Literatur der späten Bonner Republik & Neuer deutscher Film der 80er - Alexander Kluge (1932), "Abschied von gestern" (Adieu hier, 1966) - Jurek Becker (1937-1997),  "Jakob der Lügner" (1969, Jakob le menteur) - Rainer Werner Fassbinder, "Die Ehe der Maria Braun" (Le Mariage de Maria Braun) (1978) - Wim Wenders, "Paris, Texas" (1984), "Der amerikanische Freund" (L'Ami américain, 1977) - Botho Strauss (1944), "Paare, Passanten" (1981) - Christoph Hein (1944), "Der fremde Freund" (L'ami étranger, 1982)- Doris Dörrie (1955), "Männer" (1985) - Volker Braun (1939), "Hinze-Kunze-Roman" (1985, Le Roman de Hinze et Kunze) - Gert Hofmann (1931-1993), "Der Blindensturz" (1985, La Chute des aveugles) - Patrick Süskind (1949), "Das Parfum" (1985, Le Parfum) - Bernhard Schlink (1944), "Der Vorleser" (Le Liseur, 1995) - ...

Last Update : 12/31/2016


La critique acerbe du "miracle économique" ouest-allemand (le Wirtschaftswunder) dans les années 1980, notamment dans le cinéma de Rainer Werner Fassbinder (avec sa Trilogie de la RFA) ou de Wim Wenders, s’inscrit dans une remise en question plus large des illusions de la prospérité d’après-guerre.

Le miracle économique (années 1950-60) a permis à l’Allemagne de l’Ouest de se reconstruire matériellement, mais sans véritable travail de mémoire. Mais des anciens nazis occupaient encore des postes clés (politique, justice, entreprises), comme le montre Fassbinder dans Lola (corruption des élites) ou Edgar Reitz dans Heimat (silence des petites villes). Wenders, dans L’Ami américain, filme une Europe hantée par son passé, où l’argent sert à masquer les failles morales. Les films des années 1980 dépeignent une société matérialiste, où l’identité se réduit à la possession (voitures, gadgets, maisons). Le Mariage de Maria Braun (Fassbinder) montre une héroïne qui incarne la réussite économique, mais se détruit émotionnellement. Wenders, dans Paris, Texas, oppose les paysages déserts du Texas aux néons clinquants de L.A., symboles d’une modernité vide.

La RFA des années 1980 est marquée par des scandales (comme l’affaire Flick, où des industriels corrompaient des partis politiques). Dans Lola, Fassbinder montre comment le capitalisme transforme tout en transaction (amour, pouvoir, art). Alexander Kluge (Les Artistes sous le chapiteau : perplexes) critique la collusion entre médias, politique et argent.


Le cinéma allemand des années 1970-1980 (Nouvelle Vague allemande, Fassbinder, Wenders, Herzog, Schlöndorff) était engagé, expérimental et internationalement reconnu. Pourtant, à partir des années 1990, il semble perdre en visibilité et en audace.  Dans les années 1970, le FFA (Filmförderungsanstalt) et les télévisions publiques (ARD, ZDF) financent des films d’auteur politisés. Après la réunification (1990), les budgets se recentrent sur des productions plus commerciales ou des films "patriotiques" (ex : Good Bye, Lenin!).

Fassbinder meurt en 1982, Herzog et Wenders partent travailler à l’étranger, Schlöndorff se tourne vers des projets moins radicaux. Pas de relève immédiate : les cinéastes des années 1990 (Tom Tykwer, Wolfgang Becker) privilégient un style plus grand public (Lola rennt, Good Bye, Lenin!). Les années 1990 voient l’émergence de comédies légères (Keinohrhasen, Türkisch für Anfänger) et de thrillers formatés (Anatomie). Les salles sont dominées par les blockbusters US, marginalisant le cinéma d’auteur.

 

Contrairement au 7e art, la littérature allemande résistera mieux au déclin culturel des années 1990. Günter Grass (prix Nobel 1999), Christa Wolf, Martin Walser et Botho Strauss ont maintenu une production exigeante, de nouvelles voix se sont fait connaître, des écrivains comme Daniel Kehlmann (Les Arpenteurs du monde, 2005) ou Judith Hermann ont renouvelé le paysage littéraire. Des thématiques politiques ont été préservées : la réunification, la mémoire du nazisme, la critique sociale sont restés des sujets centraux. Mais comparé à la France ou au Royaume-Uni, très peu de grands romans allemands récents ont inspiré des films mémorables, si ce n'est "Le Liseur" (Bernhard Schlink, adapté en 2008 par Stephen Daldry) et "Le Parfum" (Patrick Süskind, adapté en 2006). 

C'est que le monde littéraire et le cinéma allemands ont évolué en silos séparés après 1990. Les écrivains des années 1990-2000 (comme Ingo Schulze) ont produit une œuvre plus introspective, moins "cinégénique", tandis que les producteurs allemands se sont tournés vers des comédies légères ou des films historiques consensuels plutôt que vers des adaptations audacieuses...


Alexander Kluge (1932), anticonformisme radical et figure majeure de la culture allemande contemporaine, à la fois cinéaste, écrivain, théoricien et intellectuel public : son œuvre multiforme et expérimentale en fait l'un des artisans les plus importants de la Nouvelle Vague allemande (Oberhausen, 1962) et un penseur critique de la modernité (pour Kluge, le cinéma doit capter la complexité du réel par des fragments plutôt que des intrigues linéaires). Il fut l'assistant de Theodor W. Adorno à l'Institut für Sozialforschung de Francfort) et co-rédacteur du Manifeste d'Oberhausen (1962), qui proclame la mort du "Papa Kino" (cinéma conventionnel) et appelle à un nouveau langage cinématographique...

 

"Les Artistes sous le chapiteau : perplexes" (1968, "Die Artisten in der Zirkuskuppel: ratlos. Die Unfähigkeit, sich das Ende vorzustellen") raconte Leni Peickert, une jeune femme qui reprend un cirque itinérant avec l'ambition de le transformer en "art révolutionnaire". Mais ses tentatives échouent, les numéros traditionnels (acrobaties, clowns) ne séduisent plus le public, ses idées avant-gardistes (comme faire voler le chapiteau comme un OVNI) se heurtent aux réalités économiques. Le cirque finit par être vendu à un entrepreneur qui le convertit en attraction commerciale. L'incapacité à imaginer la fin", le sous-titre (emprunté au philosophe Ernst Bloch) est la clé du film : les personnages (artistes, syndicalistes, intellectuels) répètent des schémas du passé sans pouvoir inventer un avenir. Un plan fixe montre des ouvriers regardant passer un train – immobiles, comme paralysés par l'histoire. Kluge suggère que le "miracle économique" ouest-allemand a stérilisé l'imagination politique. Le final où Leni, désormais speakerine TV, incarne la récupération des rêves par les médias...

"Die Patriotin" (1979) s'empare de la mémoire du nazisme à travers le regard d'une enseignante. "Der Angriff der Gegenwart auf die übrige Zeit" (1985) interroge la vitesse de la modernité. Ses "Chronik der Gefühle" (Chronique des sentiments, 2000, 2000+ pages) mêle histoires courtes, documents et réflexions. 


"Abschied von gestern" (Adieu hier, 1966) est considéré comme l'un des premiers jalons du Nouveau Cinéma Allemand (Neuer Deutscher Film), mouvement qui a revitalisé le cinéma d'auteur en Allemagne après des années de déclin post-Seconde Guerre mondiale. Le film mêle documentaire et fiction, utilisant des techniques fragmentaires (montage discontinu, voix off, archives) pour raconter l'histoire d'Anita G. (Alexandra Kluge), une jeune femme est-allemande en rupture avec la société ouest-allemande. Cette approche anti conventionnelle s'inspire de la théorie critique (Adorno, dont Kluge était proche) et du cinéma de Godard, remettant en cause la linéarité hollywoodienne.

Kluge interroge l'amnésie collective de l'Allemagne des années 1960, encore marquée par le nazisme et divisée par la Guerre froide. Anita G. incarne une figure marginale dont le parcours reflète les contradictions d'une société en pleine reconstruction économique mais moralement fragile. Le titre même (Adieu à hier) évoque une rupture avec le passé, mais suggère aussi l'impossibilité de cette rupture. Kluge, intellectuel et juriste de formation, applique des concepts de l'École de Francfort (notamment l'idée de "résistance" culturelle) au cinéma. Le film est une réponse à la "culture industrielle" dénoncée par Adorno et Horkheimer. Primé à Venise en 1966, le film a ouvert la voie à une reconnaissance internationale du cinéma allemand....


Volker Schlöndorff, "L'Honneur perdu de Katharina Blum" (Die verlorene Ehre der Katharina Blum oder: Wie Gewalt entstehen und wohin sie führen kann, 1975)

Après des études de sciences politiques à Paris, Schlöndorff entre comme assistant de réalisateurs français majeurs (Louis Malle, il travaille sur Zazie dans le métro, 1960; Alain Resnais, L'Année dernière à Marienbad, 1961). Cette immersion dans le cinéma d'auteur français influence son style, marqué par la précision formelle et l'engagement intellectuel.

Adapté du roman "Les Désarrois de l'élève Törless" de Robert Musil, ce film est le premier long-métrage allemand à traiter ouvertement des racines psychologiques du fascisme dans une école militaire austro-hongroise. Prix FIPRESCI à Cannes en 1966, il devient un manifeste du Nouveau Cinéma Allemand (avec Kluge, Fassbinder, Herzog).

La consécration internationale vient avec "L'Honneur perdu de Katharina Blum" (1975), co-écrit avec Heinrich Böll (Prix Nobel de littérature) : le film adapte son roman dénonçant la chasse aux sorcières médiatique contre les militants de gauche en Allemagne (contexte terrorisme des années 1970). Succès critique et public, symbole du cinéma politique allemand, primé à Cannes et nominé aux Oscars.

Palme d'Or à Cannes (1979) et Oscar du meilleur film étranger (1980), consécration pour Schlöndorff et visibilité inédite pour le cinéma allemand avec "Le Tambour" (1979), une adaptation du roman de Günter Grass : un film fantastique et grotesque sur l'Allemagne nazie vue par un enfant qui refuse de grandir devient un événement mondial.

Après Le Tambour, Schlöndorff alterne projets allemands et hollywoodiens (Un amour de Swann, 1984 ; The Handmaid's Tale, 1990).


"Die Ehe der Maria Braun" (Le Mariage de Maria Braun) (1978), Rainer Werner Fassbinder 

Le film n'est pas adapté d'un roman. Il s'agit d'un scénario original écrit par Rainer Werner Fassbinder (réal.) et Peter Märthesheimer (scénariste). Fassbinder s'est inspiré de l'histoire sociale et politique de l'Allemagne d'après-guerre. Un pilier du Nouveau Cinéma Allemand

Premier volet de la "Trilogie de la BRD" (RFA) de Fassbinder, avec "Lola" (1981) et "Veronika Voss" (1982)..

Le plus grand succès de Fassbinder est aussi sa critique la plus efficace du "miracle économique" allemand des années cinquante, avec un portrait subtil et dramatique d'une femme indomptable, symbole de son pays. Maria Braun (Hanna Schygulla) a survécu aux bombardements de Berlin, tandis que son mari Hermann (Klaus Löwitsch) se battait sur le front russe.  son retour, il est emprisonné pour avoir tué Bill (Greg Eagles) un officier noir américain qui la comblait de cadeaux. En fait, il s'accuse du meurtre commis par sa femme. Maria prend pour nouvel amant un riche industriel, Karl Oswald (Ivan Desny) dont elle devient l'assistante, et grâce à sa ténacité et son intelligence, fait rapidement carrière. 

Fassbinder mélange les recettes confirmées du mélodrame hollywoodien et des thèmes sociaux et politiques contemporains. L`histoire, qui commence en 1943 sous les bombes, est superbement construite, parsemée d'incidents drolatiques ou mélodramatiques. La caméra de Fassbinder suit son héroïne avec de longs mouvements circulaires. Schygulla donne une de ses meilleures prestations...


"Lola" (1981), le premier volet de la Trilogie de la RFA (BRD) de Rainer Werner Fassbinder, est un film essentiel pour comprendre la critique sociale et politique du cinéaste dans le contexte de l’Allemagne de l’Ouest d’après-guerre. Inspiré par "L’Ange bleu" (1930) de Josef von Sternberg, Fassbinder revisite le mythe de la chanteuse de cabaret séductrice pour en faire une satire corrosive du capitalisme, de la corruption et de l’hypocrisie morale dans l’Allemagne des années 1950.

Le film dépeint une société en pleine mutation, où les opportunistes (comme le promoteur immobilier Schuckert, incarné par Mario Adorf) prospèrent grâce à des combines politiques et financières, tandis que les idéalistes (comme le commissaire Von Bohm, joué par Armin Mueller-Stahl) se heurtent à un système corrompu. Fassbinder y voit une métaphore de la RFA, où la réussite économique masque une décomposition morale.

Barbara Sukowa incarne Lola, une chanteuse de cabaret qui joue de sa séduction pour survivre dans un monde dominé par les hommes. Loin d’être une simple victime, elle manipule autant qu’elle est manipulée, symbolisant à la fois la résilience et la compromission. Son personnage reflète les contradictions d’une société où l’appât du gain prime sur les valeurs humaines.

Fassbinder utilise des couleurs saturées (teintes rougeoyantes, néons criards) pour créer une atmosphère à la fois glamour et artificielle, renforçant l’idée d’un monde où tout est spectacle et transaction. Les plans travaillés et la mise en scène théâtrale soulignent la dimension grotesque des personnages.

Le film montre comment la démocratie naissante en RFA est déjà gangrénée par les alliances entre politique et business. La scène où Von Bohm, idéaliste au départ, finit par épouser Lola tout en fermant les yeux sur la corruption, résume l’amère conclusion de Fassbinder : tout le monde se vend, même les plus intègres.


Bernhard Schlink (1944)
Né près de Bielefeld, professeur de droit public et de philosophie du droit depuis 1992 à Berlin, et juge au tribunal constitutionnel du Land de Rhénanie, Schlink publie en 1987 un premier roman, policier, "Selbs Justiz" (Le Brouillard sur Mannheim), cosigné avec Walter Popp et qui sera adapté au cinéma ("Der Tod kam als Freund", 1991), mais c'est avec "Der Vorleser" (Le Liseur") qu'il rencontre en 1995 un succès international. Roman d'amour ou falsification sentimentale, malgré la controverse, l'oeuvre traite avec sobriété du problème de la culpabilité des Allemands sous le nazisme et de la difficulté pour la génération suivante d'en assumer l'héritage, ne serait-ce que par le lien affectif qui les lie à ces assassins. Trois parties distinctes composent ce récit, correspondant à trois phases de la chronologie qui lie Michael Berg, âgé de 15 ans au début du livre, et Hanna Schmitz, femme de 36 ans, dont le passé mystérieux bouleverse sa vie : elle s'est portée volontaire à un moment de son histoire pour être gardienne à Auschwitz à l'automne 1943.. Au-delà de la complexité de la relation amoureuse, comment un individu peut-il affronter, seul, ses émotions au fil de circonstances historiques qui le dépassent infiniment? Schlink a écrit notamment : "Die gordische Schleife" (1988, Le noeud gordien), "Selbs Betrug" (1992, Un hiver à Mannheim), "Liebesfluchten" (2000, Amours en fuite, nouvelles), "Selbs Mord" (2001, La fin de Selb), "Die Heimkehr" (2006)..

"Der Vorleser" (Le Liseur", 1995)
Comment vivre la culpabilité d'avoir aimé avec passion, sans le savoir, mais en l'assumant, un bourreau?  "À quinze ans, Michaël fait par hasard la connaissance, en rentrant du lycée, d'une femme de trente-cinq ans dont il devient l'amant. Pendant six mois, il la rejoint chez elle tous les jours, et l'un de leurs rites consiste à ce qu'il lui fasse la lecture à haute voix. Cette Hanna reste mystérieuse et imprévisible, elle disparaît du jour au lendemain.
Sept ans plus tard, Michaël assiste, dans le cadre de ses études de droit, au procès de cinq criminelles et reconnaît Hanna parmi elles. Accablée par ses coaccusées, elle se défend mal et est condamnée à la détention à perpétuité. Mais, sans lui parler, Michaël comprend soudain l'insoupçonnable secret qui, sans innocenter cette femme, éclaire sa destinée, et aussi cet étrange premier amour dont il ne se remettra jamais.
Il la revoit une fois, bien des années plus tard. Il se met alors, pour comprendre, à écrire leur histoire, et son histoire à lui, dont il dit : «Comment pourrait-ce être un réconfort, que mon amour pour Hanna soit en quelque sorte le destin de ma génération (...) que j'aurais moins bien su camoufler que les autres ?»  (Gallimard)

 "Wie sollte es ein Trost sein, daß mein Leiden an meiner Liebe zu Hanna in gewisser Weise das Schicksal meiner Generation, das deutsche Schicksal war, dem ich nur schlechter überspielen konnte als die anderen?" 

"Ich sah die Erwartung in ihrem Gesicht, sah es in Freude aufglänzen, als sie mich erkannte, sah ihre Augen mein Gesicht abstaten, als ich näherkam, sah ihre Augen suchen, fragen, unsicher und verletzt schauen und sah ihr Gesicht erlöschen."

 

"La souffrance que me causait mon amour pour Hanna était d'une certaine façon le destin de ma génération, le destin allemand auquel je pouvais simplement me soustraire plus difficilement, sur lequel j'avais simplement plus de mal à passer que les autres, mais comment cela aurait-il pu me consoler?"

"Je vis l'attente sur son visage, vis la joie l'illuminer lorsqu'elle me reconnut, je vis ses yeux explorer mon visage, alors que je m'approchais, je les vis chercher, interroger, vis leur expression devenir hésitante, blessée et son regard s'éteindre..."



Christoph Hein (1944)
"Wir haben uns auf der Oberfläche eingerichtet. Eine Beschränkung, die uns Vernunft und Zivilisation gebieten" (Nous nous sommes adaptés à une vie superficielle qui nous permet d'être raisonnables et civilisés). Sur fonds de RDA, Christoph Hein s'interroge sur les rapports que peuvent entretenir l'échec des existences et le modèle social du pays dans lequel ces échec se révèlent. La mort de ses protagonistes permet la reconstruction de ces relations diffuses, mais sans apporter de réponses définitives ...
Né à Heinzendorf, en Silésie, Christoph Hein possède cette singularité d'avoir grand dans un monde germanique partagé : il passe son enfance en Thuringe et en Saxe, doit poursuivre ses études secondaires à Berlin-Ouest, la RDA refusant à ce fils de pasteur toute possibilité d'études, mais la construction du Mur, en 1961, l'oblige à regagner sa famille et son pays. La RDA lui refuse toujours l'autorisation d'entreprendre des études supérieures, arguant de son départ illégal pour Berlin-Ouest, et il va exercer différents emplois. Dans les années 1970, il parvient à réaliser des mises en scène dans le célèbre théâtre de la  Volksbühne dont Benno Besson est alors le directeur artistique (Berlin Est). Ces pièces sont rarement autorisées par la censure (Schlötel oder was solls, 1974),  et il devient un romancier à succès avec "Der fremde Freund" (L'ami étranger), publié en RDA en 1982, et à l'Ouest en 1983 (Drachenblut). La chute du mur de Berlin et la réunification allemande seront vécues par Christoph Hein avec énormément de circonspection. Par la suite, il publie : "Einladung zum Lever Bourgeois" (1980, Invitation au lever bourgeois), "Horns Ende" (1985, La fin de Horn), "Der Tangospieler" (1989, Le joueur de tango), "Die wahre Geschichte des Ah Q." (1983), "Die Ritter der Tafelrunde" (1989), "Öffentlich arbeiten" (1987), "Frau Paula Trousseau" (2007), "Weiskerns Nachlass" (2016)...

"Der fremde Freund" (L'ami étranger, 1982)
Le roman conte l'histoire d'une liaison brutalement interrompue par la mort, une mort violente sans motif : Claudia jeune médecin, assiste à l'ouverture du récit, à l'enterrement de son ami, Henry, tué accidentellement au cours d'une bagarre. Claudia revient alors sur cette liaison qui a duré une année, sur cette rencontre qui voit se dessiner des rapports fragmentés entre une femme qui cherche à tout prix à se protéger et un homme qui ne sait, en toute conscience, pourquoi il vit. Cette relation si singulière se déroule au sein d'une société est-allemande qui, sous le discours exacerbé de l'auto-satisfaction, sous le maître-mot de nécessaire contribution pour chacun de contribuer à la glorification du socialisme,  recèle un monde de frustration et d'incompréhension totale. Un homme, une femme, ne peuvent pas ne pas faire de vagues...

 

 "Ich bin auf alles eingerichtet, ich bin gegen alles gewappnet, mich wird nichts mehr verletzen. Ich bin unverletzlich geworden. Ich habe in Drachenblut gebadet, und klein Lindenblatt ließ mich irgendwo schutzlos. Aus dieser Haut komme ich nicht mehr heraus. In meiner unverletzbaren Hülle werde ich krepieren an Sehnsucht nach Katharina."

 

"J'ai pris toutes mes dispositions. Je me suis cuirassée contre tout. Plus rien ne peut plus me blesser. Je suis devenue invulnérable. Je me suis baignée dans le sang du dragon, et aucune feuille de tilleul ne m'a laissée sans protection. Cette peau, je n'en sortirai plus. Dans cette enveloppe invulnérable, je créverai de la nostalgie de Katharina"..


"Frau Paula Trousseau" (Paula T. une femme allemande, 2007)
Hein réunit encore ici deux perspectives, celle la vie au sein de l'Allemagne de l'Est, vie fortement marquée par son orientation idéologique directement appréhendable, et celle de l'existence d'une femme ordinaire et pourtant singulière : tous les deux sont voués à une mort certaine comme pour s'être par trop rigidifié autour de leurs valeurs et de leurs idées.
"Paula veut être peintre, elle ne veut que cela. Elle est née en Allemagne de l’Est à une période où il ne fait pas bon pour une femme de rêver à autre chose que d’être une bonne mère de famille. La petite fille terrorisée par son père va trouver la force de s’opposer à lui et ensuite à son mari, qui n’hésitera pas à échanger ses pilules contraceptives contre un placebo pour la remettre dans le droit chemin. Elle va lutter d’abord pour exister puis pour faire des études aux Beaux-Arts, au prix de sa renonciation à son enfant. Paula va se construire contre les hommes, se cuirasser contre ses sentiments, et, implacable, utiliser les hommes pour pouvoir peindre comme elle le veut dans ce pays où il ne fait pas bon peindre en dehors du réalisme socialiste. Elle ne cherchera et ne trouvera la tendresse qu’auprès de ses amies et de son fils. Christoph Hein construit un personnage magnifique qui est un archétype de la difficulté à être un créateur à certaines époques et aussi une belle représentation du degré de contrôle et d’égoïsme nécessaire à qui sent et sait qu’il doit construire une oeuvre, qu’il y arrive ou pas. A travers ce personnage de femme entourée de rôles secondaires extraordinaires, il nous parle du talent et de la création." (Editions Métailié)


"Paris, Texas" (1984)

Réalisé par Wim Wenders et scénarisé par Sam Shepard, est un road movie poétique et mélancolique qui explore les thèmes de l'errance, de la mémoire et de la rédemption à travers le voyage d'un homme brisé qui tente de reconstruire les liens avec sa famille.

Travis Henderson (Harry Dean Stanton), un homme mutique et perdu, erre dans le désert du Texas avant de s’évanouir. Son frère Walt (Dean Stockwell) est contacté et vient le chercher pour le ramener à Los Angeles, où il vit avec son fils Hunter (Hunter Carson), que Travis n’a pas vu depuis quatre ans.

Peu à peu, Travis se réadapte à la vie sociale et renoue avec Hunter, qui ne le reconnaît pas d’abord. Apprenant que sa mère Jane (Nastassja Kinski) a disparu, Travis décide de partir avec Hunter à sa recherche. Leur voyage les mène vers Houston, où Travis découvre que Jane travaille dans un peep-show, s’enfermant dans une relation anonyme avec des hommes derrière une vitre sans miroir.

Dans une scène bouleversante, Travis, dissimulé dans l’obscurité, se confesse à Jane sans se révéler. Il lui raconte leur amour destructeur, sa jalousie maladive et leur séparation tragique. Finalement, il lui rend Hunter avant de repartir seul, vers un lieu symbolique : Paris, Texas, une parcelle de terre vide qu’il avait achetée autrefois en croyant y être né.

 

Bien plus qu’un road movie, c’est une méditation sur la solitude, l’amour perdu et la possibilité (ou l’impossibilité) de se racheter. La performance d’Harry Dean Stanton et le final ambigu en font un film inoubliable, souvent cité parmi les plus beaux du cinéma allemand et américain.

Robby Müller sublime les paysages avec des couleurs chaudes et des lumières néon, créant une ambiance à la fois réaliste et onirique. Et la bande originale de Ry Cooder (slide guitar) renforce le sentiment de mélancolie et d’errance....


"Der amerikanische Freund" (L’Ami américain, 1977) de Wim Wenders est un thriller existentialiste adapté du roman "Ripley’s Game" de Patricia Highsmith, une analyse de la  frontière trouble entre confiance et trahison, tout en rendant hommage au cinéma américain à travers le regard d’un Européen : Ripley incarne un rêve américain perverti (liberté sans morale), tandis que Wenders filme l’Europe avec une esthétique inspirée des noirs hollywoodiens...

La corruption de l’innocence : Jonathan, homme ordinaire, devient un tueur sous l’influence de Ripley, illustrant la vulnérabilité humaine face au mal. Tom Ripley (Dennis Hopper), escroc charismatique et amoral déjà présent dans Plein Soleil, manipule Jonathan Zimmermann (Bruno Ganz), un encadreur allemand atteint d’une maladie sanguine incurable. Ripley convainc un gangster français (Gérard Blain) que Jonathan serait le tueur idéal pour un contrat, exploitant son désespoir et son besoin d’argent pour sa famille.

Malgré ses réticences, Jonathan se laisse entraîner dans un meurtre, puis dans un second, commis dans le métro parisien. Ripley, tantôt mentor, tantôt spectateur cynique, observe la descente aux enfers de Jonathan, qui bascule dans la violence tout en découvrant une étrange complicité avec son manipulateur.

Le film culmine dans une poursuite tragique entre deux trains, où Jonathan, blessé, meurt sous les yeux de Ripley – qui, pour la première fois, semble ému par la perte de cet "ami" qu’il a lui-même sacrifié. Le film ouvre la "trilogie des héros fragiles" de Wenders, avant "Paris, Texas" et "Les Ailes du désir" ....


Volker Braun (1939)
Peu convaincu par  l'Ouest, Volker Braun est de ces écrivains de RDA qui, près la chute du mur, cherche encore et toujours à comprendre l'échec d'un système que pourtant ils contestèrent.
Né à Dresde, Volker Braun s'est imposé comme un écrivain majeur de la RDA,  et conservera après la chute du mur de Berlin une importance considérable dans la littérature allemande. Quatre oeuvres jalonnent son itinéraire, "Provokation für mich" (1965, Provocations pour moi et d'autres), "Die Kipper" (Rêves et erreurs du manoeuvre Paul Bauch aux prises avec le sable, le socialisme et les faiblesses humaines, 1962-1965),"Hinze-Kunze-Roman" (Le roman de Hinze et Kunze, 1985),  "Machwerk oder Das Schichtbuch des Flick von Lauchhammer" (2008, Le Grand Bousillage). Obligé d'exercer des métiers manuels (conducteur d'engins dans le Kombinat d'extraction du lignite à Schwarze Pumpe) après ses études secondaires pour une attitude jugée provocatrice avant de pouvoir poursuivre des études de philosophie à Leipzig, Volker Braun ne parvient pas à imposer son théâtre en RDA (1965-1967): à contrario sa poésie franchit plus aisément la censure (Gegen die symmetrische Welt, 1974, Contre le monde symétrique).

 

"Hinze-Kunze-Roman" (Le Roman de Hinze et Kunze, 1985)
Hinze, le chauffeur, grand et sec, et Kunze, le cadre du Parti, trapu et velu, figurent respectivement l'avant-garde de la classe ouvrière et le peuple des travailleurs, personnages emblématiques et M.Tout-le-Monde de cette fameuse société sans classe qu'est la RDA. Alternant scènes de la vie privée et scènes de la vie publique, l'auteur nous mène dans une réflexion ironique sur l'évolution du socialisme une petite dizaine d’années avant le tournant de l’automne 1989. Les "Libres propos de Hinze et Kunze" feront suite à ce livre, faisant éclater le contraste saisissant entre l'abstraction des slogans socialistes (Also vorwärts!) et l'existence contée comme une véritable jungle : " Wann kommt nun dein Kommunismus!" (Alors, il arrive quand ton communisme, interroge Hinze), "Der kommt nie. Vielleicht, daß wir gehen" (Il n'arrivera jamais. Peut-être que c'est nous qui partirons, réplique Kunze).


"Paare, Passanten" (1981, Botho Strauss)

Dramaturge, romancier et essayiste, Botho Strauss (1944) est né en RDA, puis fa fuit en RFA en 1954. Après des études de littérature et de théâtre, il fut un collaborateur de Peter Stein au Schaubühne de Berlin-Ouest (années 1970), lieu emblématique du théâtre politique et expérimental, et devint une figure majeure de la scène intellectuelle allemande dès les années 1980, avant de susciter des polémiques dans les années 1990 pour ses prises de position conservatrices (néo-nationalisme?). Au théâtre, ses œuvres les plus célèbres : "Trilogie du revoir" (Trilogie des Wiedersehens, 1976), une satire des intellectuels de gauche berlinois, entre dialogues absurdes et mélancolie; "Grand et Petit" (Gross und Klein, 1978), le monologue d’une femme marginale, errant dans une société indifférente (influence beckettienne); "Le Temps et la Chambre" (Die Zeit und das Zimmer, 1988), une réflexion sur l’éphémère et l’enfermement mental.

Parmi ses romans et essais, "La Dédicace" (Die Widmung, 1977) est un roman sur l’échec de l’utopie politique, "Le Lamento du Jeune Allemand" (Lamento del giovane tedesco, 2008), une autobiographie intellectuelle et critique de la modernité, et "L’Écrivain et sa patrie" (essais polémiques, 1993), un texte controversé où il critique le libéralisme et l’"oubli" de l’histoire allemande. Il accuse l’Allemagne post-réunification d’avoir "liquidé" son passé et évoque une certaine nostalgie pour un monde enchanté (mythes, sacré), qu’il oppose au rationalisme contemporain.

Une radiographie des solitudes contemporaines - "Paare, Passanten"  (Couples, passants) est un recueil de nouvelles et fragments narratifs publié en 1981 par Botho Strauss, alors figure montante de la littérature allemande. L’œuvre s’inscrit dans sa période de maturité artistique, entre observation sociale acerbe et métaphysique du quotidien. Le livre est composé de micro-fictions qui capturent des instants de vie, souvent autour de couples ou de rencontres éphémères. "Couples" ou scènes domestiques, Strauss dépeint des amants, des époux ou des inconnus liés par des dialogues vides ou des non-dits. Un couple dîne au restaurant, mais leurs pensées divergent complètement – l’un fantasme sur un passant, l’autre rumine une dispute ancienne. L’amour et le désir sont des illusions synchronisées, rarement partagées. "Passants" ou rencontres fugaces, des anonymes se croisent dans des gares, des rues ou des cafés, échangeant des regards ou des phrases sans suite. Une femme suit un inconnu dans Berlin-Ouest, imaginant une vie alternative avec lui, avant qu’il ne disparaisse dans la foule. La ville moderne est un théâtre d’incompréhension, où chacun joue un rôle sans public. "La Femme à la fenêtre", une femme observe depuis son appartement les passants, projetant sur eux ses désirs et ses peurs, et, peu à peu, la frontière entre voyeurisme et folie s’efface (Peter Handke et son esthétique de l’observation..)

 

"Ein Mann in einem grauen, zu kurzen Anzug, der im Restaurant allein am Tisch sitzt, ruft plötzlich »Psst!« in die dahinplappernde Menge der Gäste, so laut, daß alle, nachdem er dies zweimal wiederholt hat, zu seinem Tisch hinblicken und das Stimmengewoge stockt, beinahe versickert und nach einem letzten, kräftigen »Psst!« des Mannes endlich einer Totenstille weicht. Der Mann hebt den Finger und sieht horchend zur Seite und alle anderen horchen mit ihm still zur Seite. Dann schüttelt der Mann den Kopf: nein, es war nichts. Die Gäste rühren sich wieder, sie lachen albern und uzen den Mann, der sie zu hören ermahnte und die gemischteste Gesellschaft in eine einträchtig hörende Schar verwandelt hatte, wenn auch nur für Sekunden.

 In einem Restaurant erhebt sich eine größere Runde von jungen Männern und Frauen. Es ist bezahlt worden, und alle streben in lebhafter Unterhaltung dem Ausgang zu. Doch eine Frau ist sitzen geblieben am Tisch und sinnt dem nach, was eben an Ungeheuerlichem einer gesagt hat. Die anderen stehen bereits im Windfang des Lokals, da kommt ihr Mann zurück. Er hat, kurz vor dem Ausgang, bemerkt, daß ihm die Frau fehlt. Aber da steht sie auch schon auf und geht an ihm vorbei durch beide Türen.

 Mit dem Schlag einer ungewissen Stunde blicken in ihrem Heim, nach vielen Jahren der Ermüdung, der Benommenheit und der Trennungsversuche, zwei Menschen sich mit sperrangelweiten Augen an. Ein Erkennen zieht sie zueinander, ein Verlangen, als könnte zuletzt nur die Aufwiegelung aller sexuellen Kräfte, wie eine Revolution, sie von der Last der gemeinsamen Geschichte befreien und diese beenden. Ein Schlußbegehren läuft aus allen Gassen ein, die sie mit gleichen Schritten je hinuntergingen. Ein Begehren, das sie selbst erfahren als das reine Aufbegehren. Sie umarmen sich mit Armen der Gewalt, in der ihr Vertrautsein, ihre Erinnerung, ihre ausweglos lange Begleitung – in der die ganze Materie der Gewohnheit sich verdichtet und wie ein verlöschender Stern ins Schwarze der Nacktheit stürzt."

 

Un homme en costume gris trop court, assis seul à une table du restaurant, lance soudain un « Psst ! » à l’assemblée bavarde des clients, si fort qu’après l’avoir répété deux fois, tous tournent les yeux vers sa table et que le bourdonnement des voix s’interrompt, presque s’évanouit, pour finalement céder place, après un dernier « Psst ! » énergique de l’homme, à un silence de mort. L’homme lève un doigt et écoute, regardant sur le côté, et tous les autres écoutent avec lui, silencieux, regardant dans la même direction. Puis l’homme secoue la tête : non, ce n’était rien. Les clients s’agitent à nouveau, rient bêtement et narguent l’homme qui les avait exhortés à écouter, lui qui avait transformé cette foule disparate en un groupe unanime à l’écoute, ne fût-ce que pour quelques secondes.

Dans un restaurant, un grand groupe d’hommes et de femmes jeunes se lève. L’addition est réglée, et tous se dirigent vers la sortie en conversant avec animation. Mais une femme est restée assise à la table, songeant à l’énormité que l’un d’eux vient de prononcer. Les autres sont déjà dans le sas de l’établissement quand son mari revient. Il a remarqué, juste avant la sortie, que sa femme manquait. Mais déjà, elle se lève et passe devant lui, franchissant les deux portes.

À l’heure incertaine d’un coup de grâce, dans leur foyer, après des années de lassitude, d’engourdissement et de tentatives de séparation, deux êtres se regardent avec des yeux démesurément ouverts. Une reconnaissance les attire l’un vers l’autre, un désir, comme si seule la mobilisation de toutes leurs forces sexuelles, telle une révolution, pouvait enfin les libérer du fardeau de leur histoire commune et y mettre un terme. Une ultime convoitise afflue de toutes les ruelles où ils ont marché ensemble, du même pas. Un désir qu’ils éprouvent eux-mêmes comme une pure révolte. Ils s’étreignent avec des bras violents, où leur intimité, leurs souvenirs, leur interminable compagnonnage sans issue — où toute la matière de l’habitude se condense et plonge, telle une étoile qui s’éteint, dans le noir de la nudité.

 

"Trotz und inmitten der entschiedenen Verstimmung, die nach einem Streit zwischen ihnen eingetreten ist und wodurch sie zwei Tage ihrer Reise unter dem Druck einer äußersten Wortkargheit verbrachten, erhebt die Frau, die eben noch appetitlos in ihre Filetspitzen piekte, auf einmal den Kopf und summt laut und verliebt einen alten Schlager mit, der aus dem Barlautsprecher ertönt. Der Mann sieht sie an, als sei sie von allen guten Geistern, nun auch der Logik des Gemüts, verlassen worden. Jede Liebe bildet in ihrem Rücken Utopie. In grauer Vorzeit, vom Glück und von Liedern verwöhnt, liegt auch der Ursprung dieser kläglichen Partnerschaft. Und der Beginn erhält sich als tiefgefrorener, erstarrter Augenblick im Herzen der Frau. Es ist immer noch illud tempus in ihr, wo im Laufe der Jahre alles schrecklich verfiel und sich verändert hat. Erste Zeit, tiefgekühlt, eingefroren, nicht sehr nahrhafte Wegzehrung.

 

Malgré et au milieu de l’irritation persistante née d’une dispute entre eux — qui les a fait passer deux jours de voyage sous le poids d’un mutisme extrême —, la femme, qui picorait sans appétit ses lamelles de filet, relève soudain la tête et se met à fredonner avec amour une vieille chanson qui résonne dans le bar. L’homme la regarde comme si elle avait perdu tout bon sens, et même la logique du cœur. Toute amour porte en son dos une utopie. Dans la nuit des temps, bercée par le bonheur et les chansons, se niche aussi l’origine de ce misérable couple. Et ce commencement persiste, instant figé, glacé au fond du cœur de la femme. En elle, c’est toujours l’illud tempus, alors qu’au fil des années tout a terriblement décliné et changé. Premier temps, surgelé, immobile — bien maigre provision pour la route.

 

Les personnages parlent mais ne se comprennent pas : leurs monologues intérieurs révèlent un gouffre entre intériorité et apparences. Strauss utilise des dialogues décalés, où les réponses ne correspondent jamais aux questions. Et les relations sont réduites à des gestes ritualisés (dîners, rencontres sexuelles), vidés de sens. Les histoires sont des instantanés sans passé ni futur, reflet d’une époque où tout est jetable...

 

" Sie hat ein Haus geerbt, die zierliche junge Frau, Arbeiterin bei den Städtischen Verkehrsbetrieben, spricht begeistert vom Haus der Großmutter, verstorben seit kurzem, lauter Nischen!, redet ein auf ihren Arbeitskollegen, der schon verheiratet ist, aber übers Wochenende bei ihr blieb. Pläne, Pläne. Sie malt ihm das Haus auf die Papierserviette und will ihn da hineinverlocken. Im Umschwung ihrer Lebenslage weiß sie sich kaum zu halten, schwärmt und ängstigt sich und bietet einem stummen, ihr fast unbekannten Mann immer drängender die gemeinsame Zukunft an. Der Mann dreht seinerseits immer nervöser den Ehering um den Finger, lächelt ungläubig, schüttelt leicht den Kopf, als sei dies doch zu wunderlich, und läßt dabei im stillen, einmal probeweise, den Umschwung von den Waden aufwärts durch seine eigenen Verhältnisse ziehen.

 

Elle a hérité d’une maison, cette jeune femme menue, ouvrière dans les transports municipaux. Elle parle avec passion de la maison de sa grand-mère, morte récemment — « plein de recoins ! » — et presse son collègue de travail, déjà marié mais resté chez elle le week-end. Projets sur projets. Elle lui dessine la maison sur une serviette en papier, veut l’y attirer. Dans ce bouleversement de sa vie, elle a peine à se contenir, exaltée et anxieuse à la fois, et propose avec une insistance croissante un avenir commun à cet homme silencieux, qu’elle connaît à peine. Lui, de son côté, tourne de plus en plus nerveusement son alliance autour de son doigt, sourit, incrédule, secoue légèrement la tête comme devant une chose trop étrange, tout en laissant secrètement, pour voir, l’idée de ce renversement remonter des mollets jusqu’à sa propre existence." (image presque physiologique du désir qui monte, malgré lui)...

 

"Ein Bezirksbeamter in den Mittdreißigern läßt vor seiner träg und stumm dasitzenden Frau seine Intelligenz warmlaufen. Er wirft ein kritisches Licht auf gewisse berufliche Vorfälle, ja er erhebt sich zum distanzierten Beobachter des eigenen Amts, jetzt am Abend in der Bar beim Nachttrunk. Da von ihr kein Einspruch und auch kein Blick, der seine Lächerlichkeit durchschaute, zu erwarten ist, erzählt er immer heftiger und immer heftiger aufschneidend von den Mißbräuchen in der Verwaltung und was er dagegen zu unternehmen gedenkt. 

Und indem er so alleine spricht und niemanden beachten muß, fühlt er seine Intelligenz stetig zunehmen und die Einsicht in die Zusammenhänge berauscht ihn. Da kommt auf einmal auch ein Ansehen der Frau in seine Augen; zu seiner eigenen Genugtuung braucht er sie etwas klüger als sie ist, und stellt sich’s vor. So ungefährlich angehörig, wie sie bei ihm sitzt, ist dieser Mensch für ihn das beste Rauschmittel, sich leicht empor zu denken. 

Trotzdem sie hin und wieder durch eine falsche Wortergänzung doch verrät, wie wenig sie bei der Sache ist, wie wenig gar mit ihm auf ›gleicher Wellenlänge‹ – ein Manko in der Partnerschaft, dessentwegen der junge Beamte schon manchen Höhenflug mit bitterem Bedauern unterbrach. Er (im Zuge seiner Amtsschelte): »Was das den Steuerzahler ostet!« Sie: »Hat man denn keine andere Stelle, über die das laufen könnte?« Er: »Ach was! 

Stell dir doch bloß mal vor, was das den Steuerzahler kostet!« Und sagt es mit erhöhtem Nachdruck, fast erzürnt, damit die Frau sich endlich miterrege. Doch ihr Naturell gibt das nicht her, sie läßt sich von nichts und niemandem in helle Empörung versetzen. Da schweigt er plötzlich und eine nächste Frage, nähere Erkundigung von ihrer Seite unterbleibt. Der Mann bezahlt beim Kellner, und wenig später stehen beide auf. Als er für sie den geöffneten Mantel bereithält und sie sich ansehen, steht in den Augen des Mannes ein unwillkürlicher, nicht löschbarer Schimmer frivolen Mitleids ..."

(...)

"Un fonctionnaire de quartier, la trentaine bien entamée, fait chauffer son intelligence (métaphore mécanique conservée pour l’effet ironique) devant sa femme assise là, silencieuse et apathique. Il jette un regard critique sur certains incidents professionnels, s’érige même en observateur distant de sa propre administration (le ton bureaucratique est maintenu.), ce soir-là, attablé au bar pour un dernier verre. Comme il ne peut attendre d’elle ni objection ni regard perçant qui démasquerait sa ridicule fatuité, il se lance dans des récits de plus en plus enflammés, exagérant à mesure les abus de l’administration et les mesures qu’il compte prendre pour y remédier.

Et tandis qu’il parle ainsi seul, sans avoir à ménager qui que ce soit, il sent son intelligence croître sans cesse, grisé par sa propre perspicacité. Soudain, un certain respect pour sa femme lui vient aux yeux ; pour sa propre satisfaction, il a besoin de l’imaginer un peu plus intelligente qu’elle ne l’est. Aussi inoffensive qu’elle lui semble, assise là à ses côtés, cette femme est pour lui le meilleur stimulant pour s’élever par la pensée.

Pourtant, elle trahit parfois, en complétant maladroitement ses phrases, à quel point elle est absente, à quel point elle n’est pas sur la « même longueur d’onde » — une lacune dans leur relation qui a déjà contraint le jeune fonctionnaire à interrompre plus d’une envolée lyrique, l’emplissant d’un amer regret. Lui (dans sa diatribe contre l’administration) : « Ce que ça coûte au contribuable ! » Elle : « On ne pourrait pas faire passer ça par un autre service ? » Lui, presque irrité : « Mais enfin ! Imagine un peu ce que ça coûte au contribuable ! » Il insiste, avec une emphase accrue, espérant enfin la voir s’enflammer. Mais ce n’est pas dans sa nature ; rien ni personne ne peut la soulever d’une indignation vive. Alors, il se tait soudain, et aucune question, aucune curiosité ne vient de sa part. L’homme règle l’addition, et peu après, ils se lèvent tous deux. Lorsqu’il lui tend son manteau ouvert et qu’ils se regardent, une lueur involontaire, indélébile, flotte dans les yeux de l’homme : un mélange de pitié frivole...

(..)


Doris Dörrie (Männer, 1985)

Cinéaste et écrivaine allemande, Doris Dörrie (1955) fut propulsée comme figure majeure du "Nouveau Cinéma Allemand" avec son film "Männer" (Les Hommes, 1985), dans lequel un homme (Uwe Ochsenknecht) découvre que sa femme le trompe et tente de séduire son rival (Heiner Lauterbach). Le film fut un énorme succès critique et public, explorant avec humour les dynamiques de genre et les crises de l'identité masculine dans une Allemagne en mutation.  

Dans le cinéma allemand, historiquement très masculin, Doris Dörrie s’est imposée non seulement par son succès public, mais aussi par sa constance créative. Elle est l'une des rares réalisatrices allemandes à avoir construit une carrière indépendante et durable depuis les années 1980. Dans "Enfin l'amour !" (Keiner liebt mich, 1994), une femme marginale (Maria Schrader) cherchera l'amour dans un immeuble peuplé d'excentriques, dans "Cherry Blossoms" (Kirschblüten, Hanami, 2008), un veuf part au Japon sur les traces de sa femme décédée. Dörrie ne se limite pas au cinéma : elle est aussi romancière et professeure à la Hochschule für Fernsehen und Film München (École supérieure de télévision et de cinéma de Munich). Son œuvre littéraire, souvent autobiographique, explore aussi les thèmes de l'intimité, du voyage, et du passage de la vie. Dans "Am Ende kommt das Glück" (2009, roman), une femme traverse l’Allemagne à vélo après un cancer.


"Das Parfum" (Le Parfum, 1985, Patrick Süskind)

Best-seller traduit en 50 langues, adapté au cinéma par Tom Tykwer (2006), "Le Parfum" est à la fois thriller historique, fable philosophique et étude de la monstruosité. Süskind y évoque les limites de l’art (l’artiste obsessionnel, prêt à tout pour son œuvre, même au meurtre), la solitude (être sans odeur,le personnage principal est socialement invisible, comme s’il n’avait pas d’âme) et la quête de reconnaissance sans espoir (en voulant posséder l’odeur des femmes, le personnage principal cherche désespérément une reconnaissance qu’il n’obtiendra jamais). Son héros, ni tout à fait humain ni tout à fait démon, reste l’une des figures les plus fascinantes de la littérature allemande contemporaine...

"Le Parfum" raconte l’histoire de Jean-Baptiste Grenouille, un orphelin né en 1738 dans les puanteurs du Paris pré-révolutionnaire. Doté d’un odorat surhumain mais dépourvu de toute odeur corporelle, il devient un paria assoiffé de reconnaissance. Après un apprentissage chez un parfumeur, il se lance dans une quête obsessionnelle : capter l’essence des odeurs humaines, en particulier celle des jeunes femmes. Sa quête le mène à Grasse, où il perfectionne une technique diabolique : tuer des vierges pour distiller leur parfum. Après 24 meurtres, il crée un parfum absolu qui lui confère un pouvoir quasi divin sur les émotions humaines. Pourtant, son triomphe se termine par une fin tragique et grotesque : dévoré par une foule en transe à Paris, il disparaît sans laisser de trace, comme s’il n’avait jamais existé.

"Parfum" n'est pas une simple trouvaille littéraire. Authentique psychopathe, Grenouille est

persuadé que son odorat exceptionnel le place au-dessus de l'homme ordinaire. Il conçoit alors la fantaisie de devenir un capricieux tyran accordant aux masses les plus délicats des parfums avant de s'abandonner à son assouvissement personnel. Dans un monde bâti sur les odeurs, Grenouille devient obsédé par son absence d'odeur, particularité qui lui permet de discerner la substance de toute chose mais sans posséder lui-même de substance propre. 

Süskind utilise des descriptions olfactives d’une richesse inédite, faisant du roman une expérience littéraire unique : chaque scène est comme un voyage olfactif complexe. Süskind décrit de façon élaborée les odeurs des objets du quotidien (l'intensité et la variété des arômes dégagés par le bois, par exemple) et leur manipulation par les parfumeurs de l'époque.

Grenouille n’est ni diabolique ni pathétique, mais un miroir grossissant de nos propres obsessions, et dans un monde où tout se réduit aux apparences (odeurs, illusions), l’authenticité n’existe plus...

 

Éclipsées par "Le Parfum", son succès planétaire a occulté le reste du travail de Patrick Süskind, il est vrai qu'il fuit la célébrité et privilégie des formes littéraires courtes (nouvelles, monologues), moins médiatisées : il reste un écrivain inclassable et profond et publie très peu. "Le Pigeon" vaut pour son exploration de la paranoïa quotidienne, "La Contrebasse" pour son monologue désopilant et désespéré, et "Monsieur Sommer" pour sa mélancolie douce, à mi-chemin entre Sempé et Buzzati...

 

"Die Taube" (1987, Le Pigeon)

In funf Monaten wird der Wachmann einer Pariser Bank das Eigentum an seiner kleinen Mansarde endgultig erworben haben, wird ein weiterer Markstein seines Lebensplanes gesetzt sein. Doch dieser fatalistische Ablauf wird an einem heissen Freitagmorgen im August 1984 jah vom Erscheinen einer Taube in Frage gestellt. - Un court roman investi d'une sombre intensité. Jonathan Noel, monsieur Tout-le-monde cinquantenaire quelque peu excentrique, est un agent de sécurité dans une banque qui mène une vie presque automatisée, d'une uniformité monotone. Il a réduit ses interactions sociales au strict minimum. Au lieu de dépendre des autres, qui l'ont systématiquement déçu ou abandonné dans sa jeunesse, Noel trouve sa stabilité dans la simplicité d'une vie sans incidents et la sécurité d'un environnement et d'une routine familiers. Le roman se déroule sur vingt-quatre heures, et commence par une rencontre matinale avec un pigeon à l'extérieur du studio que Noel occupe depuis plus de trente ans. Lorsqu'il regarde l'oiseau dans les yeux, qui semblent dépourvus de vie, Noel est précipité dans ce que l'on appelle couramment la crise de la cinquantaine. Cet événement va profondément bouleverser non seulement sa routine, mais aussi son équilibre intérieur maintenu avec soin. Pour la première fois de sa vie, il fait preuve d'inattention au travail et est incapable de rentrer chez lui. Pour la première fois, il s'interroge sur le sens de l'existence qu'il s'est bâtie. 

D'une universalité potentielle qui fait sa force, ce court récit est également une analyse persuasive de la manière dont un incident apparemment trivial peut forcer l'individu à adopter de nouvelles perspectives. 

 

"Der Kontrabass" (1981, La Contrebasse), monologue théâtral et sa première œuvre publiée : un musicien d’orchestre raconte sa vie misérable et sa haine-amour pour son instrument, symbole de son échec artistique. La frustration sociale et la médiocrité assumée, mais aussi une critique du milieu culturel allemand. Une pièce culte en Allemagne, souvent jouée pour son humour grinçant...

 

Dans "Die Geschichte von Herrn Sommer" (1991, L’Histoire de M. Sommer), un narrateur adulte se souvient de son enfance et de M. Sommer, un homme mystérieux qui marche sans cesse, comme pour fuir quelque chose. Un court récit illustré par Jean-Jacques Sempé, ce qui renforce son ton mélancolique et poétique.


"Der Blindensturz" (1985, Gert Hofmann, La Chute des aveugles)

Gert Hofmann (1931-1993) est un écrivain allemand marqué par l’histoire du XXᵉ siècle. Il a grandi sous le nazisme, puis dans l’Allemagne de l’Est communiste, avant de fuir à l’Ouest en 1951. Après une une carrière académique (professeur de littérature allemande aux États-Unis et en Europe), il ne se consacre pleinement à l’écriture qu’à partir des années 1980 : une œuvre tardive mais en 12 ans, il publie une dizaine de romans, des pièces de théâtre et des nouvelles, salués pour leur style grotesque et leur profondeur philosophique. Hofmann travaille les traumatismes historiques et les dysfonctionnements sociaux de l’Allemagne, à travers des fables absurdes et des personnages marginalisés : l’héritage nazi avec "Die Fistelstimme" (1990), - un ancien SS qui se cache sous une identité falsifiée, l’amnésie collective -, la RDA et la surveillance, avec "Unsere Eroberung" (1984), - une société où la peur et la délation règnent (écho à la Stasi)- , inspiré par Kafka, des individus écrasés par des systèmes absurdes ("Der Blindensturz" avec ses aveugles abandonnés par l’État), une vision satirique de la bureaucratie ouest-allemande avec "Veilchenfeld" (1986), un professeur persécuté par l’administration pour des motifs insignifiants. Ses personnages sont souvent des exclus (aveugles, malades mentaux, vieillards), rejetés par une société indifférente : dans "Der Kinocräumer" (1993), un projectionniste solitaire est obsédé par un film qu’il ne peut plus montrer. Hofmann rejette le nationalisme et insiste sur la culpabilité historique : "Die Denunziation" (1979) révèle les mécanismes de la lâcheté ordinaire sous le IIIᵉ Reich ...

 

"Der Blindensturz "de Gert Hofmann s’inspire explicitement du célèbre tableau "La Parabole des aveugles" (1568) de Pieter Bruegel l’Ancien, qui illustre un proverbe biblique (Matthieu 15:14 : "Si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont tous deux dans une fosse") pour le réinterpréter dans une perspective moderne, politique et métaphysique. Comme dans le tableau, les aveugles de Hofmann tombent physiquement dans un ravin, mais leur chute est précédée d’une attente absurde et de dialogues grotesques. L’un après l’autre, ils basculent, le dernier entend les cris des autres, mais il est trop tard – il suit. 

Mais chez Bruegel, la chute est une leçon morale sur l’aveuglement spirituel, chez Hofmann, elle devient une critique de la société allemande post-nazie et post-RDA, où les "guides" (politiques, idéologiques) ont trahi le peuple. Et le roman peut se lire comme une satire des deux Allemagnes, où la population est abandonnée par ses élites : attente vaine, bureaucratie déshumanisante, les aveugles organisent des réunions, des discours, mais personne ne prend vraiment la responsabilité de leur sort.

Face à ces hommes fragiles et vulnérables, le lecteur est confronté de près à la vie telle qu'elle est. Le récit est d'autant plus poignant que les aveugles misent tous leurs espoirs sur cette rencontre avec l'artiste mais ne le  rencontrent jamais face à face et se voient même contraints de s'aventurer encore et encore dans l'étang afin de permettre à l'artiste de les peindre dans une situation qui exacerbe leur impuissance face à cette situation difficile. Sous la plume de Hofmann, le tableau de Bruegel devient une parabole non seulement des aveugles - qui représentent ici l'homme ordinaire - mais aussi de |'ambiguë relation de pouvoir entre l'artiste et ses modèles ...


Jurek Becker (1937-1997)
Becker, écrivain de RDA rescapé de la terreur nazie, s'interroge sur les stratégies possibles à opposer à ces horreurs que les hommes préparent pour d'autres hommes : "man kann nicht ewig sitzen" (on ne peut pas rester éternellement assis), fera-t-il encore jour demain?
Né à Lodz (Pologne), Jurek Becker passe son enfance dans le ghetto de cette ville et survit aux camps de concentration de Ravensbrück et de Sachsenhausen. Il vit après 1945 à Berlin, son père ayant falsifié leurs papiers eet germanisé leur nom, dans le secteur d'occupation soviétique, étudie la philosophie à Berlin-Est, puis travaillera comme écrivain et comme scénariste. Son célèbre roman "Jakob der Lügner", publié en 1969, est d'abord un scénario construit à partir d'une histoire mille fois rapportée par son père : un homme fournissait réellement au ghetto de Lenz des informations émanant de radio-Moscou et de radio-Londres : il fut par suite exécuté par la Gestapo après dénonciation. Jurek Becker modifie l'intrigue, l'acte héroïque consiste désormais à fournir des informations, certes erronées, mais pour entretenir l'espoir. Un espoir vidé de sa substance, le ghetto sera progressivement vidé de toute vie et son peuple déporté en wagons à bestiaux, vers les camps d’extermination. Frank Beyer en fait un film en 1974 avec Vlastimil Brodský et Erwin Geschonneck.

Autres publications : "Schlaflose Tage" (1980, L'heure du réveil), "Nach der ersten Zukunft" (1980, L'ami du monde entier, nouvelles), "Irreführung der Behörden" (1981, Histoire de Gregor Bienek), "Bronsteins Kinder" (1986, Les enfants Bronstein), "Amanda herzlos" (1992)...

 

"Jakob der Lügner" (1969, Jakob le menteur)
Lodz comprend avant la Guerrre plus de 200 000 juifs, soit un tiers de sa population : les troupes allemandes occupent la ville en septembre 1939 et crée en février 1940 un ghetto de 4 km2.  Le narrateur du roman entreprend de conter l'histoire de Jakob Heym qui ravitaille le ghetto entier de nouvelles tirées d’un poste de radio que les circonstances l'ont forcé à inventer. Il a en effet entendu une information réelle, à la radio allemande, sur l’avancée des troupes soviétiques : une fois que cette nouvelle a circulé, elle fait naître un tel espoir que Jakob se sent obligé de prétendre qu’il possède lui-même un poste, et se livre au mensonge. "Ich habe ein Radio", sagt Jakob. Au fur et à mesure que le temps passe, les contradictions deviennent évidentes entre les bonnes nouvelles et des déportations qui continuent sans cesse et vident le camp vers la mort. Mais qui pourrait supporter la vérité?