2000s

CulturalGlobalization1

Cultural Globalization - Roland Robertson (1938), "Globalization: Social Theory and Global Culture" (1992) - Anthony Giddens (1938), "The Consequences of Modernity" (1990) - Arjun Appadurai (1949), "Modernity at Large: Cultural Dimensions of Globalization" (1996) - Mike Featherstone (éd.) : "Global Culture: Nationalism, Globalization and Modernity" (1990) - John Tomlinson : "Globalization and Culture" (1999) -  ...

LastUpdate 11/11/2024


La mondialisation comme "déjà-là" (Always-Already Global), écrira John Macgregor Wise en 2008. Et cette mondialisation ne mène pas à une simple uniformisation culturelle (américanisation, universalisme à l'occidental), cette globalisation n'efface pas les cultures, mais elle complexifie leur dialogue et révèle leurs asymétries. La culture reste un champ de pouvoir où se jouent domination et résistance. 

La "Cultural Globalization" est née d'un dialogue entre Robertson (glocalisation), Giddens (modernité radicalisée) et Appadurai (anthropologie des flux). Leur héritage commun est d'avoir montré que la culture dans la mondialisation n'est ni homogène ni passive, mais un processus dynamique, contesté et créatif, où le global transforme le local – et vice-versa. Lire ces auteurs, c'est se doter d'une boussole pour naviguer dans ce paysage sans céder aux simplismes. Ils fournissent des outils critiques pour penser les crises actuelles (migrations, nationalismes, algorithmes). Leurs concepts (hybridité, tiers-espace, flux, déterritorialisation) sont devenus un vocabulaire commun mais que l'on s'empresse d'ignorer tant médias et politiques aiment à conforter l'opinion publique dans une extrême simplification des idées et des émotions les plus primitives.

 

Le concept de "Cultural Globalization" (mondialisation culturelle) désigne l'ensemble des processus par lesquels les pratiques, biens culturels, symboles, valeurs, et idées circulent à l'échelle mondiale, façonnant des identités culturelles interconnectées mais aussi des résistances et des réinventions locales. 

Marshall McLuhan (1911-1980) via son concept central de « Global Village » (village planétaire) fut l'un des premiers à anticiper comment les technologies médiatiques (radio, télévision, puis internet) abolissent les distances spatiales, créant un espace culturel global où les individus partagent une conscience commune, influencée par les mêmes médias. Le concept s'est imposé principalement à partir des années 1980-1990, porté par l'intensification des échanges médiatiques, économiques, technologiques et migratoires, une période marquée par la diffusion accélérée des technologies de communication (télévision par satellite, internet), l'expansion mondiale des entreprises multinationales culturelles (Hollywood, Coca-Cola, McDonald's) et les débats critiques sur l'impact de la globalisation sur les identités culturelles locales et la diversité culturelle. 

L'expression "Cultural Globalization" devient un champ académique identifiable vers 1992-1995, portée par trois figures majeures : Roland Robertson (1938), Anthony Giddens (1938) et Arjun Appadurai...

Robertson met en avant la coexistence de processus globaux et locaux, affirmant que la mondialisation ne conduit pas à l’uniformisation totale mais à des adaptations locales (« glocales »), où les éléments globaux sont réinterprétés et appropriés différemment selon les contextes locaux. Avec Arjun Appadurai, la mondialisation devient un processus complexe, chaotique et multidirectionnel, et l'Imagination est décrite comme une Pratique Sociale et une Force Motrice : elle devient une pratique sociale collective organisatrice. Grâce aux mediascapes (télévision, cinéma, internet naissant) et aux ethnoscapes (migrations), les individus et les groupes peuvent imaginer des vies, des identités et des mondes bien au-delà de leur localité immédiate. Cette capacité est centrale pour comprendre les diasporas, les nationalismes à distance, les mouvements transnationaux, la construction d'identités hybrides. Elle donne aux acteurs un pouvoir d'agir (agency) dans la mondialisation, loin d'être de simples récepteurs passifs ... 

 

Si Robertson ,Giddens et Appadurai forment un socle fondateur, le champ de la "Cultural Globalization" s'est considérablement enrichi et complexifié depuis les années 2000. Plus que jamais la Cultural Globalization reste un champ de forces contradictoires, où la culture est fondamentalement un enjeu de pouvoir. La recherche s'est de fait spécialisée (études numériques, décoloniales, écologiques...) sans générer de méta-théorie unificatrice et sans voir s'imposer une "voix" dominante comparable au trio initial. Mais l'originalité d'un ouvrage tel que "The Platform Society" (2018) réside dans le lien qu’il établit entre "platformization" et globalisation culturelle : les plateformes globales (Google, Facebook, YouTube, Spotify, etc.) fonctionnent comme infrastructures culturelles mondiales, orientant la circulation des contenus, des normes et des pratiques culturelles, créant ainsi une centralisation algorithmique du goût et de l’attention : se substituant aux  médiations traditionnelles (éditeurs, producteurs, diffuseurs nationaux) par des logiques propriétaires globales...

(cf. CulturalGlobalization1)

"CULTURAL GLOBALIZATION", ou  "mondialisation culturelle", le terme académique standard ...

"Globalization" seul désigne la mondialisation économique et politique, "Cultural globalization" précise explicitement la dimension culturelle (flux symboliques, identités, médias). La traduction de la notion sociologique d'"agency" (centrale chez Appadurai et dans les sciences sociales anglophones) est un autre débat récurrent en français. Il n'existe pas d'équivalent parfait unique, et le choix dépend du contexte et de la nuance souhaitée. 

Le Pouvoir ou la capacité d'Agir est la traduction la plus courante et la plus accessible. Elle incarne l'essence de la capacité des individus et des groupes à initier des actions, à faire des choix, à influencer leur environnement et à négocier avec les structures sociales (contraintes, normes, flux globaux). Appadurai insiste sur cette capacité des acteurs à s'approprier, détourner ou résister aux flux globaux. "Pouvoir" peut évoquer un rapport de force pur, alors que l'agency inclut aussi la capacité à donner du sens et à s'organiser. L' "Agentivité" est un néologisme, calqué sur l'anglais, qui est de plus en plus utilisé, surtout dans les travaux académiques francophones (sociologie, anthropologie, philosophie). Il a l'avantage d'être un terme spécifique désignant précisément ce concept théorique, mais peut sembler jargonnant ou peu naturel pour un non-spécialiste. Par rapport au concept d'Autonomie, qui exprime l'idée de marge de manœuvre, de liberté relative par rapport aux déterminismes sociaux ou aux contraintes globales, l'agency n'implique pas nécessairement une indépendance totale ou une liberté absolue (les acteurs sont toujours situés dans des structures), mais plutôt leur capacité à agir au sein et en interaction avec ces structures. C'est dire l'importance de ce "pouvoir d'agir" qui révèle, face aux flux globaux complexes et disjonctifs (ethnoscapes, mediascapes...), combien les individus et les groupes ne sont pas passifs, mais ont la capacité d'agir, de négocier, de s'approprier ces flux, de produire de la localité et de construire leur monde à travers l'imagination sociale....


PICs by Liu Xiaodong (1963), l'une des figures centrales de la « Nouvelle Génération » du Réalisme chinois contemporain, des intérieurs saturés de marques globales (Nike, Coca-Cola), de technologies omniprésentes (smartphones, ordinateurs) et de codes vestimentaires hybrides ... "New Generation" (Série, années 2010)


Roland Robertson, "Globalization: Social Theory and Global Culture" (1992)

Sociologue écossais, né en 1938, Roland Robertson est celui qui introduit le terme de "Globalization" dans le lexique sociologique, un concept central signifiant que le global et le local interagissent ("Think globally, act locally").

Les cultures locales réinterprètent les flux globaux. : La mondialisation produit une prise de conscience d'appartenir à une "humanité unique" (ex : sommets environnementaux, JO) - la notion de Conscience globale -,  et conduit les sociétés à se définir désormais en relation avec les autres.

Les points essentiels à retenir de son ouvrage peuvent s'énoncer ainsi : 

1. Conceptualisation de la mondialisation comme processus socioculturel

Robertson introduit une compréhension sociologique originale de la mondialisation, la définissant comme l’interpénétration croissante des processus sociaux et culturels à l’échelle mondiale. Il montre que la mondialisation n’est pas seulement économique ou technologique, mais profondément culturelle et sociale.

2. Théorie de la "glocalisation"

Robertson a popularisé le terme de "glocalisation", une fusion de « global » et « local », pour décrire la façon dont les pratiques culturelles locales intègrent et adaptent les influences globales. Ainsi, la mondialisation n’écrase pas simplement les particularismes locaux, mais elle les recompose.

3. La mondialisation comme prise de conscience du monde

Selon Robertson, la mondialisation engendre une prise de conscience accrue d’appartenir à un monde unique (« the world as a single place »). Cette conscience globale affecte non seulement la politique internationale, mais également les identités personnelles et collectives.

4. Dimensions analytiques de la mondialisation

Robertson identifie quatre dimensions essentielles qui structurent la mondialisation :

- Les Individus (identité personnelle, rapport au monde).

- Les Sociétés nationales (États-nations et leurs interactions).

- Le Système international (relations entre États).

- L'Humanité globale (prise de conscience globale).

 

Robertson combine sociologie, théorie culturelle et études politiques, élargissant ainsi considérablement le champ d’étude de la mondialisation. Contrairement aux approches économiques dominantes, Robertson insiste sur l'importance des facteurs culturels et idéologiques. Il critique les analyses strictement économiques ou matérialistes qui ignorent la dimension symbolique et culturelle de la mondialisation.

Son ouvrage constitue une référence essentielle pour toute réflexion approfondie sur la mondialisation, influençant des auteurs ultérieurs comme Arjun Appadurai, Ulrich Beck et Anthony Giddens.


"Modernity belongs to that small family of theories that both declares and desires universal applicability for itself. What is new about modernity (or about the idea that its newness is a new kind of newness) follows from this duality. Whatever else the project of the Enlightenment may have created, it aspired to create persons who would, after the fact, have wished to have become modern. This self-fulfilling and self-justifying idea has provoked many criticisms and much resistance, in both theory and every-day life. 

In my own early life in Bombay, the experience of modernity was notably synaesthetic and largely pretheoretical. I saw and smelled modernity reading Life and American college catalogs at the United States Information Service library, seeing B-grade films (and some A-grade ones) from Hollywood at the Eros Theatre, five hundred yards from my apartment building. I begged my brother at Stanford (in the early 1960s) to bring me back blue jeans and smelled America in his Right Guard when he returned. I gradually lost the England that I had earlier imbibed in my Victorian schoolbooks, in rumors of Rhodes scholars from my college, and in Billy Bunter and Biggles books devoured indiscriminately with books by Richmal Crompton and Enid Blyton. Franny and Zooey, Holden Caulfield, and Rabbit Angstrom slowly eroded that part of me that had been, until then, forever England. Such are the little defeats that explain how England lost the Empire in postcolonial Bombay. 

I did not know then that I was drifting from one sort of postcolonial subjectivity (Anglophone diction, fantasies of debates in the Oxford Union, borrowed peeks at Encounter, a patrician interest in the humanities) to another: the harsher, sexier, more addictive New World of Humphrey Bogart reruns, Harold Robbins, Time, and social science, American-style. 

By the time I launched myself into the pleasures of cosmopolitanism in Elphinstone College, | was equipped with the Right Stuff—an Anglophone education, an upper-class Bombay address (although a middle-class family income), social connections to the big men and women of the college, a famous (now deceased) brother as an alumnus, a sister with beautiful girl-friends already in the college. But the American bug had bit me. | found myself launched on the journey that took me to Brandeis University (in 1967, when students were an unsettling ethnic category in the United States) and then on to the University of Chicago. In 1970, I was still drifting toward a rendezvous with American social science, area studies, and that triumphal form of modernization theory that was still a secure article of Americanism in a bipolar world. 

The chapters that follow can be seen as an effort to make sense of a journey that began with modernity as embodied sensation in the movies in Bombay and ended face-to-face with modernity-as-theory in my social science classes at the University of Chicago in the early 1970s. In these chapters, | have sought to thematize certain cultural facts and use them to open up the relationship between modernization as fact and as theory.' This reversal of the process through which I experienced the modern might account for what might otherwise seem like an arbitrary disciplinary privileging of the cultural, a mere professional anthropological bias. 

 

« La modernité appartient à cette petite famille de théories qui proclament et désirent s’appliquer universellement. Ce qui est nouveau dans la modernité (ou dans l’idée que sa nouveauté est d’un genre inédit) découle de cette dualité. Quoi qu’ait pu créer d’autre le projet des Lumières, il aspirait à créer des personnes qui, après coup, auraient souhaité devenir modernes. Cette idée auto-réalisatrice et auto-justificatrice a provoqué de nombreuses critiques et résistances, tant en théorie que dans la vie quotidienne.

Durant ma jeunesse à Bombay, l’expérience de la modernité fut notablement synesthésique et largement pré-théorique. Je voyais et sentais la modernité en lisant Life et les catalogues d’universités américaines à la bibliothèque de l’USIS, en regardant des films hollywoodiens de série B (et quelques-uns de série A) au cinéma Eros, à cinq cents mètres de mon immeuble. Je suppliais mon frère à Stanford (au début des années 1960) de me rapporter des jeans, et je sentis l’Amérique dans son déodorant Right Guard à son retour. Je perdis peu à peu l’Angleterre que j’avais antérieurement absorbée dans mes manuels scolaires victoriens, dans les rumeurs sur les boursiers Rhodes de mon université, et dans les livres de Billy Bunter et Biggles dévorés indistinctement avec ceux de Richmal Crompton et Enid Blyton. Franny et Zooey, Holden Caulfield et Rabbit Angstrom rongèrent lentement la part de moi qui avait été, jusque-là, « à jamais l’Angleterre ». Telles sont les petites défaites qui expliquent comment l’Angleterre perdit l’Empire dans le Bombay postcolonial.

J’ignorais alors que je dérivais d’une forme de subjectivité postcoloniale (diction anglophone, fantasmes de débats à l’Oxford Union, lectures furtives d’Encounter, intérêt patricien pour les humanités) vers une autre : le Nouveau Monde plus dur, plus sexy, plus addictif des rediffusions d’Humphrey Bogart, de Harold Robbins, de Time et des sciences sociales à l’américaine.

Quand je me lançai dans les plaisirs du cosmopolitisme à l’Elphinstone College, j’étais paré du Bon Matériel — une éducation anglophone, une adresse huppée à Bombay (bien qu’un revenu familial de classe moyenne), des relations avec les personnalités influentes de l’université, un frère célèbre (aujourd’hui décédé) comme ancien élève, une sœur aux amies déjà inscrites dans l’établissement. Mais le virus américain m’avait piqué. Je me retrouvai embarqué dans le voyage qui me mena à l’Université Brandeis (en 1967, quand les étudiants étaient une catégorie ethnique déstabilisante aux États-Unis), puis à l’Université de Chicago. En 1970, je dérivais encore vers une rencontre avec les sciences sociales américaines, les area studies, et cette forme triomphante de la théorie de la modernisation qui demeurait un dogme incontesté de l’américanisme dans un monde bipolaire.

Les chapitres qui suivent peuvent être lus comme une tentative de donner sens à un parcours commencé par la modernité comme sensation incarnée dans les salles obscures de Bombay, pour s’achever face à la modernité-comme-théorie dans mes cours de sciences sociales à Chicago au début des années 1970. J’y ai cherché à thématiser certains faits culturels afin d’explorer le rapport entre la modernisation comme réalité et comme théorie. Ce renversement du processus par lequel j’ai vécu le moderne pourrait expliquer ce qui semblerait autrement un privilège arbitraire accordé au culturel — un simple biais professionnel d’anthropologue. » .... (Arjun Appadurai)


Arjun Appadurai, "Modernity at Large: Cultural Dimensions of Globalization" (1996)

Titulaire de la chaire Goddard de médias, culture et communication à l'université de New-York et senior fellow associé de l'Institute for Public Knowledge de cette même université, Arjun Appadurai nous livre une approche du phénomène de la mondialisation et de ses conséquences sous l'angle des stratégies d'appropriation par les sociétés de notre planète Terre. On ne peut réduite le phénomène à une forme d'impérialisme, économique, culturel ou social, une telle approche n'apporte rien au débat. Par contre on peut tenter d'analyser la compréhension qui en faite; et en ce sens il semble que les individus conçoivent la mondialisation à travers cinq dimensions, - la finance, la technologie, les médias, la mobilité, les idées -, et que la façon dont ces dimensions sont en fin de compte perçues par les individus, les groupes sociaux, les nations-Etat, loin d'être homogènes, diffèrent d'une société à l'autre, - une mondialisation jouant le rôle de nouvelle "modernité" sur fond de laquelle nous, globalement, structurant nos existences ... 

 

"The Global Now 

All major social forces have precursors, precedents, analogs, and sources in the past. It is these deep and multiple genealogies (see chap. 3) that have frustrated the aspirations of modernizers in very different societies to synchronize their historical watches. This book, too, argues for a general rupture in the tenor of intersocietal relations in the past few decades. This view of change—indeed, of rupture—needs to be explicated and distinguished from some earlier theories of radical transformation. 

One of the most problematic legacies of grand Western social science (Auguste Comte, Karl Marx, Ferdinand Toennies, Max Weber, Emile Durkheim) is that it has steadily reinforced the sense of some single moment - call it the modern moment - that by its appearance creates a dramatic and unprecedented break between past and present. Reincarnated as the break between tradition and modernity and typologized as the difference between ostensibly traditional and modern societies, this view has been shown repeatedly to distort the meanings of change and the politics of pastness. Yet the world in which we now live - in which modernity is decisively at large, irregularly self-conscious, and unevenly experienced - surely does involve a general break with all sorts of pasts. What sort of break is this, if it is not the one identified by modernization theory (and criticized in chap. 7).

Implicit in this book is a theory of rupture that takes media and migra- tion as its two major, and interconnected, diacritics and explores their joint effect on the work of the imagination as a constitutive feature of modern subjectivity. The first step in this argument is that electronic media decisively change the wider field of mass media and other traditional media. This is not a monocausal fetishization of the electronic. Such media transform the field of mass mediation because they offer new resources and new disciplines for the construction of imagined selves and imagined worlds. This is a relational argument. Electronic media mark and reconstitute a much wider field, in which print mediation and other forms of oral, visual, and auditory mediation might continue to be important. Through such effects as the telescoping of news into audio-video bytes, through the tension between the public spaces of cinema and the more exclusive spaces of video watching, through the immediacy of their absorption into public discourse, and through their tendency to be associated with glamour, cosmopolitanism, and the new, electronic media (whether associated with the news, politics, family life, or spectacular entertainment) tend to interrogate, subvert, and transform other contextual literacies. In the chapters that follow, I track some ways in which electronic mediation transforms preexisting worlds of communication and conduct. "

 

Le Global Maintenant

Toutes les forces sociales majeures ont des précurseurs, des précédents, des analogies et des sources dans le passé. Ce sont ces généalogies profondes et multiples (voir chap. 3) qui ont frustré les aspirations des modernisateurs, dans des sociétés très diverses, à synchroniser leurs montres historiques. Cet ouvrage défend, lui aussi, l’idée d’une rupture générale dans la teneur des relations inter-sociétales au cours des dernières décennies. Cette conception du changement — voire de la rupture — doit être explicitée et distinguée de certaines théories antérieures de transformation radicale.

L’un des legs les plus problématiques de la grande science sociale occidentale (Auguste Comte, Karl Marx, Ferdinand Tönnies, Max Weber, Émile Durkheim) est d’avoir constamment renforcé l’idée d’un moment unique — appelons-le le moment moderne — dont l’avènement créerait une césure dramatique et sans précédent entre passé et présent. Réincarnée sous la forme de la rupture entre tradition et modernité, et typologisée comme la différence entre sociétés ostensiblement traditionnelles et modernes, cette vision s’est avérée à maintes reprises fausser la signification du changement et la politique du passé. Pourtant, le monde dans lequel nous vivons désormais — où la modernité est résolument en circulation, inégalement consciente d’elle-même et diversement vécue — implique assurément une rupture générale avec toutes sortes de passés. De quelle nature est cette rupture, si ce n’est celle identifiée par la théorie de la modernisation (et critiquée au chap. 7).

Ce livre sous-tend une théorie de la rupture qui prend les médias et les migrations comme ses deux marqueurs différentiels majeurs et interconnectés, et explore leur effet conjoint sur le travail de l’imaginaire en tant que caractéristique constitutive de la subjectivité moderne. La première étape de cet argument est que les médias électroniques modifient de façon décisive le champ plus vaste des médias de masse et des autres médias traditionnels. Il ne s’agit pas d’une fétichisation monocausale de l’électronique. Ces médias transforment le champ de la médiation de masse parce qu’ils offrent de nouvelles ressources et de nouvelles disciplines pour la construction de soi imaginés et de mondes imaginés. C’est un argument relationnel. Les médias électroniques marquent et reconfigurent un champ bien plus large, dans lequel la médiation imprimée et d’autres formes de médiation orale, visuelle et auditive peuvent continuer à jouer un rôle important. Par des effets tels que la téléscopage de l’actualité en bribes audiovisuelles, la tension entre les espaces publics du cinéma et les espaces plus exclusifs du visionnage vidéo, l’immédiateté de leur absorption dans le discours public, et leur tendance à être associés au glamour, au cosmopolitisme et à la nouveauté, les médias électroniques (qu’ils soient liés à l’actualité, à la politique, à la vie familiale ou au divertissement spectaculaire) tendent à interroger, subvertir et transformer d’autres savoirs contextuels. Dans les chapitres suivants, je retrace certaines façons dont la médiation électronique transforme les mondes préexistants de la communication et des conduites.

 

"Electronic media give a new twist to the environment within which the modern and the global often appear as flip sides of the same coin. Always carrying the sense of distance between viewer and event, these media nevertheless compel the transformation of everyday discourse. At the same time, they are resources for experiments with self-making in all sorts of societies, for all sorts of persons. They allow scripts for possible lives to be imbricated with the glamour of film stars and fantastic film plots and yet also to be tied to the plausibility of news shows, documentaries, and other black-and-white forms of telemediation and printed text. Because of the sheer multiplicity of the forms in which they appear (cinema, television, computers, and telephones) and because of the rapid way in which they move through daily life routines, electronic media provide resources for self-imagining as an everyday social project.

As with mediation, so with motion. The story of mass migrations (voluntary and forced) is hardly a new feature of human history. But when it is juxtaposed with the rapid flow of mass-mediated images, scripts, and sen- sations, we have a new order of instability in the production of modern subjectivities. As Turkish guest workers in Germany watch Turkish films in their German flats, as Koreans in Philadelphia watch the 1988 Olympics in Seoul through satellite feeds from Korea, and as Pakistani cabdrivers in Chicago listen to cassettes of sermons recorded in mosques in Pakistan or Iran, we see moving images meet eterritorialized viewers. These create diasporic public spheres, phenomena that confound theories that depend on the continued salience of the nation-state as the key arbiter of important social changes. 

Thus, to put it summarily, electronic mediation and mass migration mark the world of the present not as technically new forces but as ones that seem to impel (and sometimes compel) the work of the imagination. 

Together, they create specific irregularities because both viewers and images are in simultaneous circulation. Neither images nor viewers fit into circuits or audiences that are easily bound within local, national, or regional spaces. Of course, many viewers may not themselves migrate. And many mass-mediated events are highly local in scope, as with cable televi- sion in some parts of the United States. But few important films, news broadcasts, or television spectacles are entirely unaffected by other media events that come from further afield. And few persons in the world today do not have a friend, relative, or coworker who is not on the road to somewhere else or already coming back home, bearing stories and possibilities. In this sense, both persons and images often meet unpredictably, outside the certainties of home and the cordon sanitaire of local and national 

media effects. This mobile and unforeseeable relationship between mass- mediated events and migratory audiences defines the core of the link between globalization and the modern. In the chapters that follow, I show that the work of the imagination, viewed in this context, is neither purely emancipatory nor entirely disciplined but is a space of contestation in which individuals and groups seek to annex the global into their own practices of the modern."

 

« Les médias électroniques introduisent une nouvelle dimension à l’environnement où le moderne et le global apparaissent souvent comme les deux faces d’une même pièce. Tout en véhiculant toujours un sentiment de distance entre le spectateur et l’événement, ces médias contraignent néanmoins la transformation du discours quotidien. Parallèlement, ils constituent des ressources pour des expérimentations de fabrique de soi dans toutes sortes de sociétés et pour toutes sortes de personnes. Ils permettent à des scénarios de vies possibles de s’imbriquer avec le glamour des stars de cinéma et des intrigues filmiques fantastiques, tout en restant ancrés dans la vraisemblance des journaux télévisés, documentaires et autres formes de télé-médiation en noir et blanc ou de textes imprimés. En raison de la multiplicité même de leurs supports (cinéma, télévision, ordinateurs, téléphones) et de leur intégration rapide dans les routines du quotidien, les médias électroniques offrent des ressources pour l’auto-imagination en tant que projet social quotidien.

À l’instar de la médiation, il en va du mouvement. L’histoire des migrations de masse (volontaires ou forcées) n’est guère nouvelle dans l’histoire humaine. Mais lorsqu’elle est juxtaposée au flux rapide d’images, de scénarios et de sensations véhiculés par les médias de masse, elle engendre un nouvel ordre d’instabilité dans la production des subjectivités modernes. Quand des travailleurs immigrés turcs en Allemagne regardent des films turcs dans leurs appartements allemands, que des Coréens de Philadelphie suivent les Jeux Olympiques de 1988 à Séoul via des retransmissions satellitaires coréennes, ou que des chauffeurs de taxi pakistanais à Chicago écoutent des cassettes de sermons enregistrés dans des mosquées du Pakistan ou d’Iran, nous voyons des images mouvantes rencontrer des spectateurs déterritorialisés. Ceux-ci créent des sphères publiques diasporiques, des phénomènes qui déjouent les théories reposant sur la pérennité de l’État-nation comme arbitre central des changements sociaux majeurs.

Ainsi, pour résumer, la médiation électronique et les migrations de masse caractérisent le monde actuel non comme des forces techniquement neuves, mais comme des forces semblant impulser (et parfois contraindre) le travail de l’imagination. Ensemble, elles créent des irrégularités spécifiques car spectateurs et images circulent simultanément. Ni les images ni les spectateurs ne s’inscrivent dans des circuits ou audiences facilement circonscrits aux espaces locaux, nationaux ou régionaux. Certes, nombre de spectateurs ne migrent pas eux-mêmes. Et nombre d’événements médiatisés restent très localisés (comme la télévision par câble dans certaines régions des États-Unis). Mais peu de films importants, de journaux télévisés ou de spectacles télévisés échappent à l’influence d’autres événements médiatiques provenant d’ailleurs. Et rares sont ceux qui, aujourd’hui, n’ont pas un proche ou un collègue en voyage vers d’autres horizons ou de retour au pays, porteur d’histoires et de possibles. En ce sens, personnes et images se rencontrent souvent de manière imprévisible, au-delà des certitudes du foyer et du cordon sanitaire des effets médiatiques locaux ou nationaux. Cette relation mouvante et imprévisible entre événements médiatisés et publics migrants définit le cœur du lien entre mondialisation et modernité. Dans les chapitres suivants, je montre que le travail de l’imagination, dans ce contexte, n’est ni purement émancipateur ni entièrement discipliné, mais un espace de contestation où individus et groupes cherchent à annexer le global à leurs propres pratiques du moderne. »

(...)

 

Appadurai s'impose comme un auteur qui redonne du pouvoir aux acteurs face aux flux globaux. Le monde devient de plus en plus petit. Chaque jour, nous entendons cette idée exprimée et nous sommes témoins de sa réalité dans nos vies - à travers les gens que nous rencontrons, les produits que nous achetons, les aliments que nous mangeons et les films que nous regardons. Dans ce regard audacieux sur les effets culturels d'un monde qui rétrécit, Arjun Appadurai, éminent théoricien de la culture, place ces défis et ces plaisirs de la vie contemporaine dans une large perspective mondiale.

Proposant un nouveau cadre pour l'étude culturelle de la mondialisation, "Modernity at Large" montre comment l'imagination fonctionne comme une force sociale dans le monde d'aujourd'hui, fournissant de nouvelles ressources pour l'identité et des énergies pour créer des alternatives à l'État-nation, dont certains considèrent que l'ère touche à sa fin. 

Appadurai examine l'époque actuelle de la mondialisation, caractérisée par la double force des migrations de masse et de la médiation électronique, et propose de nouvelles façons d'envisager les modes de consommation populaires, les débats sur le multiculturalisme et la violence ethnique. Il étudie la manière dont les images - des modes de vie, de la culture populaire et de l'autoreprésentation - circulent internationalement à travers les médias et sont souvent empruntées de manière surprenante (pour leurs auteurs) et inventive.

Appadurai explore et fait exploser les frontières - entre la façon dont nous imaginons le monde et la manière dont cette imagination influence notre compréhension de nous-mêmes, entre les institutions sociales et leurs effets sur les personnes qui y participent, entre les nations et les peuples qui semblent de plus en plus homogènes et pourtant de plus en plus remplis de différences ..

 

Pour Appadurai, la mondialisation culturelle est un processus disjonctif et imaginatif : une combinaison "Disjonctif + Imaginatif" qui désagrège bien des visions simplistes ...

- Pas d'homogénéisation ("McDonaldisation") : Les disjonctions empêchent un modèle unique de s'imposer.

- Pas de fragmentation pure ("Choc des civilisations") : L'imagination crée des liens transversaux (diasporas, mouvements globaux).

- Plus pouvoir aux gens (agency) : Ils ne sont pas passifs. Ils utilisent les flux disjonctifs (images, technologies, idées qui arrivent séparément) via leur imagination pour construire leur monde (localité, identité, projet).

- Une compréhension du chaos et de la créativité du monde actuel : Le désordre apparent (flux qui se croisent sans logique unique) est le terrain où l'imagination sociale invente de nouvelles formes de vie.

Appadurai nous dit ainsi tout simplement que la mondialisation culturelle, ce n'est pas un menu unique imposé à tous, mais que c'est un gigantesque buffet désordonné (disjonctif) où chacun, grâce aux médias et aux échanges, peut imaginer et composer son propre repas (imaginatif), en mélangeant des éléments d'origines diverses, pour créer quelque chose de nouveau et de personnel ou collectif...

 

1. "Processus Disjonctif" (« disjunctive » )

Les théories classiques imaginaient souvent la mondialisation comme un rouleau compresseur homogène (ex : la "coca-colonisation" où l'économie américaine imposerait en même temps ses produits, sa culture et sa politique). NON, la mondialisation est faite de flux multiples et indépendants (ses 5 "-scapes") qui ne vont pas nécessairement dans la même direction, à la même vitesse, ni avec les mêmes effets. Ils sont déconnectés (disjoints).

Des exemples?

- Des smartphones chinois (technoscape) inondent l'Afrique, permettant l'accès à Netflix (mediascape) : mais cela ne signifie pas que les utilisateurs adoptent les valeurs démocratiques occidentales (ideoscape). Ils peuvent regarder des séries américaines tout en restant ancrés dans leurs systèmes de valeurs locaux, ou même les critiquer.

- Des capitaux saoudiens (finanscape) investissent dans un club de football anglais. Des joueurs brésiliens (ethnoscape) y jouent. Mais le stade ne devient pas pour autant un espace culturel saoudiano-brésilien. Les fans locaux conservent leurs chants et traditions, les joueurs gardent leurs pratiques religieuses ou culinaires. Les flux coexistent sans fusionner.

- Un blockbuster hollywoodien (mediascape) est vu dans le monde entier. Mais à Mumbai, il sera peut-être doublé en hindi avec des références locales ajoutées ; à Tokyo, il inspirera un manga dérivé ; en France, il sera parodié. Le même flux médiatique produit des réceptions et des réappropriations radicalement différentes.

Pour se résumer, "Disjonctif" exprime le fait que les différentes "autoroutes" de la mondialisation (argent, gens, images, tech, idées) sont indépendantes. Ce qui circule sur l'une (ex: l'argent saoudien) n'impose pas ce qui circule sur l'autre (ex: les valeurs des fans anglais). Cela crée un paysage mondial fragmenté, imprévisible et contradictoire, pas un modèle unique ...

 

Appadurai insiste particulièrement sur l’idée que les différents « scapes » (flux) qu’il identifie (ethnoscapes, technoscapes, financescapes, mediascapes, ideoscapes) peuvent évoluer de façon autonome, en se croisant sans nécessairement s'aligner ou se renforcer mutuellement. Ainsi, l'économie mondiale peut avancer dans une direction, tandis que les flux culturels ou idéologiques en suivent d’autres, générant des tensions et des contradictions permanentes.

 

2. "Processus Imaginatif" (« imaginative »):  L'imagination comme moteur (pas juste rêverie)

On pense souvent l'imagination comme un passe-temps individuel (rêvasser) ou artistique (un roman). NON, l'imagination est devenue une FORCE SOCIALE COLLECTIVE et un OUTIL pour agir dans le monde. Grâce aux mediascapes (internet, TV, films) et aux ethnoscapes (migrations, diasporas), les gens peuvent imaginer des vies, des communautés et des possibilités bien au-delà de leur village ou quartier.

Que la mondialisation soit profondément « imaginative » selon Appadurai, peut surprendre. L'imagination est devenue, nous dit-il, centrale dans la formation des identités collectives et individuelles globalisées, notamment à travers les médias et les images diffusées mondialement. Cette imagination est liée à la capacité des individus et groupes à se représenter d'autres réalités culturelles, à fantasmer sur d'autres vies, à rêver de mobilités, créant ainsi des communautés virtuelles et des nouvelles formes identitaires (diasporas globalisées, communautés numériques, etc.).

 

Ainsi, les flux médiatiques et culturels ne véhiculent pas seulement des informations, mais également des désirs, des projections et des récits qui structurent profondément les identités contemporaines.

 

Des exemples?

- Les Diasporas : Un migrant sénégalais en France regarde la TV sénégalaise en ligne (mediascape) et participe à des forums (ideoscape). Il n'est plus défini uniquement par son lieu physique. Il imagine et vit son appartenance à une communauté sénégalaise globale, qui influence ses actions (envoyer de l'argent, voter à distance, promouvoir la culture).

- Les Mouvements Sociaux : Des images de manifestations pour la démocratie (mediascape) circulent mondialement. Des jeunes en Algérie ou en Thaïlande les voient et imaginent "C'est possible ici aussi !". Cette imagination collective devient le carburant de mobilisations locales (#BlackLivesMatter est né aux USA mais a été réapproprié partout).

- Les Identités Hybrides : Une ado en Inde écoute de la K-pop (Corée), suit des influenceurs brésiliens sur TikTok, et étudie pour émigrer au Canada. Elle imagine son avenir et son identité comme un mélange global, pas seulement comme "Indienne". Elle apprend des langues, adopte des styles, projette une vie ailleurs.

- Le Nationalisme : Même les nations sont des "communautés imaginées" (B. Anderson), mais aujourd'hui, les médias globaux permettent d'imaginer la nation en temps réel et en interaction avec le monde (ex : la couverture mondiale de la Coupe du Monde de foot renforce l'imaginaire national chez les supporters).

Pour se résumer, l'imagination n'est plus un divertissement, c'est une capacité pratique collective qui permet aux gens de se projeter au-delà de leur localité immédiate (rêver d'ailleurs, d'un autre avenir), de s'identifier à des groupes dispersés (diasporas, fandoms mondiaux), de mobiliser pour des causes (mouvements transnationaux), de négocier leur place dans un monde complexe (identités hybrides).

 

Appadurai est particulièrement original en combinant ces deux notions précises (disjonction et imagination), mais d'autres chercheurs et théoriciens proches s’appuient sur des idées similaires, c'est dans l'air du temps ...

- Homi Bhabha avec la notion d’« hybridité » évoque des processus similaires, soulignant l’ambivalence et l’hétérogénéité inhérentes à la mondialisation culturelle.

- Zygmunt Bauman parle aussi de fragmentation culturelle et d'incertitude dans le cadre de sa théorie de la modernité liquide (Liquid Modernity, 2000).

- Ulf Hannerz développe aussi l’idée d’un cosmopolitisme fragmenté où la diversité des flux culturels génère des cultures partiellement connectées et discontinues.

Cependant, la spécificité d’Appadurai réside dans sa systématisation précise des flux en catégories distinctes (« scapes ») et l'importance centrale qu’il donne à l’imagination collective comme force motrice de la mondialisation culturelle.

 

"On the face of it, it seems absurd to suggest that there is anything new about the role of the imagination in the contemporary world. After all, we are now accustomed to thinking about all societies as having produced their versions of art, myth, and legend, expressions that implied the po- tential evanescence of ordinary social life. In these expressions, all societies showed that they could both transcend and reframe ordinary social life by recourse to mythologics of various kinds in which social life was imaginatively deformed. In dreams, finally, individuals even in the most simple societies have found the space to refigure their social lives, live out proscribed emotional states and sensations, and see things that have then spilled over into their sense of ordinary life. All these expressions, further, have been the basis of a complex dialogue between the imagination and ritual in many human societies, through which the force of ordinary social norms was somehow deepened, through inversion, irony, or the performa- tive intensity and the collaborative work demanded by many kinds of rit- ual. All this is the surest sort of knowledge bequeathed to us by the best of canonical anthropology over the past century. 

In suggesting that the imagination in the postelectronic world plays a newly significant role, I rest my case on three distinctions. First, the imagination has broken out of the special expressive space of art, myth, and ritual and has now become a part of the quotidian mental work of ordinary people in many societies. It has entered the logic of ordinary life from which it had largely been successfully sequestered. Of course, this has precedents in the great revolutions, cargo cults, and messianic movements of other times, in which forceful leaders implanted their visions into social life, thus creating powerful movements for social change. Now, however, it is no longer a matter of specially endowed (charismatic) individuals, injecting the imagination where it does not belong. Ordinary people have begun to deploy their imaginations in the practice of their everyday lives. This fact is exemplified in the mutual contextualizing of motion and mediation. 

 

« À première vue, il semblerait absurde de suggérer que le rôle de l’imagination dans le monde contemporain présente quoi que ce soit de nouveau. Après tout, nous sommes désormais accoutumés à considérer que toutes les sociétés ont produit leurs versions de l’art, du mythe et de la légende – des expressions impliquant l’évanescence potentielle de la vie sociale ordinaire. Par ces expressions, toutes les sociétés ont démontré leur capacité à transcender et reconfigurer le quotidien grâce à des logiques mythiques diverses, où la vie sociale était déformée par l’imaginaire. Dans les rêves, enfin, les individus des sociétés les plus simples ont trouvé l’espace pour remodeler leurs vies sociales, éprouver états émotionnels et sensations interdits, et percevoir ce qui ensuite débordait sur leur perception du quotidien. Toutes ces expressions, en outre, ont fondé un dialogue complexe entre imagination et rituel dans maintes sociétés humaines, approfondissant la force des normes sociales ordinaires par l’inversion, l’ironie, ou l’intensité performancielle et le travail collaboratif exigé par nombre de rituels. Voilà la connaissance la plus sûre que nous a léguée le meilleur de l’anthropologie canonique au cours du siècle dernier.

En suggérant que l’imagination joue un rôle nouvellement significatif dans le monde post-électronique, je fonde mon argument sur trois distinctions. Premièrement, l’imagination s’est échappée des espaces expressifs particuliers que sont l’art, le mythe et le rituel pour devenir l’affaire du travail mental quotidien des gens ordinaires dans nombre de sociétés. Elle a pénétré la logique de la vie ordinaire, d’où elle avait été largement exclue. Certes, cela trouve des précédents dans les grandes révolutions, les cultes du cargo et les mouvements messianiques d’autres époques, où des leaders charismatiques insufflaient leurs visions dans la vie sociale, créant ainsi de puissants mouvements de transformation. Mais aujourd’hui, il ne s’agit plus d’individus spécialement dotés (charismatiques) injectant l’imagination là où elle n’a pas sa place. Les gens ordinaires ont commencé à déployer leur imagination dans la pratique de leur vie quotidienne. Ce fait s’incarne dans la contextualisation mutuelle du mouvement et de la médiation. »

 

"More people than ever before seem to imagine routinely the possibility that they or their children will live and work in places other than where they were born: this is the wellspring of the increased rates of migration at every level of social, national, and global life. Others are dragged into new settings, as the refugee camps of Thailand, Ethiopia, Tamil Nadu, and Palestine remind us. 

For these people, they move and must drag their imagination for new ways of living along with them. And then there are those who move in search of work, wealth, and opportunity often because their current circumstances are intolerable. Slightly transforming and ex- 

tending Albert Hirschman’s important terms loyalty and exit, we may speak of diasporas of hope, diasporas of terror, and diasporas of despair. But in every case, these diasporas bring the force of the imagination, as both memory and desire, into the lives of many ordinary people, into mythographies different from the disciplines of myth and ritual of the classic sort. The key difference here is that these new mythographies are charters for new social projects, and not just a counterpoint to the certainties of daily life. They move the glacial force of the habitus into the quickened beat of improvisation for large groups of people. Here the images, scripts, models, and narratives that come through mass mediation (in its realistic and fictional modes) make the difference between migration today and in the past. Those who wish to move, those who have moved, those who wish to return, and those who choose to stay rarely formulate their plans outside the sphere of radio and television, cassettes and videos, newsprint and telephone. For migrants, both the politics of adaptation to new environments and the stimulus to move or return are deeply affected by a mass-mediated imaginary that frequently transcends national space. 

 

(Ce passage est particulièrement riche en concepts clés : diasporas affectives (espoir / terreur / désespoir), mythographies contemporaines, rôle des médias dans les projets migratoires)

« Plus que jamais auparavant, les gens semblent imaginer couramment la possibilité de vivre ou travailler ailleurs que leur lieu de naissance – eux-mêmes ou leurs enfants : telle est la source de l’accélération des migrations à tous les niveaux de la vie sociale, nationale et mondiale. D’autres sont arrachés à leur cadre, comme nous le rappellent les camps de réfugiés de Thaïlande, d’Éthiopie, du Tamil Nadu et de Palestine.

Pour ces personnes, le déplacement s’accompagne nécessairement d’une réinvention imaginative de l’existence. Quant à ceux qui migrent en quête de travail, de richesse ou d’opportunité – souvent poussés par des conditions intenables –, on peut, en adaptant les concepts d’Albert Hirschman (loyauté et exit), évoquer des diasporas affectives : diasporas de l’espoir, de la terreur ou du désespoir. Dans tous les cas, ces diasporas insufflent la puissance de l’imagination (mémoire et désir mêlés) dans la vie des gens ordinaires, forgeant des mythographies distinctes des disciplines mythico-rituelles classiques. La différence cruciale ? Ces nouvelles mythographies deviennent des chartes pour des projets sociaux inédits, et non plus seulement un contrepoint aux certitudes quotidiennes. Elles transforment la force glaciaire de l’habitus en pulsation accélérée de l’improvisation pour des masses humaines.

Là réside l’écart entre migrations actuelles et passées : les images, scénarios, modèles et récits véhiculés par la médiation de masse (fictionnelle ou réaliste) façonnent désormais les parcours. Qu’ils souhaitent partir, aient migré, aspirent au retour ou choisissent de rester, les individus n’élaborent guère leurs projets hors de la sphère des médias – radio-télévision, cassettes-vidéos, presse et téléphone. Pour les migrants, tant l’adaptation politique aux nouveaux environnements que les motivations du départ ou du retour sont profondément travaillées par un imaginaire médiatique qui transcende fréquemment l’espace national. »

 

"The second distinction is between imagination and fantasy. There is a large and respectable body of writing, notably by the critics of mass culture of the Frankfurt School and anticipated in the work of Max Weber, that views the modern world as growing into an iron cage and predicts that the imagination will be stunted by the forces of commoditization, in- dustrial capitalism, and the generalized regimentation and secularization of the world. The modernization theorists of the past three decades (from Weber by way of Talcott Parsons and Edward Shils to Daniel Lerner, Alex Inkeles, and many others) largely accepted the view of the modern world as a space of shrinking religiosity (and greater scientism), less play (and increasingly regimented leisure), and inhibited spontaneity at every level. 

There are many strands in this view, strands that link theorists as different as Norbert Elias and Robert Bell, but there is something fundamentally wrong with it. The error works on two levels. First, it is based on a premature requiem for the death of religion and the victory of science. There is vast evidence in new religiosities of every sort that religion is not only not dead but that it may be more consequential than ever in today's highly mobile and interconnected global politics. On another level, it is wrong to as- sume that the electronic media are the opium of the masses. This view, which is only beginning to be corrected, is based on the notion that the mechanical arts of reproduction largely reprimed ordinary people for in- dustrial work. It is far too simple. 

There is growing evidence that the consumption of the mass media throughout the world often provokes resistance, irony, selectivity, and, in general, agency. Terrorists modeling themselves on Rambo-like figures (who have themselves generated a host of non-Western counterparts); housewives reading romances and soap operas as part of their efforts to construct their own lives; Muslim family gatherings listening to speeches by Islamic leaders on cassette tapes; domestic servants in South India tak- ing packaged tours to Kashmir: these are all examples of the active way in which media are appropriated by people throughout the world. T-shirts, billboards, and graffiti as well as rap music, street dancing, and slum housing all show that the images of the media are quickly moved into local repertoires of irony, anger, humor, and resistance. 

 

(l'extrait aborde un débat théorique crucial : la critique de l'aliénation par les médias vs l'agency des consommateurs. Le ton est polémique, avec des références précises, Weber, Elias, Bell). 

« La seconde distinction oppose imagination et fantasme. Il existe un corpus considérable et respecté – notamment chez les critiques de la culture de masse de l’École de Francfort, anticipé par Max Weber – qui considère le monde moderne comme une cage de fer croissante, prédisant que l’imagination sera atrophiée par la marchandisation, le capitalisme industriel, et la mise en ordre généralisée et sécularisation du monde. Les théoriciens de la modernisation des trois dernières décennies (de Weber via Talcott Parsons et Edward Shils jusqu’à Daniel Lerner, Alex Inkeles et bien d’autres) ont largement adopté cette vision d’un monde moderne caractérisé par un recul du religieux (et un plus grand scientisme), moins de jeu (et des loisirs toujours plus réglementés), et une spontanéité inhibée à tous les niveaux.

Cette perspective, qui relie des théoriciens aussi différents que Norbert Elias et Robert Bell, comporte une erreur fondamentale à deux niveaux. Premièrement, elle repose sur un requiem prématuré pour la mort de la religion et la victoire de la science. L’essor de nouvelles religiosités démontre abondamment que la religion n’est pas seulement vivante, mais peut-être plus déterminante que jamais dans la politique globale hypermobile et interconnectée. À un autre niveau, il est erroné de postuler que les médias électroniques sont l’opium du peuple. Cette vision – à peine en cours de révision – repose sur l’idée que les arts mécaniques de reproduction ont surtout reconditionné les masses pour le travail industriel. C’est bien trop simpliste.

Des preuves croissantes attestent que la consommation des médias de masse à travers le monde suscite souvent résistance, ironie, sélectivité et plus généralement un pouvoir d’agir. Des terroristes s’inspirant de figures Rambo (elles-mêmes génératrices de déclinaisons non-occidentales) ; des femmes au foyer lisant des romans ou suivant des feuilletons pour construire leur existence ; des réunions familiales musulmanes écoutant des cassettes de discours de leaders islamiques ; des domestiques du Sud de l’Inde partant en voyages organisés au Cachemire : autant d’exemples d’une appropriation active des médias par les populations. T-shirts, panneaux publicitaires, graffitis, mais aussi rap, danses de rue et bidonvilles témoignent que les images médiatiques sont rapidement intégrées à des répertoires locaux d’ironie, de colère, d’humour et de résistance. »

(...)

 

En résumé, l'essentiel qui rend sans doute "Modernity at Large" fondamental ...

- Il fournit un cadre théorique novateur (les "-scapes") pour penser la complexité, la disjonction et la multidirectionnalité des flux globaux.

- Il élève l'imagination au rang de force sociale centrale dans la mondialisation contemporaine.

- Il démontre l'importance cruciale de la dimension culturelle dans un processus souvent analysé sous un angle uniquement économique.

- Il redonne du pouvoir aux acteurs (individus, communautés) en montrant leur capacité à négocier, adapter et réinventer les flux globaux.

- Il conceptualise des dynamiques clés comme la déterritorialisation et la production de localité, devenues indispensables pour analyser les identités, les migrations, les médias et les cultures dans un monde interconnecté.

Appadurai offre ainsi une vision plus nuancée, dynamique et moins pessimiste que les théories de l'homogénéisation ou de l'impérialisme culturel, tout en reconnaissant les déséquilibres de pouvoir persistants.  

 

" ... The world we live in today is characterized by a new role for the imagination in social life. To grasp this new role, we need to bring together [...] the French idea of the imaginary (imaginaire) as a constructed landscape of collective aspirations, which is no more and no less real than the collective representations of Emile Durkheim, now mediated through the complex prism of modern media."

La métaphore du "prisme complexe" (complex prism) constitue une critique subtile mais fondamentale des thèses de Marshall McLuhan ...

McLuhan (Understanding Media, 1964) envisageait les médias comme des extensions unidirectionnelles des sens ("the medium is the message"), avec des effets homogènes et prévisibles (ex : le "village global"). Appadurai s'oppose à cette vision : son "prisme" implique une réfraction multidirectionnelle, où les effets médiatiques sont diffractés par les contextes culturels locaux.

La notion de "prisme complexe" souligne la médiation culturelle (les imaginaires collectifs filtrent les messages); la réappropriation active (les audiences ne sont pas passives) et la production décentralisée (les paysages imaginaires ne viennent plus d'un centre unique) : à l'opposé de la "galaxie Gutenberg" de McLuhan, centrée sur l'impact unificateur de l'imprimé.:

En ancrant sa réflexion dans les "représentations collectives" de Durkheim (fait social sui generis), Appadurai réhabilite le rôle des structures symboliques préexistantes. La dimension collective et construite de l'imaginaire qui est ici retenue est une réfutation de l'idée mcluhanienne d'un impact médiatique "pur", indépendant des cadres sociaux.

 

Le modèle des "-scapes" (Paysages) est au cœur de son ouvrage, un Concept Clé qui permet à Appadurai de proposer cinq dimensions fluides et non-isomorphes à travers lesquelles la mondialisation culturelle opère :

- ethnoscapes (flux de personnes), 

- technoscapes (flux de technologies), 

- finanscapes (flux de capitaux), 

- mediascapes (flux d'images et d'informations via les médias),

- et ideoscapes (flux d'idéologies, valeurs politiques).

Ce modèle se pose en rupture radicale avec les visions simplistes (centre/périphérie, impérialisme culturel unidirectionnel). Il montre que ces flux sont disjonctifs : ils se croisent, interagissent, mais ne se déterminent pas mécaniquement les uns les autres (ex: des capitaux peuvent circuler sans les idéologies associées, des médias peuvent diffuser des images détachées de leur contexte d'origine). La mondialisation devient un processus complexe, chaotique et multidirectionnel...

 

Production of Locality - Contre l'idée d'une homogénéisation culturelle totale ("macdonaldisation"), Appadurai souligne que la mondialisation génère aussi de nouvelles formes de localité. Les communautés doivent activement produire et maintenir leur sentiment de lieu et d'appartenance face aux flux globaux. L'auteur met en lumière les tensions et négociations constantes entre le global et le local, et montre que le "local" n'est ni stable ni naturel, mais constamment recréé en réponse aux forces globales.

 

La Déterritorialisation comme Phénomène Central - Les flux globaux (de personnes, d'images, d'idées) arrachent la culture à son ancrage territorial spécifique. Les significations, les pratiques, les identités circulent et se recomposent dans de nouveaux contextes, indépendamment de leur lieu d'origine. Ce qui a pour conséquences de transformer profondément les notions d'identité nationale, de communauté et d'appartenance. Les diasporas deviennent des acteurs clés, créant des "sphères publiques" transnationales. La culture devient moins liée au sol et plus aux réseaux et aux flux ...


"Condition de l'homme global" (Arjun Appadurai , Essais Payot, 2013)

En France, Appadurai est lu via le prisme de la mondialisation culturelle, plutôt que celui de la théorie des médias : on en oublie la thèse centrale d'Appadurai selon laquelle les imaginaires sociaux produits par les diasporas et les médias recomposent la modernité. Il n'entend pas parler "d'homme" mais de subjectivités en réseaux : ce n’est pas un livre sur "l’homme", écrira Appadurai, mais sur comment les humains inventent leur futur dans un monde débordant les frontières. Et son humour corrosif ne transparaît pas dans une traduction par ailleurs sans faille. 

Les 5 piliers théoriques sont donc au coeur de l'ouvrage, 

- les -scapes (ou paysages, pour décrypter les migrations africaines en France, l'influence des séries Netflix sur les imaginaires, les GAFAM comme acteurs géoculturels), 

- l'imaginaire comme force sociale (les médias ne divertissent pas mais fabriquent des "scripts de vies possibles", éclairant ainsi les révoltes des banlieues (influence des cultures hip-hop globalisées) et le rôle des réseaux sociaux dans les mouvements sociaux), 

- la déterritorialisation : les cultures se découpent des territoires nationaux (ainsi un Algérien à Marseille vit entre chaînes satellitaires arabes et école républicaine). Une clef pour tenter de comprendre les identités diasporiques (Maghrébins, Antillais), les tensions entre universalisme français et particularismes.

- La production locale du global : de la "Glocalisation" avant l'heure, on s'approprie Disneyland Paris ou le rap US via des filtres culturels locaux. Le "francrap" (NTM, IAM)

ou l'islam de France (une réinterprétation des normes).

- La Critique de l'État-nation : les nations sont des "communautés imaginées" en crise face aux flux transnationaux, un thème en résonance avec les débats sur la souveraineté et l'opposition europhobie - europhilie.

Autant de thèses qui ont influencé certains auteurs français ...

- "Les migrants sont les avant-gardes de la modernité" : leur double appartenance bouscule les cadres nationaux (influence visible chez des sociologues comme Alain Tarrius, avec La Mondialisation par le bas).

- "Les médias sont des laboratoires d'identité" : non pas l'"opium du peuple", mais des outils d'émancipation ou de résistance (on rejoint les travaux de Éric Maigret sur les Cultural Studies).

- "La globalisation produit de la différence, pas de l'uniformité" : contre la "macdonaldisation" du monde, un dialogue avec Jean-Loup Amselle (L'Occident décroché).

... et permet peut-être de comprendre,

- comment certains utilisent les ideoscapes (peur de l'islam) et les Gilets jaunes les mediascapes (Facebook live).

- comment se pense l'identité française hors du cadre national et des poncifs gouvernementaux aujourd'hui illisibles (laïcité, république), Mbappé, icône globale produite par le football-monde ...

- et saisir pourquoi un attentat à Paris devient un récit global (et comment Daech instrumentalise cet imaginaire) ...

 

"Condition de l’homme global" est traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Bouillot, et la présentation des Éditions Payot est la suivante : "Culture, violence, finance, pauvreté et place de l’espoir dans une société du risque, tels sont les principaux thèmes de ce nouveau livre du grand anthropologue indien. L’omniprésence des statistiques qui manipulent le risque nous permet-elle de mieux résister aux incertitudes de la vie, voire de les maîtriser ? Comment certains parmi les plus démunis des vastes mégapoles d’aujourd’hui peuvent-ils, malgré l’extrême inégalité qui caractérise leur environnement, obtenir équité, reconnaissance et autonomie ? Et quel sens la violence prend-elle dans un monde global hyperconnecté, où chacun est toujours plus étroitement relié aux autres ?

Arjun Appadurai, anthropologue, spécialiste du monde globalisé d’aujourd’hui, est professeur à New York University. Il est l’auteur, aux Éditions Payot, de "Après le colonialisme : les conséquences culturelles de la globalisation" et de "Géographie de la colère : la violence à l’âge de la globalisation"....

 

"En 1996, j’ai publié "Modernity at Large" (traduit quelques années plus tard en français sous le titre "Après le colonialisme : les conséquences culturelles de la globalisation"). Le présent ouvrage est la suite de cette première tentative pour penser sur un mode anthropologique le monde qui s’est ouvert après la chute du Mur de Berlin en 1989. Depuis, j’ai eu l’occasion de tirer la leçon des critiques de Après le colonialisme, jugé trop enthousiaste à l’égard de ce nouveau monde de frontières ouvertes, de libres marchés et de jeunes démocraties qui semblait avoir fait son entrée dans l’histoire. À titre de réparation, j’ai écrit un petit livre intitulé "Géographie de la colère", qui se demandait pourquoi la globalisation triomphante de la fin des années 1980 avait suscité des mouvements ethnocidaires majeurs dans les années 1990 et des guerres de civilisation – dont la guerre contre l’Islam – au début du XXIe siècle. Je cherche dans ce livre-ci à aborder les flux globaux en m’intéressant surtout aux bosses, aux frontières, aux trous noirs et aux quarks, ainsi qu’à la diacritique du nouvel ordre mondial..." (Introduction)


"The Consequences of Modernity" (1990, Anthony Giddens)

Sociologue britannique, né en 1938, Anthony Giddens est incontournable parce qu'il analyse la mondialisation non seulement comme une diffusion de biens et symboles culturels, mais aussi comme une transformation profonde de la conscience et des pratiques humaines.

Il complète ainsi les théories plus spécifiques d’Appadurai ou Robertson en proposant une réflexion sociologique globale sur les conséquences psychologiques, sociales et existentielles de la mondialisation.

 Ses apports majeurs :

- Une Définition de la mondialisation comme "Intensification des relations sociales mondiales liant des lieux distants".

- La Déterritorialisation : Les interactions sociales se libèrent des contraintes géographiques (ex : marchés financiers, réseaux sociaux). Giddens analyse la mondialisation culturelle en termes de « distanciation espace-temps », concept qui désigne la séparation progressive entre le lieu géographique concret (localité) et les processus culturels ou sociaux. À mesure que la communication instantanée et les médias mondialisés progressent, les liens traditionnels entre culture et territoire s'affaiblissent, ce qui permet aux influences culturelles d’être diffusées largement et rapidement.

- La Modernité réflexive (Reflexive Modernity) : Pour Giddens, la mondialisation est étroitement liée au concept de « modernité réflexive ». Il considère que la modernité contemporaine est marquée par une capacité accrue à réfléchir sur soi-même, sur ses pratiques culturelles, sociales et économiques. Les individus, face aux flux mondiaux, sont constamment poussés à réévaluer leurs traditions culturelles et leurs identités personnelles et collectives. La mondialisation culturelle accélère donc cette réflexivité, générant un processus permanent de questionnement et de redéfinition des cultures locales.

- La Critique de l'uniformisation : Insiste sur les tensions entre globalisation et traditions (ex : fondamentalismes religieux comme réaction).

- Le Désencastrement des pratiques sociales (Disembedding mechanisms) :

Giddens introduit aussi le concept de « désencastrement » : les interactions sociales, auparavant ancrées dans des contextes locaux spécifiques, se détachent progressivement de leurs cadres traditionnels. Cela permet à des normes culturelles globales (valeurs démocratiques, normes environnementales, consommation de masse) d’être adoptées indépendamment des contextes locaux.

Giddens souligne également comment la mondialisation introduit une complexité accrue dans la gestion culturelle du risque et de la confiance : la multiplication des choix culturels et identitaires crée à la fois des opportunités et des incertitudes nouvelles, poussant les individus à constamment repenser leur rapport au monde et aux cultures mondialisées.

 

"... The Reflexivity of Modernity 

Inherent in the idea of modernity is a contrast with tradition. As noted previously, many combinations of the modern and the traditional are to be found in concrete social settings. Indeed, some authors have argued that these are so tightly interlaced as to make any generalised comparison valueless. But such is surely not the case, as we can see by pursuing an enquiry into the relation between modernity and reflexivity. 

There is a fundamental sense in which reflexivity is a defining characteristic of all human action. All human beings routinely "keep in touch" with the grounds of what they do as an integral element of doing it. I have called this elsewhere the "reflexive monitoring of action," using the phrase to draw attention to the chronic character of the processes involved.

Human action does not incorporate chains of aggregate interactions and reasons, but a consistent - and, as Erving Goffman above all has shown us, never-to-be-relaxed-monitoring of behaviour and its contexts. This is not the sense of reflexivity which is specifically connected with modernity, although it is the necessary basis of it. 

In traditional cultures, the past is honoured and symbols are valued because they contain and perpetuate the experience of generations. Tradition is a mode of integrating the reflexive monitoring of action with the time-space organisation of the community. It is a means of handling time and space, which inserts any particular activity or experience within the continuity of past, present, and future, these in turn being structured by recurrent social practices. Tradition is not wholly static, because it has to be reinvented by each new generation as it takes over its cultural inheritance from those preceding it. Tradition does not so much resist change as pertain to a context in which there are few separated temporal and spatial markers in terms of which change can have any meaningful form. 

In oral cultures, tradition is not known as such, even though these cultures are the most traditional of all. To understand tradition, as distinct from other modes of organising action and experience, demands cutting into time-space in ways which are only possible with the invention of writing. Writing expands the level of time-space distanciation and creates a perspective of past, present, and future in which the reflexive appropriation of knowledge can be set off from designated tradition. 

However, in pre-modern civilisations reflexivity is still largely limited to the reinterpretation and clarification of tradition, such that in the scales of time the side of the "past" is much more heavily weighed down than that of the "future." Moreover, since literacy is the monopoly of the few, the routinisation of daily life remains bound up with tradition in the old sense. 

With the advent of modernity, reflexivity takes on a different character. It is introduced into the very basis of system reproduction, such that thought and action are constantly refracted back upon one another. The routinisation of daily life has no intrinsic connections with the past at all, save in so far as what "was done before" happens to coincide with what can be defended in a principled way in the light of incoming knowledge. To sanction a practice because it is traditional will not do; tradition can be justified, but only in the light of knowledge which is not itself authenticated by tradition. Combined with the inertia of habit, this means that, even in the most modernised of modern societies, tradition continues to play a role. But this role is generally much less significant than is supposed by authors who focus attention upon the integration of tradition and modernity in the contemporary world. For justified tradition is tradition in sham clothing and receives its identity only from the reflexivity of the modern."

 

La Réflexivité de la Modernité

L’idée de modernité implique intrinsèquement un contraste avec la tradition. Comme noté précédemment, de nombreuses combinaisons du moderne et du traditionnel coexistent dans des contextes sociaux concrets. Certains auteurs soutiennent même qu’elles sont si étroitement imbriquées que toute comparaison généralisée en devient vaine. Mais ce n’est assurément pas le cas, comme le révèle une enquête sur le lien entre modernité et réflexivité.

La réflexivité est, fondamentalement, une caractéristique déterminante de toute action humaine. Les êtres humains « restent routinièrement en contact » avec les fondements de leurs actes, ce qui en constitue un élément intégral. J’ai nommé ailleurs ce phénomène le « monitorage réflexif de l’action », une expression soulignant le caractère chronique des processus impliqués.

L’action humaine n’intègre pas des chaînes d’interactions et de raisons agrégées, mais un monitorage constant – et, comme Erving Goffman nous l’a démontré, jamais relâché – du comportement et de ses contextes. Ce n’est toutefois pas ce sens de la réflexivité qui est spécifiquement lié à la modernité, bien qu’il en soit le fondement nécessaire.

Dans les cultures traditionnelles, le passé est honoré et les symboles sont valorisés car ils incarnent et perpétuent l’expérience des générations. La tradition est un mode d’intégration du monitorage réflexif de l’action à l’organisation spatio-temporelle de la communauté. C’est un moyen d’appréhender le temps et l’espace, inscrivant toute activité ou expérience dans la continuité passé-présent-futur – elle-même structurée par des pratiques sociales récurrentes. La tradition n’est pas entièrement statique, car chaque nouvelle génération la réinvente en héritant du patrimoine culturel de ses prédécesseurs. Elle ne résiste pas tant au changement qu’elle n’évolue dans un contexte dépourvu de repères spatio-temporels distincts permettant au changement de revêtir une forme significative.

Dans les cultures orales, la tradition n’est pas connue en tant que telle, bien que ces sociétés soient les plus traditionnelles. Comprendre la tradition – distinctement d’autres modes d’organisation de l’action et de l’expérience – exige de découper l’espace-temps selon des modalités rendues possibles par l’invention de l’écriture. L’écriture accroît le niveau de distanciation spatio-temporelle et crée une perspective passé-présent-futur où l’appropriation réflexive du savoir peut se détacher de la tradition désignée.

Pourtant, dans les civilisations prémodernes, la réflexivité reste largement cantonnée à la réinterprétation et à la clarification de la tradition, de sorte que, dans la balance temporelle, le « passé » pèse bien plus lourd que le « futur ». De plus, l’alphabétisation étant l’apanage de quelques-uns, la routinisation de la vie quotidienne demeure liée à la tradition au sens ancien.

Avec l’avènement de la modernité, la réflexivité prend un caractère différent. Elle s’introduit au cœur même de la reproduction du système, où pensée et action se réfractent constamment l’une sur l’autre. La routinisation du quotidien n’a aucun lien intrinsèque avec le passé – sauf si ce qui « se faisait avant » coïncide avec ce qui peut être défendu de manière principielle à la lumière des connaissances nouvelles. Justifier une pratique parce qu’elle est traditionnelle ne suffit plus : la tradition peut être légitimée, mais uniquement par un savoir qui n’est pas lui-même authentifié par elle. Combinée à l’inertie de l’habitude, cela implique que la tradition perdure, même dans les sociétés modernes les plus avancées. Mais son rôle y est généralement bien moins significatif que ne le supposent les auteurs qui s’attachent à l’intégration tradition-modernité dans le monde contemporain. Car une tradition justifiée n’est qu’une tradition en apparence trompeuse, ne tirant son identité que de la réflexivité moderne.

 

"The reflexivity of modern social life consists in the fact that social practices are constantly examined and reformed in the light of incoming information about those very practices, thus constitutively altering their character. We should be clear about the nature of this phenomenon. 

All forms of social life are partly constituted by actors' knowledge of them. Knowing "how to go on" in Wittgenstein's sense is intrinsic to the conventions which are drawn upon and reproduced by human activity. In all cultures, social practices are routinely altered in the light of ongoing discoveries which feed into them. But only in the era of modernity is the revision of convention radicalised to apply (in principle) to all aspects of human life, including technological intervention into the material world. It is often said that modernity is marked by an appetite for the new, but this is not perhaps completely accurate. 

What is characteristic of modernity is not an embracing of the new for its own sake, but the presumption of wholesale reflexivity -which of course includes reflection upon the nature of reflection itself. 

Probably we are only now, in the late twentieth century, beginning to realise in a full sense how deeply unsettling this outlook is. For when the claims of reason replaced those of tradition, they appeared to offer a sense of certitude greater than that provided by preexisting dogma. But this idea only appears persuasive so long as we do not see that the reflexivity of modernity actually subverts reason, at any rate where reason is understood as the gaining of certain knowledge. Modernity is constituted in and through reflexively applied knowledge, but the equation of knowledge with certitude has turned out to be misconceived. We are abroad in a world which is thoroughly constituted through reflexively applied knowledge, but where at the same time we can never be sure that any given element of that knowledge will not be revised. 

Even philosophers who most staunchly defend the claims of science to certitude, such as Karl Popper, acknowledge that, as he expresses it, "all science rests upon shifting sand."

In science, nothing is certain, and nothing can be proved, even if scientific endeavour provides us with the most dependable information about the world to which we can aspire. In the heart of the world of hard science, modernity floats free."

 

La réflexivité de la vie sociale moderne consiste en ce que les pratiques sociales sont constamment examinées et réformées à la lumière d’informations nouvelles sur ces pratiques elles-mêmes, modifiant ainsi leur nature de manière constitutive. Il nous faut clarifier la nature de ce phénomène.

Toutes les formes de vie sociale sont partiellement constituées par la connaissance qu’en ont les acteurs. Savoir « comment poursuivre » au sens de Wittgenstein est intrinsèque aux conventions mobilisées et reproduites par l’activité humaine. Dans toutes les cultures, les pratiques sociales sont routinièrement ajustées grâce aux découvertes qui les nourrissent. Mais c’est seulement à l’ère de la modernité que la révision des conventions se radicalise pour s’appliquer (en principe) à tous les aspects de la vie humaine, y compris l’intervention technologique dans le monde matériel.

On dit souvent que la modernité se caractérise par un appétit pour la nouveauté, mais cela n’est peut-être pas tout à fait exact.

Ce qui distingue la modernité, ce n’est pas l’adhésion au nouveau pour lui-même, mais la présomption d’une réflexivité intégrale – qui inclut bien sûr la réflexion sur la nature même de la réflexion.

Nous ne commençons probablement que maintenant, à la fin du XXᵉ siècle, à réaliser pleinement à quel point cette perspective est profondément déstabilisante. Car lorsque les impératifs de la raison ont remplacé ceux de la tradition, ils semblaient offrir une certitude supérieure aux dogmes préexistants. Mais cette idée n’est convaincante que tant qu’on ignore que la réflexivité moderne sape en réalité la raison – du moins lorsque la raison est entendue comme quête de savoir certain.

La modernité se constitue dans et par un savoir appliqué réflexivement, mais l’équivalence entre savoir et certitude s’est révélée erronée. Nous évoluons dans un monde intégralement structuré par un savoir appliqué réflexivement, mais où nous ne pouvons jamais être sûrs qu’un élément donné de ce savoir ne sera pas révisé.

Même les philosophes défendant avec le plus de fermeté les prétentions de la science à la certitude, comme Karl Popper, reconnaissent que, pour reprendre ses termes, « toute la science repose sur des sables mouvants ».

En science, rien n’est certain et rien ne peut être prouvé, même si l’entreprise scientifique nous fournit les informations les plus fiables auxquelles nous puissions aspirer. Au cœur même du monde de la science exacte, la modernité flotte librement.

 

"No knowledge under conditions of modernity is knowledge in the "old" sense, where "to know" is to be certain. This applies equally to the natural and the social sciences. In the case of social science, however, there are further considerations involved. We should recall at this point the observations made earlier about the reflexive components of sociology. 

In the social sciences, to the unsettled character of all empirically based knowledge we have to add the "subversion" which comes from the reentry of social scientific discourse into the contexts it analyses. The reflection of which the social sciences are the formalised version (a specific genre of expert knowledge) is quite fundamental to the reflexivity of modernity as a whole. 

Because of the close relation between the Enlightenment and advocacy of the claims of reason, natural science has usually been taken as the preeminent endeavour distinguishing the modern outlook from what went before. Even those who favour interpretative rather than naturalistic sociology have normally seen social science as the poor relation of the natural sciences, particularly given the scale of technological development consequent upon scientific discoveries. But the social sciences are actually more deeply implicated in modernity than is natural science, since the chronic revision of social practices in the light of knowledge about those practices is part of the very tissue of modern institutions?~ 

All the social sciences participate in this reflexive relation, although sociology has an especially central place. 

Take as an example the discourse of economics. Concepts like "capital," "investment," "markets," "industry," and many others, in their modern senses, were elaborated as part of the early development of economics as a distinct discipline in the eighteenth and early nineteenth centuries. These concepts, and empirical conclusions linked to them, were formulated in order to analyse changes involved in the emergence of modern institutions. But they could not, and did not, remain separated from the activities and events to which they related. They have become integral to what "modern economic life" actually is and inseparable from it. Modern economic activity would not be as it is were it not for the fact that all members of the population have mastered these concepts and an indefinite variety of others. 

The lay individual cannot necessarily provide formal definitions of terms like "capital" or "investment," but everyone who, say, uses a savings account in a bank demonstrates an implicit and practical mastery of those notions. Concepts such as these, and the theories and empirical information linked to them, are not merely handy devices whereby agents are somehow more clearly able to understand their behaviour than they could do otherwise. 

They actively constitute what that behaviour is and inform the reasons for which it is undertaken. There cannot be a clear insulation between literature available to economists and that which is either read or filters through in other ways to interested parties in the population: business leaders, government officials, and members of the public. The economic environment is constantly being altered in the light of these inputs, thus creating a situation of continual mutual involvement between economic discourse and the activities to which it refers. 

The pivotal position of sociology in the reflexivity of modernity comes from its role as the most generalised type of reflection upon modern social life ..."

 

Aucun savoir dans les conditions de la modernité n’est un savoir au sens "ancien", où "savoir" signifiait être certain. Cela s’applique aussi bien aux sciences naturelles qu’aux sciences sociales. Dans le cas des sciences sociales, cependant, des considérations supplémentaires entrent en jeu. Nous devons ici rappeler les observations faites précédemment sur les composantes réflexives de la sociologie.

Dans les sciences sociales, au caractère instable de toute connaissance empirique s’ajoute la "subversion" provenant de la réintégration du discours des sciences sociales dans les contextes qu’il analyse. La réflexion, dont les sciences sociales sont la version formalisée (un genre spécifique de savoir expert), est tout à fait fondamentale pour la réflexivité de la modernité dans son ensemble.

En raison du lien étroit entre les Lumières et la défense des prétentions de la raison, les sciences naturelles ont généralement été considérées comme l’entreprise éminente distinguant la perspective moderne de ce qui l’a précédée. Même ceux qui privilégient une sociologie interprétative plutôt que naturaliste ont généralement vu les sciences sociales comme le parent pauvre des sciences naturelles, particulièrement au vu de l’ampleur du développement technologique découlant des découvertes scientifiques. Mais les sciences sociales sont en réalité plus profondément impliquées dans la modernité que les sciences naturelles, puisque la révision chronique des pratiques sociales à la lumière des connaissances sur ces pratiques fait partie intégrante de la trame même des institutions modernes.

Toutes les sciences sociales participent à cette relation réflexive, bien que la sociologie y occupe une place particulièrement centrale.

Prenons comme exemple le discours économique. Des concepts comme "capital", "investissement", "marchés", "industrie" et bien d’autres, dans leurs sens modernes, ont été élaborés lors du développement précoce de l’économie en tant que discipline distincte aux XVIIIe et XIXe siècles. Ces concepts, et les conclusions empiriques qui y sont liées, ont été formulés pour analyser les changements impliqués par l’émergence des institutions modernes. Mais ils ne pouvaient pas, et n’ont pas pu, rester séparés des activités et événements auxquels ils se référaient. Ils sont devenus constitutifs de ce qu’est réellement la "vie économique moderne" et en sont indissociables. L’activité économique moderne ne serait pas ce qu’elle est sans que tous les membres de la population aient maîtrisé ces concepts et une multitude indéfinie d’autres.

L’individu profane n’est pas nécessairement capable de fournir des définitions formelles de termes comme "capital" ou "investissement", mais toute personne utilisant, par exemple, un compte d’épargne bancaire démontre une maîtrise implicite et pratique de ces notions. De tels concepts, ainsi que les théories et informations empiriques qui leur sont associées, ne sont pas de simples outils pratiques permettant aux agents de mieux comprendre leur comportement. Ils constituent activement ce qu’est ce comportement et informent les raisons pour lesquelles il est entrepris.

Il ne peut y avoir de cloisonnement net entre la littérature disponible pour les économistes et celle qui est soit lue, soit filtrée par d’autres moyens vers les parties prenantes de la population : chefs d’entreprise, fonctionnaires gouvernementaux et membres du public. L’environnement économique est constamment modifié à la lumière de ces apports, créant ainsi une situation d’implication mutuelle continue entre le discours économique et les activités auxquelles il se réfère.

La position centrale de la sociologie dans la réflexivité de la modernité découle de son rôle comme forme de réflexion la plus généralisée sur la vie sociale moderne... »

(...)


Mike Featherstone (éd.) : "Global Culture: Nationalism, Globalization and Modernity" (1990)

Un ouvrage fondateur et incontournable pour comprendre les débats théoriques des années 1990 sur l’impact de la mondialisation sur la culture.

Publié deux ans avant l’ouvrage de Robertson, ce livre est l'une des premières collections majeures à explorer systématiquement la dimension culturelle de la mondialisation. Il précède et pose les fondements de nombreux débats ultérieurs.

Featherstone réunit des contributions de spécialistes reconnus, tels Roland Robertson, Immanuel Wallerstein, Ulf Hannerz, et Jonathan Friedman, issus de disciplines telles que la sociologie, l’anthropologie, l’histoire et la théorie culturelle.  

L’ouvrage propose une analyse fine de la coexistence paradoxale entre l’intensification de la mondialisation et la persistance, voire le renforcement, des nationalismes locaux. Il met en lumière comment la mondialisation n’efface pas les particularismes nationaux mais les reconfigure et les complexifie.

 

Ce livre est parmi les premiers à affirmer fortement que la mondialisation est un phénomène culturel autant qu’économique. Il examine comment les cultures locales sont remodelées par la modernité globale, allant à l'encontre d'une homogénéisation simpliste.

Le rôle persistant des États-nations et des nationalismes est rappelé par Anthony D. Smith :

à l'encontre de l’idée d’une "culture mondiale", les identités nationales restent ancrées dans des mythes, mémoires et symboles historiques (la globalisation peut même renforcer les nationalismes, le fameux repli identitaire). Ulf Hannerz décrit l’émergence d’une "classe cosmopolite" (élites mobiles, intellectuels, artistes) maîtrisant plusieurs codes culturels. Mais ce cosmopolitisme est souvent élitiste et exclut les populations sédentaires, favorisant un "tribalisme" défensif (religions fondamentalistes, nationalismes ethniques). Mike Featherstone analyse la culture comme marchandise globale (art, médias, tourisme) liée au capitalisme tardif. La "culture mondiale" est-elle un produit du marché ou un espace de résistance ?

 

Quatre idées FORTES à retenir ...

1. "La globalisation ne signifie pas l’uniformisation" 

Les cultures locales adaptent, détournent et réinventent les influences globales (hybridité).

2. "Les nations résistent, se transforment ou explosent" 

La mondialisation fragilise les États-nations traditionnels mais réactive aussi les nationalismes (dialectique du global/national).

3. "Inégalités culturelles" :

L’accès à la "culture globale" est stratifié, cosmopolites (nomades, connectés) vs. locaux (enclavés, réactifs). Clivage entre "ceux qui bougent" et "ceux qui restent".

4 "La culture est un champ de bataille" et la globalisation amplifie les conflits de représentation.

Enfin, la "Modernité multiple" de Shmuel Eisenstadt montre qu'il n’existe pas un seul modèle de modernité (occidental), mais des modernités alternatives (islamique, asiatique, etc.) ...


John Tomlinson, "Globalization and Culture" (1999)

Un pilier des études culturelles globales pour son approche phénoménologique et sa critique de l'impérialisme culturel. Tomlinson reste essentiel pour saisir la dimension existentielle de la globalisation. 

Tomlinson avance l'idée centrale que la mondialisation se traduit avant tout par une augmentation sans précédent de la connectivité globale. Il considère la mondialisation comme un ensemble complexe d’interconnexions culturelles, plutôt que simplement comme une uniformisation culturelle.

Il remet radicalement en cause la thèse populaire d'une « occidentalisation » ou d’une « américanisation » simpliste. Pour lui, la mondialisation culturelle produit plutôt une complexification culturelle et identitaire, à travers la diffusion, l’hybridation et la négociation des différences culturelles.

Tomlinson insiste sur l’idée que la mondialisation transforme profondément la manière dont les individus et les groupes vivent leur identité culturelle locale. Il développe l'idée d’une redéfinition des appartenances et des identités à travers la globalisation.

La clarté analytique et didactique du texte a fait de ce livre un choix privilégié dans l’enseignement universitaire pour introduire les étudiants aux enjeux culturels de la mondialisation.

 

 Résumons les 3 piliers théoriques évoqués par Tomlinson ...

 

1. La "Déterritorialisation" (deterritorialization) ou l’effritement du lien culturel-territoire. 

La globalisation dissocie la culture de son ancrage géographique (ex. : regarder la guerre en direct à l’autre bout du monde, travailler pour une entreprise virtuelle).Ce qui a pour conséquences, notamment, 

- un affaiblissement des cultures locales ("délocalisation de l’expérience"),

- l'émergence d’une "culture médiatique globale" (CNN, Netflix) qui recompose les imaginaires.

Tomlinson insiste sur le côté dialectique de ce processus : ce n'est pas juste une imposition culturelle, mais une interaction complexe. La déterritorialisation ne supprime pas le local, elle le transforme, et si cela peut générer des inquiétudes sur un éventuel impérialisme culturel, Tomlinson a une vision plus nuancée...

 

Dans "Deterritorialization: The Cultural Condition of Globalization", où Tomlinson développe ces mécanismes à travers des exemples concrets comme MTV ou Coca-Cola. La déterritorialisation via les médias globaux ne détruit pas la culture locale, mais la transforme en profondeur. Elle recompose les imaginaires en créant un paysage culturel hybride et dynamique, où les identités se négocient constamment entre le global (médias) et le local (territoire). Concrètement, cela génère à la fois une porosité culturelle inédite (cultures plus interconnectées) et des conflits de valeurs (défense des singularités vs. désir d'universalisme).

 

Comment les médias globaux (CNN, Netflix, etc.) en sont-ils des acteurs clés, via ...?

- la diffusion transnationale : Production et circulation de contenus culturels standardisés, accessibles partout.

- la virtualisation des expériences : Les médias créent un "espace médiatique global" où les références culturelles transcendent la géographie (ex. : suivre l'actualité mondiale en temps réel via CNN, regarder des séries Netflix produites aux États-Unis mais consommées en Inde ou en France).

- la recomposition symbolique : Ces flux culturels globaux deviennent des ressources pour reconstruire les imaginaires individuels et collectifs, indépendamment du lieu physique.

Ce qui génère très concrètement ...

- une Hybridation culturelle : les imaginaires se recomposent par mélange entre cultures locales et symboles globaux (ex. : un adolescent indien s'identifiant à des personnages de Stranger Things tout en conservant des traditions familiales).

- contribue à la création de "cultures glocales" ...

Des pratiques locales intègrent des éléments médiatiques globaux (ex. : des fêtes traditionnelles adaptant des esthétiques vues sur Netflix).

 ... et à l'affaiblissement des cadres culturels traditionnels, 

Les récits médiatiques globaux vont concurrencer les institutions locales (école, famille, religion) dans la construction des identités. Ainsi Netflix popularise des normes sociales (représentations du genre, modèles de réussite) qui bousculent les valeurs locales.

- et génère de nouvelles formes d'appartenance 

Soit l'émergence de communautés imaginées transnationales (ex. : fans de Game of Thrones formant une communauté en ligne mondiale, au-delà des frontières) et un sentiment d'appartenance à une "humanité globale" via des événements médiatisés (crises climatiques, compétitions sportives).

La culture médiatique globale peut éroder les spécificités culturelles, déclenchant des réactions identitaires (ex. : politiques de "l'exception culturelle" en France).

Enfin la déterritorialisation profite surtout aux pays dominants (occidentalisation des contenus), renforçant des asymétries culturelles. 

 

2. Critique de l’"Impérialisme Culturel"

Tomlinson s'oppose à la théorie de l'impérialisme culturel (Cultural Imperialism) de Herbert Schiller : le livre clé est "Communication and Cultural Domination" (1976), écrit dans les années 1970, alors que les débats sur le Nouvel Ordre Mondial de l'Information et de la Communication (NOMIC) faisaient rage à l'UNESCO (ce qui explique le ton militant de Schiller) Il entendait démontrer comment les États-Unis utilisent leurs industries médiatiques (cinéma, télévision, musique, presse) et leurs technologies de communication pour imposer leurs valeurs (capitalisme, consumérisme, modèle occidental) au reste du monde, affaiblissant ainsi les cultures locales et les souverainetés nationales.

 

Les mécanismes clés de l'impérialisme culturel évoqués selon Schiller sont les suivants :

- des flux inégaux d'information : Les médias occidentaux (ex. : agences de presse comme l'AFP, Hollywood, CNN) contrôlent la production et la diffusion mondiale des contenus.

- une promotion du modèle américain : les programmes exportés véhiculent un mode de vie centré sur la consommation, l'individualisme et les valeurs libérales (la diffusion mondiale de séries télévisées américaines ("Dallas" dans les années 1980).

- une dépendance économique : Les pays du Sud achètent des contenus/media produits aux États-Unis, renforçant leur domination économique et culturelle.

- conduisant à une uniformisation culturelle, soit un risque d'effacement des identités locales au profit d'une culture globale "américanisée".

Schiller s'opposait de plus aux thèses optimistes (comme celle de McLuhan sur le "village global"), soulignant les asymétries de pouvoir. Sa théorie a inspiré les débats sur l'exception culturelle (France) et le NOMIC (Nouvel Ordre Mondial de l'Information et de la Communication) à l'UNESCO dans les années 1980.

Schiller approfondira ces idées dans "Mass Communications and American Empire" (1969, 2e édition en 1992), un autre texte fondateur où il lie impérialisme culturel et expansion militaire/capitaliste.

 

Pour Tomlinson, l’impérialisme culturel est un mythe. S'il reconnaît les inégalités structurelles (Schiller a raison sur ce point), il montre que la culture est un processus dialectique où le global et le local interagissent : La globalisation ne détruit pas les cultures locales : elle les place dans un réseau de significations plus large, où elles se réinventent.

 

Schiller réduit la culture à un outil du capitalisme, en insistant sur la domination économique (flux médiatiques inégaux, contrôle américain des industries culturelles). Or, la culture ne se réduit pas à une marchandise. Les significations culturelles sont réinterprétées localement (un film hollywoodien vu au Brésil ou en Inde produit des expériences différentes selon le contexte). Schiller présente les populations non-occidentales comme des victimes passives, or les publics sont réellement actifs dans la réception (théorie de la "réception située") :  le soap-opéra Dallas (évoqué par Schiller) a été perçu différemment en Israël (comme une critique du capitalisme) ou aux Pays-Bas (comme une comédie absurde).

 

Lorsque Schiller craint une uniformisation culturelle mondiale ("américanisation"), Tomlinson lui rétorque que la globalisation génère une hybridation, pas une substitution (la K-pop est une fusion de pop coréenne, de hip-hop américain et d’esthétiques japonaises; le Bollywood mélange de cinéma hollywoodien et de traditions narratives indiennes).

 

Lorsque Schiller se focalise sur l’hégémonie étatique (États-Unis), Tomlinson répond que la culture globale est déterritorialisée, elle n’est "propriété" d’aucun territoire. Ainsi Netflix produit aujourd’hui des séries au Nigeria (Blood Sisters), en Corée du Sud (Squid Game), ou en France (Lupin), diffusées mondialement. 

 

Et si Schiller lie culture et domination politique, Tomlinson insiste sur le fait que le pouvoir est diffus et circulatoire (inspiré par Michel Foucault) : la culture médiatique ne colonise pas les esprits, mais elle recompose les imaginaires via des pratiques quotidiennes ...

 

3. Cosmopolitisme "Banal"

Tomlinson développe cette idée dans "Globalization and Culture" (1999), non comme un chapitre autonome mais comme un prolongement de sa théorie de la déterritorialisation. Le terme original en anglais est "banal cosmopolitanism", une expression qu'il emprunte à Ulrich Beck tout en la retravaillant. L'aspect crucial ici est de bien distinguer le cosmopolitisme philosophique (élitiste) de la version quotidienne que décrit Tomlinson ("Cosmopolitanism and Cultural Experience"). L'exemple des supermarchés est parlant : choisir un café kenyan ou un avocat mexicain devient un acte cosmopolite inconscient. C'est subtil mais important pour comprendre comment la globalisation transforme les subjectivités ordinaires.

Le cosmopolitisme classique (Kant, Appiah) est vu comme élitiste : il concerne des individus mobiles (diplomates, artistes, intellectuels) capables de s’extraire de leur ancrage local. 

Tomlinson s’intéresse à la dimension ordinaire du cosmopolitisme chez les populations non privilégiées. Dans un monde globalisé, l’exposition à l’altérité devient banale via les médias (ex. : suivre un conflit à l’autre bout du monde sur CNN), la consommation (ex. : manger sushis à Paris ou boire du café colombien à Séoul), les migrations (voisinage multiculturel dans les villes). Pour Tomlinson, le "cosmopolitisme banal" désigne l’intégration discrète du global dans le quotidien, générant une conscience cosmopolite non réflexive chez les individus ordinaires.

Paradoxe de la proximité distante, on se sent "connecté" à des événements lointains (ex. : guerre en Ukraine), mais sans engagement réel ("compassion à distance"). Mais ce cosmopolitisme ne fonde pas une citoyenneté globale (absence d’institutions communes) et elle reste réservé aux sociétés connectées (renforçant au passage l’exclusion des zones marginalisées.)

Le "cosmopolitisme banal" inspirer Ulrich Beck (Cosmopolitan Vision, 2004), qui parle de "cosmopolitisation" comme effet secondaire involontaire de la globalisation; Natan Sznaider, qui étudie sa dimension mémorielle (ex. : la Shoah comme référence globale); Mica Nava (Visceral Cosmopolitanism, 2007) qui explore sa dimension affective (attirance pour l’étranger).

 

Cinq idées FORTES à retenir ...

- "La culture ne ‘tombe’ pas du ciel global : elle est vécue localement" :

Le sens se crée dans la rencontre entre flux globaux et contextes locaux (agency des récepteurs)

- "La déterritorialisation est une perte et une opportunité" : elle fragilise les traditions (perte), mais libère des identités choisies (ex. : diasporas connectées).

- "L’impérialisme culturel est un concept paresseux" : Ignorer la capacité d’appropriation des publics revient à les infantiliser.

- "Notre ‘maison’ est désormais la planète" : les défis globaux (climat, pandémies) créent une communauté de destin malgré les inégalités.

- "Le local survit par hybridation, pas par repli" : les cultures résistent en digérant le global (ex. : le reggaeton mêle reggae jamaïcain et rap US).


Dans "The Condition of Postmodernity" (1989), "Spaces of Hope" (2000) et "Cosmopolitanism and the Geographies of Freedom" (2009), si David Harvey n'est pas le critique le plus direct de Tomlinson (contrairement à Schiller ou Giddens), ses travaux sur la mondialisation capitaliste offrent une contre-lecture puissante de l'optimisme culturel de Tomlinson. Le désaccord central porte sur le rôle du capitalisme dans la transformation culturelle...

- La globalisation n'est pas un phénomène culturel spontané, mais le résultat de stratégies capitalistes pour accélérer les flux (marchandises, capitaux, informations).

Contre Tomlinson, il affirme que la "déterritorialisation" est un effet secondaire de cette logique économique, non une dynamique autonome (Netflix optimise des contenus globaux pour maximiser des abonnements, pas pour favoriser l'hybridation culturelle).

- Le cosmopolitisme quotidien décrit par Tomlinson masque des inégalités structurelles : seuls les privilégiés (classes mobiles/connectées) en bénéficient. Les populations pauvres/subalternes subissent une déterritorialisation forcée (ex: migrations économiques) sans accès aux privilèges cosmopolites : le cosmopolitisme des élites globalisées repose sur l'exploitation des territoires périphériques ...

- Pour Harvey, la "culture médiatique globale" (Tomlinson) est d'abord un produit de la marchandisation : les contenus culturels (Netflix, CNN) sont conçus pour des marchés, non pour le dialogue interculturel. D'où une homogénéisation sous capitalisme (ex: standardisation des récits pour plaire aux algorithmes).

- Enfin, Harvey reproche à Tomlinson de négliger les luttes de pouvoir derrière les flux culturels (ex: l'hégémonie des GAFAM) et la dimension coloniale persistante : La déterritorialisation reproduit des asymétries Nord-Sud (Harvey, "The New Imperialism", 2003).

Ainsi Harvey révèle-t-il les angles morts économiques et politiques de Tomlinson, mais surdétermine toutefois l'économique : Harvey minimise la capacité d'agence des publics (point fort de Tomlinson).

 

Evoquons parmi d'autres critiques pertinentes, Anthony Giddens (Runaway World, 1999), - qui souligne les risques existentiels de la déterritorialisation (perte des repères) -, et Doreen Massey ("For Space", 2005), qui critique une vision trop fluide de l'espace chez Tomlinson, rappelant que les territoires restent stratifiés (genre, classe, race).

 

"Cosmopolitanism and the Geographies of Freedom" (David Harvey, 2009) propose une critique radicale du cosmopolitisme libéral en articulant géographie, capitalisme et justice sociale. Le cosmopolitisme traditionnel (Kant, Nussbaum) est un projet détaché des réalités spatiales, promu par des élites globalisées (ONG, intellectuels, multinationales). Les dirigeants de Davos prônent l'ouverture des frontières... tout en vivant dans des enclaves sécurisées : le cosmopolitisme libéral ignore comment le capital produit des inégalités spatiales...

Harvey défend une conception matérialiste de la liberté. La vraie liberté implique de maîtriser les conditions spatiales de son existence (logement, travail, mobilité). Un migrant sans-papiers incarne l’"illibéralisme spatial" : privé de droits territoriaux malgré sa "cosmopolitisation" forcée. Harvey esquisse une alternative : unir les luttes locales contre l’exploitation capitaliste (inspiré d’Henri Lefebvre), construire un cosmopolitisme par le bas, ancré dans la justice territoriale." Un livre qui a nourri les études critiques sur la justice spatiale (Edward Soja, Don Mitchell) et inspiré les mouvements "Right to the City" (métropoles latino-américaines)...

 

... à suivre CulturalGlobalization2 ...