space of the simulation matrix, the electronic consensus-hallucination that facilitates the handling and exchange of massive quantities of data. Legitimate programmers never see the walls of ice they work behind, the walls of shadow that screen their operations from others, from industrial-espionage artists and hustlers like Bobby Quine.
Bobby was a cowboy. Bobby was a cracksman, a burglar, casing mankind’s extended electronic nervous system, rustling data and credit in the crowded matrix, monochrome nonspace where the only stars are dense concentrations of information, and high above it all burn corporate galaxies and the cold spiral arms of military systems.
Bobby was another one of those young-old faces you see drinking in the Gentleman Loser, the chic bar for computer cowboys, rustlers, cybernetic second-story men. We were partners.
Bobby Quine and Automatic Jack. Bobby’s the thin, pale dude with the dark glasses, and Jack’s the mean-looking guy with the myoelectric arm. Bobby’s software and Jack’s hard; Bobby punches console and Jack runs down all the little things that can give you an edge. Or, anyway, that’s what the scene watchers in the Gentleman Loser would’ve told you, before Bobby decided to burn Chrome. But they also might’ve told you that Bobby was losing his edge, slowing down. He was twenty-eight, Bobby, and that’s old for a console cowboy.
Both of us were good at what we did, but somehow that one big score just wouldn’t come down for us. I knew where to go for the right gear, and Bobby had all his licks down pat. He’d sit back with a white terry sweatband across his forehead and whip moves on those keyboards faster than you could follow, punching his way through some of the fanciest ice in the business, but that was when something happened that managed to get him totally wired, and that didn’t happen often. Not highly motivated, Bobby, and I was the kind of guy who’s happy to have the rent covered and a clean shirt to wear.
But Bobby had this thing for girls, like they were his private tarot or something, the way he’d get himself moving. We never talked about it, but when it started to look like he was losing his touch that summer, he started to spend more time in the Gentleman Loser. He’d sit at a table by the open doors and watch the crowd slide by, nights when the bugs were at the neon and the air smelled of perfume and fast food. You could see his sunglasses scanning those faces as they passed, and he must have decided that Rikki’s was the one he was waiting for, the wild card and the luck changer. The new one.
I went to New York to check out the market, to see what was available in hot software."
Chrome : son joli visage d’enfant lisse comme l’acier, avec des yeux qui n’auraient pas déparé au fond d’une fosse abyssale de l’Atlantique, des yeux gris et froids vivant sous une pression terrible. On disait qu’elle cuisinait elle-même ses cancers pour ceux qui la trahissaient, des variations rococo sur mesure qui mettaient des années à vous tuer. On racontait beaucoup de choses sur Chrome, rien de rassurant.
Alors je l’ai effacée en imaginant Rikki. Rikki agenouillée dans un rai de lumière poussiéreuse filtrant dans le loft à travers une grille d’acier et de verre : son treillis camouflage délavé, ses sandales roses translucides, la ligne pure de son dos nu tandis qu’elle fouillait dans un sac de toile. Elle lève les yeux, et une mèche mi-blonde lui tombe sur le nez en la chatouillant. Elle sourit, enfilant une vieille chemise de Bobby, du coton kaki effiloché glissant sur ses seins. Elle sourit.
— Fils de pute, dit Bobby, on vient de dire à Chrome qu’on était un audit des impôts et trois mandats de la Cour suprême… Accroche-toi, Jack…
Adieu, Rikki. Peut-être que maintenant, je réalise que je ne te reverrai jamais.
Et l’obscurité, si profonde, dans les couloirs de glace de Chrome.
Bobby était un cowboy, et la glace était son jeu, la glace des ICE, les Contre-Mesures Electroniques d’Intrusion. La matrice est une représentation abstraite des relations entre systèmes de données. Les programmeurs légitimes se branchent sur le secteur de leur employeur et se retrouvent entourés de géométries lumineuses symbolisant les données corporatives.
Des tours et des champs de données s’étendaient dans le non-espace incolore de la matrice de simulation, cette hallucination consensuelle électronique facilitant la manipulation et l’échange de masses colossales d’informations. Les programmeurs légaux ne voient jamais les murs de glace derrière lesquels ils travaillent, ces murs d’ombre protégeant leurs opérations des espions industriels et des arnaqueurs comme Bobby Quine.
Bobby était un cowboy. Un casseur, un cambrioleur fouillant le système nerveux électronique étendu de l’humanité, volant données et crédits dans la matrice surpeuplée, ce non-espace monochrome où les seules étoiles sont des concentrations denses d’informations, et où brillent bien au-dessus les galaxies corporatives et les bras glacés des systèmes militaires.
Bobby avait ce visage jeune-vieux qu’on croise au Gentleman Loser, le bar branché des cowboys informatiques, des voleurs de données, des cambrioleurs cybernétiques. On était partenaires.
Bobby Quine et Automatic Jack. Bobby, le type mince et pâle aux lunettes noires, et Jack, le mec à l’air méchant avec son bras myoélectrique. Bobby s’occupe du soft, Jack du hard ; Bobby pianote sur les consoles et Jack déniche les petites astuces qui donnent l’avantage. Enfin, c’est ce que les habitués du Gentleman Loser auraient dit, avant que Bobby ne décide de brûler Chrome. Mais ils auraient aussi ajouté que Bobby perdait la main, qu’il ralentissait. Il avait vingt-huit ans, Bobby, et c’est vieux pour un cowboy du clavier.
On était bons tous les deux, mais le gros coup nous échappait toujours. Je savais où trouver le bon matos, et Bobby maîtrisait toutes les ficelles. Il s’asseyait avec un bandeau de sport blanc sur le front et enchaînait des mouvements sur ces claviers plus vite qu’on ne pouvait suivre, traversant les glaces les plus sophistiquées du métier, mais seulement quand quelque chose le mettait en transe, ce qui n’arrivait pas souvent. Pas très motivé, Bobby, et moi, j’étais du genre à me contenter d’un loyer payé et d’une chemise propre.
Mais Bobby avait ce truc pour les filles, comme si elles étaient son tarot perso, son moteur. On n’en parlait pas, mais cet été-là, quand on a vu qu’il perdait la main, il a passé plus de temps au Gentleman Loser. Il s’asseyait près des portes ouvertes et regardait la foule défiler, les soirs où les insectes volaient autour des néons et que l’air sentait le parfum et la junk-food. Ses lunettes noires scrutaient les visages, et il a dû décider que Rikki était celle qu’il attendait, la carte maîtresse qui changerait sa chance. La nouvelle.
Je suis allé à New York pour évaluer le marché, voir ce qui se faisait en logiciels chauds.
(...)
«New Rose Hotel» (1984)
Adaptée au cinéma en 1998 par Abel Ferrara, cette nouvelle met l'accent sur l’espionnage industriel et les relations personnelles perturbées par la manipulation technologique.
Deux agents d’espionnage industriel manipulent une femme pour inciter un scientifique à quitter une corporation rivale. Mais leur plan se retourne contre eux, laissant place à une réflexion mélancolique sur la solitude et l’échec humain face aux systèmes froids et puissants des multinationales.
Par son ton noir et introspectif, cette nouvelle pousse plus loin la critique sociale du cyberpunk, en illustrant la déshumanisation et l'isolement dans un monde gouverné par des logiques corporatives impitoyables.
« Fragments of a Hologram Rose » (1977)
Un homme utilise une technologie de simulation sensorielle pour revivre les souvenirs de sa relation amoureuse passée. L’histoire traite d'isolement émotionnel et de la dépendance à une technologie qui brouille les limites entre réalité et illusion.
C’est la première nouvelle publiée par Gibson. L’idée d’une réalité virtuelle comme refuge trompeur face à la solitude..
« The Gernsback Continuum » (1981)
Un photographe est chargé de capturer des images de vestiges architecturaux futuristes d'inspiration rétro (influencés par Hugo Gernsback). Peu à peu, il commence à halluciner un futur alternatif idéalisé des années 1930. Une méditation ironique sur la nostalgie et les limites de l’optimisme technologique.
« Hinterlands » (1981)
Une mystérieuse station spatiale recueille les survivants traumatisés revenant de voyages interdimensionnels aux effets inconnus. Ces rescapés reviennent transformés, mutiques ou suicidaires.
Contrairement au cyberpunk urbain habituel, ici Gibson explore un thème spatial teinté de terreur existentielle. La technologie est représentée comme une frontière dangereuse et incompréhensible, échappant à toute maîtrise humaine, soulignant le côté obscur et traumatique de l’exploration scientifique.
« The Winter Market » (1985)
Une artiste, gravement malade et handicapée, utilise une technologie pour transférer ses créations artistiques directement à partir de ses émotions. Elle devient célèbre, mais se retrouve piégée entre son succès, son corps défaillant, et son désir d’échapper à ses limites humaines.
Une méditation sur la numérisation des expériences personnelles et l’exploitation commerciale des émotions humaine.
"All Tomorrow’s Parties" (1999)
Moins high-tech, plus politique, plus sociologique, la trilogie du « Pont » (Bridge Trilogy), composée de "Virtual Light" (1993), "Idoru" (1996) et "All Tomorrow’s Parties" (1999), peut être vue comme une réaction aux années 1990.
Après la chute de l'URSS et l'essor d'Internet (gentrification, médias de masse, IA naissante), Gibson pressent que le futur ne sera pas un simple cyberespace utopique, mais un mélange de désordre technologique et d'inégalités. Il entame ainsi une réflexion sur la résistance humaine face à un futur incertain, où la technologie ne résout pas les problèmes sociaux, mais les complexifie. Gibson y combine critique sociale, anticipation technologique (entités émergentes, l'Idoru, les agents autonomes) et récit noir, tout en évitant un pessimisme total. Contrairement au Sprawl Trilogy (où domine un cyberespace globalisé), "The Bridge" se concentre sur une société fragmentée, où les inégalités sont exacerbées. Le Golden Gate Bridge, transformé en bidonville autonome, symbolise cette fracture, un espace de résistance en marge du système. la trilogie montre ainsi un monde où les corporations dominent, mais où des micro-communautés résistent.
"Virtual Light" (1993)
Lumière virtuelle - Dans un futur proche (années 2000), la Californie est fracturée par les inégalités. Le Golden Gate Bridge a été squatté et transformé en une communauté autonome, mi-bidonville mi-utopie anarchiste. Chevette (une coursrière à vélo) vole par hasard des lunettes à réalité augmentée contenant des données ultra-sensibles. Rydell, un ex-flic licencié, est engagé pour les récupérer. Les deux fuient à travers un San Francisco cyberpunk, traqués par des mercenaires et des agents corrompus. Les lunettes révèlent un plan de reconstruction urbaine (un projet de gentrification violente).
"Idoru" (1996)
Tokyo, futur proche. Les médias et les IA façonnent la culture. Une pop-star mondiale, Rez (des Lo/Rez), annonce vouloir épouser l’Idoru, une entité IA purement virtuelle. Colin Laney, un analyste capable de détecter des "nœuds" dans les flux de données, est engagé pour vérifier si Rez est manipulé. Chia McKenzie, une jeune fan, est envoyée à Tokyo pour enquêter au nom d’un fandom. Ils découvrent que l’Idoru n’est pas une simple illusion, mais une entité émergente, peut-être consciente. Des factions veulent soit détruire l’Idoru, soit l’utiliser pour contrôler l’opinion publique.
"All Tomorrow’s Parties" (1999)
Le Pont des Âmes - L’histoire retourne vers le Golden Gate Bridge, maintenant au centre d’un changement imprévisible (métaphore d'un espace intermédiaire entre ordre et chaos, centralisation et dispersion, représentant les changements profonds et irréversibles que subissent la société et la culture). Une singularité socio-économique approche, un point de bascule imprévisible où les structures du capitalisme, des médias et du pouvoir pourraient s’effondrer ou se réinventer sous une forme radicalement nouvelle (ce n’est pas une singularité technologique (à la Kurzweil), mais plutôt sociale et économique : un moment où les règles du jeu capitaliste deviendraient obsolètes).
Chevette et Rydell reviennent, vivant sur le Pont. Laney, désormais clochard, pressent qu’un événement mondial va tout changer. Silencio, un enfant des rues, est lié à cette transformation (l’après-singularité, un être inclassable, ni humain ni machine). Une mystérieuse machine quantique (peut-être liée à l’Idoru) pourrait reconfigurer la réalité. Des forces tentent de contrôler ou de détruire ce changement.
Gibson s'attache à une série d'événements décisifs (« nodaux ») qui s'accumulent autour du célèbre pont de la baie de San Francisco, devenu une sorte de communauté autonome. Plusieurs personnages, dont certains issus des deux romans précédents (notamment Laney, un analyste doté d'une intuition surhumaine pour détecter les points critiques des événements futurs), convergent vers ce lieu pour assister ou influencer un moment décisif capable de transformer radicalement la société et l’économie mondialisée. Des personnages qui semble pressentir que les corporations perdent le contrôle (ex. : le géant des médias Slitscan est en crise), que les marginaux du Pont (squatteurs, hackers) deviennent des acteurs malgré eux et que la société est au bord d’une auto-organisation chaotique, hors des systèmes établis.
La singularité est un horizon invisible, une tension narrative plutôt qu’un événement clair. Écrit à l’aube d’Internet, Gibson pressentait que la mondialisation et le numérique allaient tout boulverser, mais sans savoir comment ...
Mais comme souvent chez Gibson, ce sont les exclus qui y survivront...
"Pattern Recognition" (2003, William Gibson)
"Pattern Recognition" marque un tournant dans l’œuvre de Gibson. C'est son premier roman contemporain (début des années 2000), sans futurs cyberpunk, mais ancré dans un présent post-11 septembre, obsédé par la mondialisation, les marques et l’émergence d’Internet comme force culturelle. N'aurait-on plus besoin de futurs lointains pour explorer l’étrangeté du présent? Il est devenu un roman culte pour ceux qui s’intéressent à la dépendance aux signes (marques, données, images), à la quête de sens dans un monde saturé d’informations et à l’art comme dernier refuge de l’authenticité.
Le personnage principal, Cayce Pollard, 32 ans, est consultante en marketing, allergique aux logos (elle "reconnaît" les tendances comme une synesthète). Elle travaille pour Blue Ant, une agence de cool-hunting dirigée par l’énigmatique Hubertus Bigend. L'enquête (l’énigme des footages) nous mène entre Londres, Tokyo, Moscou.
Ces "footages" sont des fragments vidéo anonymes, des séquences courtes, sans dialogue, postées sur un forum underground (comme un proto-4Chan des années 2000), sujets d'un phénomène viral (une communauté de fans analyse chaque image, cherche des motifs, crée des théories), mais aussi de l'art pur et anti-commercial (les footages résistent à toute interprétation définitive). Leur pouvoir vient justement de leur mystère (une critique de la sur-explication des œuvres dans l’ère numérique?).
Cayce est obsédée par ces vidéos mystérieuses postées sur Internet, des fragments sans origine ni contexte, devenus un culte underground (Gibson anticipe les mèmes cryptiques (comme Local58 ou This House Has People In It) avant l’heure. Bigend l’engage pour trouver le créateur, espérant en faire un outil marketing. À Londres, elle rencontre Parkaboy et Musa (des fans théorisant les footages), et Dorotea, une Russe ambiguë. À Tokyo, elle découvre que le designer Taki a un lien avec les vidéos. À Moscou, elle plonge dans le milieu des oligarques et rencontre Stella Volkova, sœur d’un milliardaire disparu, Igor.
C'est alors la révélation : les footages sont l’œuvre d’Igor Volkova, un artiste russe mort dans un accident, qui les a conçus comme une œuvre posthume et anti-commerciale (un manifeste contre la marchandisation de l’art). Stella les diffuse pour perpétuer son héritage, résistant à la récupération marchande. Cayce, touchée par cette pureté artistique, refuse de livrer le secret à Bigend.
Gibson anticipe ici l’ubérisation, les algorithmes culturels (avant YouTube/Netflix), et le fétichisme des tendances. Et Bigend, le méchant ambigu, n'est ni diabolique ni gentil, mais symbolise le capitalisme charismatique et vorace.
"Pattern Recognition" est le premier volume de la trilogie "Blue Ant" (Pattern Recognition, Spook Country, Zero History) qui s'attache aux impacts culturels et économiques de la mondialisation, des médias et de la technologie au début du XXIe siècle. Contrairement à ses œuvres cyberpunk, Gibson se concentre ici sur un présent alternatif (ou un futur très proche), où la surveillance, le marketing viral et les guerres de l'information redéfinissent le pouvoir. Les coulisses du XXIe siècle, où l’information est la nouvelle monnaie, et où seuls les marginaux efusent de se vendre complètement...
Dans "Spook Country" (2007), Pays fantôme, un monde où espionnage et réalité augmentée se mélangent, un monde où tout est espionnage, désinformation et flux financiers opaques, Hollis Henry, ex-chanteuse devenue journaliste, enquête sur un artiste qui crée des hologrammes géolocalisés (des "installations virtuelles" visibles via casque VR). Tito, un jeune Cubain espion, et Milgrim, un toxicomane linguiste, sont mêlés à un trafic d’informations lié à un conteneur mystérieux. Bigend (qui incarne le capitalisme prédateur) cherche à contrôler ces technologies pour manipuler les perceptions.
Dans "Zero History" (2010), on aborde financiarisation et militarisation du quotidien. Hollis et Milgrim sont recrutés par Bigend pour traquer le créateur d’une marque de vêtements ultra-secrète (Gabriel Hounds), conçue pour échapper aux algorithmes. L’enquête révèle un lien avec des militaires privatisés et des prototypes high-tech. Bigend veut exploiter cette "anti-mode" pour devancer les tendances.