Personal development & Online Self-Help - Introduction - ...

Baby Boomers - WorkForce1965–1985 / LeaderShip1985–2010 - Âge approximatif en 2025 : 61–79 ans - Réalisation de soi, éveil spirituel, harmonie intérieure - "The Road Less Traveled" (M. Scott Peck, 1978) - "Zen and the Art of Motorcycle Maintenance" (Robert M. Pirsig, 1974) - "The Tao of Physics" (Fritjof Capra, 1975) - ...

Last update - 2025


Le terme de "développement personnel" commence à se diffuser en France dans les années 1980, importé des États-Unis via la psychologie humaniste, le New Age, et le management. Avant cela, on parlait plutôt d’épanouissement personnel, d’accomplissement de soi, voire de formation ou d’éducation morale.

En anglais, on distingue "personal development" et "self-help" et tous deux ont des histoires distinctes, bien qu'ils soient souvent utilisés de manière interchangeable aujourd'hui dans le domaine du développement personnel. 

"Self-Help" (1859), livre de Samuel Smiles, est considéré comme le point de départ du genre : Smiles prônait alors la discipline, le travail acharné et l'autonomie morale dans un esprit victorien. Jusqu’aux années 1970, self-help restera le terme le plus courant, souvent lié à des valeurs morales ou religieuses. Le terme "personal development" devint populaire surtout au 20e siècle, en particulier dans les années 1960–70 avec l’essor de la psychologie humaniste (Carl Rogers, Abraham Maslow). Plus large et moins moralisateur que self-help, il sous-entend croissance personnelle, réalisation de soi (self-actualization), coaching, formation professionnelle, spiritualité New Age, etc.

Il n’y a pas de tradition ancienne de "self-help" en France — le développement de soi est resté lié à l’école, la philosophie ou la religion. En France catholique, l’idée d’amélioration de soi est longtemps passée par des structures collectives, confession, éducation morale, institutions étatiques ou religieuses. Dans le monde anglo-saxon (États-Unis, Royaume-Uni), la tradition protestante valorise depuis des siècles l’auto-examen, la responsabilité individuelle, l’amélioration de soi ...

Le terme "développement personnel" sera donc importé dans les années 1980–90 en France sans traduction fine des distinctions anglo-saxonnes. Il devient un label marketing unique utilisé pour vendre aussi bien des guides de méditation, des livres de coaching, que des ouvrages ésotériques.

 

Le développement personnel se définit ainsi, globalement, comme une pratique culturelle omniprésente dans les sociétés modernes occidentalisées, centrée sur l'amélioration individuelle constante: cette notion d''amélioration individuelle constante reste équivoque ..

- la notion présuppose que l’individu serait toujours insuffisant, incomplet, voire défaillant.

- elle ne précise jamais exactement quels critères ou valeurs déterminent cette « amélioration ». Est-ce la réussite matérielle, le bonheur, l’équilibre émotionnel, la conformité sociale ?

- Le DP ne fixe souvent pas d’objectifs clairement atteignables. L'amélioration devient une course sans fin (endless self-improvement), générant souvent anxiété, épuisement ou culpabilité.

- Le DP situe la responsabilité exclusivement chez l’individu, ignorant généralement les contextes sociaux, économiques et politiques dans lesquels les problèmes personnels surgissent.

- Le DP devient alors une forme subtile de culpabilisation individuelle : si l’on échoue, c’est parce qu’on n’aurait pas fait assez d’efforts (nous touchons imperceptiblement à l'idéologie de la fameuse "méritocratie").

 

PIC : c'est au travers de quatre générations que nous suivrons cette notion, et nous illustrerons notre propos en nous inspirant des oeuvres d'Alex Grey, un artiste américain né en 1953 à Columbus (Ohio), un pionnier du visionnaire et du psychédélisme visuel, rendu célèbre par sa série "Sacred Mirrors" (1979–1988), série monumentale et méditative sur le corps-spirituel ...

 

Toutes les pratiques ou démarches du DP ne sont sans doute pas inutiles, mais une certaine superficialité, de celle qui structure de part en part nos sociétés connectées et médiatisées, y règne sans partage ...

- Le DP réduit souvent les problèmes existentiels ou sociaux à des questions purement psychologiques ou comportementales, simplifiant à l’excès la complexité humaine.

- L’industrie du DP pousse souvent à consommer livres, séminaires, coaching, applis, sans nécessairement approfondir les questions fondamentales. Le résultat est parfois un consumérisme superficiel du « bonheur » et du « bien-être ».

En proposant des solutions universelles et simplifiées (recettes, « 7 règles », « 10 astuces »), le DP tend à nier les singularités individuelles, réduisant la profondeur existentielle à des formules toutes faites.

Standardisation, uniformisation, sécurisation, conservatisme social ...

 

Et pourtant, plus qu'on ne pense, le "Développement personnel" (DP) est un phénomène socio-économique et culturel qui semble aujourd'hui répondre, souvent implicitement, à la quête de sens des sociétés post-séculières, tout en exposant des vulnérabilités nouvelles qu’il prétend parfois résoudre...

 

Si les années 1990 furent la décennie charnière au cours de laquelle le développement personnel a changé d’échelle pour devenir une industrie mondiale, c’est en ce  XXIe siècle qu’il a acquis une place systémique et idéologique dans les sociétés postmodernes, jusqu’à façonner nos normes de santé, de succès, d’identité et même de moralité ...

 

Le développement personnel désigne un ensemble de pratiques, d’idées et de méthodes visant à l’amélioration continue de soi-même au niveau psychologique, émotionnel, relationnel ou professionnel. Il inclut notamment la recherche de :

- l’épanouissement personnel,

- l’optimisation des capacités individuelles (efficacité, productivité, résilience),

- le renforcement de l’équilibre émotionnel et relationnel (bien-être, confiance en soi, gestion du stress).

Ces démarches peuvent reposer sur des approches psychologiques ou neuroscientifiques, des philosophies morales ou spirituelles simplifiées (stoïcisme, mindfulness), des pratiques thérapeutiques ou pseudo-thérapeutiques accessibles à un large public.

Le DP se distingue par une logique fortement individualiste : la personne est considérée comme responsable de son propre succès, bonheur, et accomplissement personnel...

 

On peut aujourd'hui évoquer le développement personnel comme substitut contemporain à la religion et à l’éthique, 

- de par sa fonction existentielle

Le DP propose des récits de salut individuel, des rituels quotidiens, une grammaire du bien et du mal (ex. « relations toxiques », « énergie négative », « pensée limitante »). Il prescrit des formes de travail sur soi, avec promesse de transformation intérieure, d’accomplissement, voire de « mission de vie » (life purpose), ce qui le rapproche de logiques religieuses mais sans transcendance.

- et sa morale implicite

Le DP véhicule des normes comportementales et émotionnelles : autonomie, positivité, résilience, gratitude, authenticité. Il dicte une éthique de la performance intérieure, très proche de l’idéologie néolibérale : « si tu échoues, c’est que tu n’as pas assez travaillé sur toi ».

 

Une nouvelle forme de religion séculière et de morale privée dans les sociétés post-séculières et dans laquelle de reconnaissent pleinement les classes moyennes et supérieures occidentales ...

Ne serait-ce que parce qu'il requiert, 

- un niveau d’études relativement élevé : le DP suppose une capacité d’abstraction, de lecture, d’auto-analyse, souvent liée à l’enseignement supérieur.

- du temps libre et du capital culturel : ces individus ont accès à des livres, stages, retraites bien-être, thérapies alternatives.

- des professionnels du tertiaire (créatif, éducation, santé, tech, freelance) : des secteurs où l’individualisation de la réussite et la gestion de soi sont omniprésentes.

 

Mais aussi une jeunesse diplômée mais anxieuse (beaucoup de jeunes adultes précaires (dans les pays de l’OCDE) se tournent vers le DP non pas pour briller, mais pour supporter la pression de l’instabilité et de l’incertitude (burn-out, anxiété, surcharge cognitive). Dans ce contexte spécifique, le DP devient alors un kit de survie émotionnel, plus qu’un luxe.

 

Une élite mondialisée (start-up, coaching, wellness) - Le DP est aussi le cœur d’un capitalisme de soi, avec des influenceurs, des coachs, des « thérapeutes spirituels » qui transforment l’introspection en marchandise. Ce sont les mêmes qui consomment bio, méditent, voyagent à Bali, parlent de slow life sur LinkedIn, tout en monétisant leur image.

 

Et cela implique aussi que le DP creuse une fracture sociale invisible : il impose des normes de bien-être à ceux qui n’ont ni les moyens, ni les conditions de les atteindre ...


Le terme précis de « développement personnel » (self-development  , self-help) est popularisé dans les pays anglo-saxons à partir des années 1950–1960, mais ses racines remontent bien plus loin, et on peut effectivement remonter très loin ...

- Antiquité grecque et romaine : philosophie stoïcienne (Marc Aurèle, Sénèque, Épictète) comme art du « souci de soi » (epimeleia heautou), visant une vie bonne par l’exercice moral.

- XVIIIe–XIXe siècles : L’idée moderne d’« amélioration de soi » apparaît avec Benjamin Franklin ("Autobiography", 1791), puis Samuel Smiles ("Self-Help", 1859), livre emblématique de l’ère victorienne et origine conceptuelle du DP moderne.

- Début XXe siècle : Dale Carnegie ("How to Win Friends and Influence People", 1936) incarne l’entrée dans l’ère de masse de cette quête de perfectionnement individuel : l'archétype du DP populaire.

Abraham Maslow, "Toward a Psychology of Being" (1962), psychologie humaniste fondatrice, Carl Rogers, "On Becoming a Person" (1961), pilier de la psychologie humaniste appliquée, Stephen Covey, "The 7 Habits of Highly Effective People" (1989), figure emblématique des années 1990, trois figures-clés du mouvement ...

Le DP moderne va s’imposer  comme marché culturel à part entière après la Seconde Guerre mondiale, en particulier à partir des années 1950–60 (psychologie humaniste), mais il est enraciné dans une tradition ancienne et quasi intégrée à notre structure mentale d'être humain, celle du souci moral et pratique de soi ...

Il faut ajouter que le modèle dominant actuel du DP (industrie culturelle, individualisme, quête du bonheur) est clairement occidental. Certes, certaines traditions asiatiques (taoïsme, confucianisme, bouddhisme zen, yoga indien) sont aujourd’hui intégrées au DP occidental (pleine conscience, méditation). Mais la logique marchande, individualiste et consumériste reste largement issue du capitalisme occidental (États-Unis principalement).

 

Micki McGee, "Self-Help, Inc.: Makeover Culture in American Life" (2005, Oxford University Press),

une analyse sociologique critique de l’industrie du DP comme reflet du capitalisme néolibéral américain. Tony Robbins, Stephen Covey (The 7 Habits of Highly Effective People), M. Scott Peck (The Road Less Traveled) et Rhonda Byrne (The Secret) sont utilisés pour illustrer cette singulière idéologie du « pouvoir de l’esprit » ...

Micki McGee, sociologue et chercheuse associée à l'université de Fordham, développe une critique sociologique systématique du discours de l’auto-assistance (self-help) dans l’Amérique contemporaine. Elle s'intéresse à la manière dont ces discours encouragent une logique individualiste et néolibérale, en déplaçant la responsabilité des échecs sociaux ou économiques de la société vers les individus eux-mêmes.

L’auto-assistance comme dispositif idéologique - La culture du self-help diffuse l’idée que l’amélioration de soi est une obligation morale, et que chaque individu doit en permanence « se réinventer » pour s’adapter au marché du travail et aux attentes sociales. McGee qualifie cette injonction permanente de "makeover culture" : une culture de la transformation perpétuelle.

Dans le monde du travail postindustriel, les discours d’auto-aide encouragent la flexibilité, l’adaptabilité, la positivité, mais masquent le retrait des protections sociales, la montée de l'instabilité de l’emploi, et la déresponsabilisation des institutions.

Les ouvrages de self-help, en prétendant autonomiser, individualisent la souffrance collective (perte d’emploi, pauvreté, isolement).

McGee montre comment le « moi » devient une marchandise : nous devons vendre notre personnalité, nos émotions, notre authenticité. Cela pousse les individus à faire de leur vie un projet marketing. Elle parle d’un « ethos entrepreneurial du soi », où chacun doit être son propre patron, son propre produit, et son propre coach.

L’auteure documente le fait que les best-sellers de développement personnel sont presque toujours liés à une industrie lucrative (coaching, séminaires, stages), même lorsqu’ils adoptent des airs spirituels ou humanistes. Les récits autobiographiques de « succès » sont souvent standardisés, scénarisés, et insérés dans un circuit commercial.

La gestion émotionnelle comme outil de docilité - Le self-help enseigne aux individus à réprimer leur colère sociale et à canaliser leur frustration vers des objectifs « personnels » (confiance en soi, acceptation, gratitude). Ce qui a pour conséquence d'affaiblir les solidarités collectives et de détourner les énergies de toute contestation sociale.

 

Jessica Lamb-Shapiro, "Promise Land: My Journey through America’s Self-Help Culture" (2014),

une exploration intime et critique de la culture du DP aux USA. Autre titre, "Promise Land: A Journey Through America’s Euphoric, Soul-Sucking, Emancipating, Hornswoggling, and Irrepressible Self-Help Culture", sur certaines versions promotionnelles.

Jessica Lamb-Shapiro, fille d’un auteur de livres de développement personnel, entreprend un voyage à travers l’Amérique pour explorer ce qu’elle appelle le "self-help culture". En mêlant ses expériences personnelles (notamment le deuil de sa mère morte lorsqu'elle était enfant) à une analyse critique et souvent ironique du secteur du bien-être, elle visite des séminaires, lit des ouvrages, teste des méthodes (affirmations positives, vision boards, etc.), et assiste à des groupes d'entraide. Elle se situe à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de cette culture : elle a grandi dans ce milieu, mais elle en doute profondément. Ce positionnement ambivalent est ce qui donne sa richesse au livre ...

 

"It’s nearly impossible to live in the world and escape self-help. We are surrounded all the time by its bastard derivatives. In my local auto body shop, a yellowed sign hanging over the saddest couch in the world proclaims, WE CREATE OUR TOMORROWS BY WHAT WE DREAM TODAY.

 Il est presque impossible de vivre dans ce monde sans être confronté au développement personnel. Nous sommes constamment entourés de ses dérivés bâtards. Dans mon garage automobile local, un panneau jauni suspendu au-dessus du canapé le plus triste du monde proclame : NOUS CRÉONS NOS DEMAINS PAR CE QUE NOUS RÊVONS AUJOURD'HUI.

Un e-mail dans ma boîte de réception m'encourage à « prendre courage en cet instant et savoir que le meilleur reste à venir ». Une affiche dans ma quincaillerie, représentant un chaton accroché à une branche, offre trois mots simples : TIENS BON.

Ces axiomes peuvent sembler futiles, de vulgaires bibelots mentaux dont les gens se servent pour se protéger des horreurs routinières de la vie quotidienne. Ils passent peut-être la plupart du temps inaperçus à nos yeux, mais ils existent dans notre vision périphérique, et je suis de ceux qui croient que nous ingérons ces choses accidentellement, et qu'elles doivent avoir un effet tenace, sinon profond, sur nos psychés, avec les conséquences les plus insondables. Ces posters aphoristiques, autocollants de pare-chocs, panneaux, calendriers, stylos, e-mails, t-shirts et tasses à café contiennent de menues mais constantes assurances que le point de vue de l'univers à notre égard n'est pas une indifférence écrasante.

L'usage des livres de développement personnel est une forme de bibliothérapie – l'idée qu'un tas de pages entre deux couvertures rigides peut servir d'aide thérapeutique. Ces livres se concentrent sur des sujets influencés par notre psychologie : un livre sur la perte de poids relève du développement personnel, alors qu'un livre sur la programmation informatique n'en relève pas. Cela peut prêter à confusion cependant, quand ils paraissent ensemble dans des séries comme The Complete Idiot's Guide ou Pour les Nuls, car ils utilisent tous deux les conventions formelles des guides pratiques.

( Self-help is a concept vast and vague enough to include my father’s books and board games and sweat lodges and est (a therapy from the 1960s my uncle once tried, where people yelled at you and you weren’t allowed to use the bathroom ..) 

Le développement personnel est un concept assez vaste et vague pour englober les livres et jeux de société de mon père, les huttes de sudation, l'est (une thérapie des années 1960 que mon oncle a essayée, où des gens vous criaient dessus et où vous n'aviez pas le droit d'aller aux toilettes ; quand je lui ai demandé si ça avait été utile, il a répondu qu'il avait appris qu'il pouvait se retenir très longtemps), Chicken Soup for the Soul, Marc Aurèle, la marche sur le feu, Esalen, les séminaires d'entreprise, les câlins aux arbres, les groupes de soutien aux addicts, les séminaires sur la réussite, les cours d'estime de soi et les calendriers d'affirmation qui vous rappellent d'être la star de votre propre vie. Le développement personnel est simultanément décrié, adoré et ignoré au point qu'il est possible de lui attribuer le sens que l'on désire. Si vous le détestez, c'est un exercice futile qui escroque les naïfs de leur argent et de leur dignité. Si vous l'aimez, c'est une structure d'auto-amélioration, une opportunité d'illumination..."

"If you hate self-help, it is an exercise in futility that robs fools of their money and dignity. If you love self-help, it is a structure for self-betterment, an opportunity for enlightenment..."

 

Que retenir?

- Le paradoxe de l’aide personnelle - La self-help industry est souvent fondée sur un cercle vicieux : elle promet une transformation, mais crée une dépendance à des méthodes inachevées.

- L’industrie du self-help est massive mais floue - Elle génère plusieurs milliards de dollars par an, mais le concept même d’« aide personnelle » est élastique : cela inclut aussi bien des livres de psychologie que des séminaires pseudo-spirituels ou des guides de productivité.

- L’illusion du contrôle émotionnel - Beaucoup de méthodes insistent sur l’idée que la souffrance est un choix, ce qui culpabilise les gens au lieu de les aider. Lamb-Shapiro critique cette idée comme étant à la fois fausse et dangereuse.

- L’obsession américaine du bonheur - Le livre montre comment le self-help reflète l’idéologie américaine du succès individuel et du positivisme obligatoire, où le malheur est souvent perçu comme une faiblesse morale.

- L’aveu de vulnérabilité comme stratégie de marché - Elle remarque que de nombreux gourous du développement personnel monétisent leur propre histoire de souffrance en la transformant en narratif rédempteur, presque toujours avec une fin heureuse.

Le fil rouge du livre est le suicide de la mère de l’auteure, une douleur longtemps refoulée. Elle s'interroge sur le silence familial, la difficulté d’accéder à ses émotions, et sur la manière dont la culture du self-help peut à la fois tenter de combler ce vide… ou de le nier.

 

Steven Starker, "Oracle at the Supermarket: The American Preoccupation with Self-Help Books" (1989),

un historique détaillé des best-sellers de DP, avec analyse culturelle des années 1950–1980.

Steven Starker, chef du service de psychologie au Portland V.A. Medical Center et professeur de sociologie des média, retrace ici l’évolution des ouvrages d’auto-assistance depuis l’Amérique coloniale jusqu’au XXᵉ siècle, en explorant successivement la montée du mind‑cure (guérison par l’esprit) au début du XXᵉ, les best‑sellers psychologiques des années 20 et 30, l’émergence de la littérature de sexualité dans les années 1960 et l’explosion des livres sur le régime, la gestion de stress et la réalisation du soi dans les années 80. Plutôt que de se limiter à une critique morale, l’auteur s’appuie sur des données issues de lecteurs, de professionnels de la santé et d’études empiriques pour évaluer la valeur et les dangers de la littérature self- Il identifie clairement les catégories dominantes, - mode de vie, santé, spiritualité, sexualité, succès, développement personnel -, expliquant pourquoi ces thèmes résonnent sur les étals des librairies et supermarchés. 

Starker ne condamne pas systématiquement le genre. S'il reconnaît les effets bénéfiques, notamment comme source d’espoir, de stimulation motivationnelle, et comme rempart contre le désespoir, il met aussi en garde contre des promesses exagérées, des conseils souvent non fondés scientifiquement, et une éthique discutable chez certains auteurs .

 

Eva Illouz, "Saving the Modern Soul: Therapy, Emotions, and the Culture of Self-Help" (2008),

une analyse fondamentale sur l’intériorisation psychologique et thérapeutique du DP dans les sociétés modernes : la culture thérapeutique (livres de self-help, thérapie, discours psy) a profondément transformé l'expérience émotionnelle moderne en fusionnant capitalisme et vie intime, créant un nouvel ethos émotionnel où les émotions sont rationalisées, managérialisées et marchandisées...

 

"... Des penseurs comme Lionel Trilling, Philip Rieff, Christopher Lasch et Philip Cushman ont interprété l'essor de la vision thérapeutique du monde comme marquant le déclin d'un royaume autonome de culture et de valeurs. 

- Lionel Trilling, "Freud and the Crisis of Our Culture" (Boston: Beacon Press, 1955); Rieff, "Triumph of the Therapeutic"; Lasch, "Culture of Narcissism"; Philip Cushman, "Constructing the Self, Constructing America: A Cultural History of Psychotherapy" (Reading, MA: Addison-Wesley) - 

Sous l'effet de la consommation et des pratiques thérapeutiques, le moi s'est progressivement intégré aux institutions de la modernité, entraînant la perte du pouvoir de transcendance de la culture et de sa capacité d'opposition à la société. 

Le caractère séducteur même de la consommation et de l'auto-absorption thérapeutique signale le déclin de toute opposition sérieuse à la société et l'épuisement culturel général de la civilisation occidentale. Désormais incapable de créer des héros, des valeurs fédératrices et des idéaux culturels, le moi s'est retiré dans sa propre coquille vide. 

En nous enjoignant de nous replier sur nous-mêmes, la persuasion thérapeutique nous a fait abandonner les grands domaines de la citoyenneté et du politique, et ne peut nous offrir de voie intelligible pour relier le moi privé à la sphère publique – car elle a vidé le moi de son contenu communautaire et politique, substituant à ce contenu un souci de soi narcissique.

La critique la plus radicale – et probablement la plus influente – du discours thérapeutique s'inspire de l'historicisation foucaldienne des systèmes de savoir. L'approche de Foucault envers le discours thérapeutique cherche moins à restaurer des communautés de sens qu'à exposer les modalités d'inscription du pouvoir dans le tissu social, tant verticalement qu'horizontalement. 

Foucault a porté un coup fatal à la psychanalyse en révélant que son glorieux projet de libération de soi n'était qu'une forme de discipline et de sujétion au pouvoir institutionnel "par d'autres moyens". Il suggère que la "découverte" scientifique de la sexualité au cœur du projet psychanalytique perpétue une longue tradition où, par la confession, les sujets sont contraints de chercher et d'énoncer la vérité sur eux-mêmes. 

L'espace thérapeutique est un lieu où nous nous inventons comme individus, dotés de désirs, de besoins et d'envies à connaître, catégoriser et contrôler au nom même de la liberté. À travers les catégories jumelles du "sexe" et de la "psyché", la pratique psychanalytique nous pousse à chercher la vérité sur nous-mêmes, se définissant ainsi comme la découverte de cette vérité et l'émancipation dans cette quête. 

Ce qui rend les "discours psy" particulièrement efficaces à l'ère moderne, c'est qu'ils font de la pratique de la connaissance de soi un acte simultanément épistémologique et moral. Loin d'arborer le visage austère du censeur, le pouvoir moderne revêt le visage bienveillant de notre psychanalyste – lequel n'est en réalité qu'un nœud dans un vaste réseau de pouvoir, réseau omniprésent, diffus, et total dans son anonymat et son immanence. 

Le discours psychanalytique est ainsi une "technologie politique du soi", instrument utilisé et développé dans le cadre général de la rationalité politique de l'État ; sa visée même d'émancipation du moi est ce qui rend l'individu gérable et discipliné. Là où les sociologues communautaristes voient dans le discours thérapeutique un coin enfoncé entre soi et société, Foucault suggère au contraire qu'à travers la thérapie, le moi est amené à œuvrer sans heurts pour un système de pouvoir et en son sein.

Bien que cet ouvrage ne puisse manquer d'avoir des implications pour la critique de la modernité, je souhaite totalement l'éviter. Que le discours thérapeutique menace les communautés morales de sens, sape la famille, opprime les femmes, diminue la pertinence de la sphère politique, corrode la vertu et le caractère moraux, exerce une surveillance généralisée, renforce la coquille vide du narcissisme ou affaiblisse le moi ne me préoccupe pas — même si certaines de ces questions ne manqueront pas de hanter la discussion à venir.

Mon propos n'est ni de documenter les effets pernicieux du discours thérapeutique, ni d'en discuter le potentiel émancipateur, tâches que d'autres ont magistralement accomplies.⁶ Mon intention est plutôt de déplacer le champ des cultural studies hors de l''épistémologie du soupçon' sur laquelle il s'est trop lourdement appuyé. Ou, pour le dire autrement : je souhaite analyser la culture sans présumer savoir à l'avance ce à quoi devraient ressembler les relations sociales ..."

 

Eva Illouz, sociologue (Hebrew University of Jerusalem), nous montre comment le discours thérapeutique est devenu le principal code culturel à travers lequel les individus se définissent et expriment leurs émotions — dans le couple, au travail, dans les médias, l’éducation et même l’État. Elle retrace le rôle central de Freud, notamment sa conférence à Clark University, pour l’intégration des idées psychanalytiques dans la culture américaine, qui ont façonné notre manière de conceptualiser individualité et authenticité. Elle introduit ici la notion d’emotional capitalism, où émotions et logique économique s’entrelacent : émotions perçues comme un capital à gérer, tandis que la vie professionnelle adopte un style émotionnel.

La culture thérapeutique a transformé la vie privée en espace “public” où intimité rime avec dialogue émotionnel, réflexivité constante et norme d’égalité psychologique — mais au risque de réguler artificiellement les sentiments. L’auteure décrit ainsi la fabrication d’un soi narratif, façonné autour de la souffrance transformée en vertu, avec valorisation publique du rétablissement — une « triumphant suffering » qui structure l’identité. L’intelligence émotionnelle (IE) est devenue un nouvel outil de stratification sociale, valorisé dans les entreprises, les relations interpersonnelles, et fonctionnant comme capital culturel .

Conséquence majeure : l'émergence d'un sujet émotionnel moderne, constamment sommé de gérer ses affects comme un projet, jugé sur sa capacité à être "autonome" ET "en lien" (paradoxe insoutenable), et soumis à une injonction au bonheur transformée en impératif moral...

 

William Davies, "The Happiness Industry : How the Government and Big Business Sold Us Well-Being" (2015), une critique approfondie sur la marchandisation du bonheur et la psychologie positive contemporaine, au fond des outils de dépolitisation ...

William Davies, sociologue et politiste (Goldsmiths, University of London), démontre que le bonheur est devenu une industrie : États et entreprises instrumentalisent les sciences du comportement (neurosciences, économie comportementale, psychologie positive) pour mesurer, contrôler et exploiter les émotions humaines, au service du pouvoir politique et du profit. Il retrace deux siècles d’obsession occidentale pour le calcul du plaisir et de la douleur, depuis Jeremy Bentham jusqu’aux capteurs biométriques de Google ou aux Chief Happiness Officers des firmes tech. Il montre comment le bien-être, devenu indicateur de performance économique, sert à dépolitiser la souffrance sociale : si votre humeur est votre capital, l’injustice structurelle disparaît du champ de vision. 

L'utilitarisme de Bentham (XVIIIᵉ) a posé les bases d'une quantification du bonheur comme indicateur de gouvernance. Aujourd'hui, les big data et les capteurs biométriques (wearables) poussent cette logique à l'extrême : le corps et l'esprit deviennent des mines de données. Et tandis que les gouvernements utilisent le bonheur comme outil de gestion des populations (ex : le "Bonheur national brut" au Bhoutan détourné en instrument néolibéral), les entreprises transforment le bien-être en stratégie RH : ateliers de positivité, tracking du stress, optimisation de la productivité via la "résilience".

Dépolitisation de la souffrance - Les problèmes sociaux (précarité, inégalités) sont repsychologisés : "Votre mal-être est un manque de mindset positif". Critique radicale de la psychologie positive (Seligman) et des nudges (Thaler) : ils masquent les causes structurelles sous un vernis d'auto-optimisation.

Biocapitalisme émotionnel - Nos émotions sont devenues une ressource extractive : les plateformes digitales (Facebook, Google) monétisent nos états d'âme via l'analyse des données. Le "capitalisme de surveillance" (Zuboff) s'empare de la vie intérieure. Quand Eva Illouz analyse la culturalisation des émotions, Davies nous montre leur instrumentalisation techno-économique. On peut espérer que Davies surestime peut-être le pouvoir des outils de mesure et sous-estime les résistances individuelles ...

 

Mais au travers de ses trois livres majeurs, "The Happiness Industry" (2015), - La quantification du bien-être sert à évacuer les revendications sociales (ex : on mesure le stress des salariés au lieu d'augmenter les salaires) -, "Nervous States: How Feeling Took Over the World" (2018), - Les technologies numériques exacerbent nos états nerveux (social media ou la rage algorithmique) -, "This Is Not Normal: The Collapse of Liberal Britain" (2021), - qui lie austérité économique, mépris des experts et montée du populisme émotionnel -, l'ironie corrosive de Davies excelle à débusquer les contradictions du néolibéralisme, la "transparence" (censée libérer) devient surveillance généralisée, le culte du "bien-être" produit une anxiété performative, et la démocratie libérale génère elle-même les passions antidémocratiques qui la menacent...

 

Barbara Ehrenreich, "Bright-Sided: How the Relentless Promotion of Positive Thinking Has Undermined America" (2009), 

un essai incisif dans lequel Ehrenreich s’attaque à ce qu’elle appelle la « tyrannie de l’optimisme » dans la culture américaine. Après avoir elle-même expérimenté le cancer du sein et été confrontée à la rhétorique du "combat joyeux", elle entreprend une analyse sociétale de l’injonction au bonheur et à l’optimisme, révélant qu’elle masque et justifie des injustices structurelles — économiques, politiques, sanitaires.

Cet optimisme a acquis le statut d'obligation morale : toute critique est perçue comme de la négativité toxique. Cette pression culpabilise les malades, les chômeurs, ou les personnes endeuillées, qui se sentent responsables de leur malheur. Dans le monde de l’entreprise, la promotion du positive thinking (via séminaires, coachings, affirmations) vise à éradiquer les conflits et à augmenter la productivité, parfois au détriment du bon sens économique.

Ehrenreich prend l’exemple de la crise financière de 2008 : des analystes avaient vu les signes avant-coureurs, mais ils ont été ignorés pour ne pas « déranger la dynamique positive ». Positive thinking et évangélisme : l’auteure relie cette culture au protestantisme américain (type Norman Vincent Peale ou Joel Osteen), où Dieu est présenté comme un coach bienveillant qui récompense les pensées positives. Elle décrit la montée d’une spiritualité consumériste centrée sur l’abondance et la croissance personnelle. Une fois de plus, le "bright-siding" empêche la mobilisation collective :et transforme les injustices sociales en défaillances personnelles. Renforçant ainsi l’idéologie néolibérale de l’individu responsable et autosuffisant...


L'évolution du DP semble suivre une dynamique générationnelle cumulative et adaptative, reflétant les angoisses, les désirs et les stratégies d’adaptation de chacune de ces générations.

Chaque cycle va reconfigurer les formes précédentes : la spiritualité des boomers devient "mindfulness", l’efficacité de Gen X devient "hacking de soi", la thérapie devient "storytelling identitaire" ... 


Pour les baby-boomers (nés entre 1945 et 1965, actifs entre les années 1960 et 1990), le DP a souvent pris forme d'une quête spirituelle et de libération du moi (années 1970–1980) ...

On connaît le contexte tant de fois évoqués, l'après 1968 fut critique, nous dit-on, de l’autorité, du patriarcat, des normes rigides., crise des valeurs traditionnelles et quête de transcendance personnelle et collective. Une génération qui s'est pensée révolutionnaire (Mai 68, la contre-culture américaine, le mouvement New Age) mais au fond n'a peut-être jamais été aussi conservatrice et égocentrique. Et c'est cette génération qui critiquait tant le consumérisme qui a pourtant a créé le marché du développement personnel à partir des années 1970-1980 ...

 C'est en effet à partir de ces deux décennies que les baby-boomers investissent des rôles de consultants, auteurs, formateurs, thérapeutes ou coachs. Le développement personnel devient un produit culturel et commercial, combinant psychologie humaniste, spiritualité orientale, et techniques de management. Il est rebrandé comme un outil d’auto-optimisation dans une société individualisée et compétitive. C’est l’époque des best-sellers de Dale Carnegie, Stephen Covey, Tony Robbins, etc.

Être soi-même devient un devoir, une exigence, on cherche non seulement à améliorer son bien-être, mais aussi sa performance, sa "valeur sur le marché". Le développement personnel propose des versions light du bouddhisme, du yoga, de la pleine conscience, etc., sans institution ni dogme. 

 

Les baby-boomers ne commercialisent pas un simple ensemble de techniques : ils créent un nouveau rapport à soi, dans lequel le sujet devient à la fois l’entrepreneur et le produit de sa propre existence ...

 

1. Les best-sellers DP de l'époque "Baby-boomers" ...

 

Viktor E. Frankl, "Man’s Search for Meaning" (1946 en allemand, 1959 en anglais)

Fondement de la logothérapie, la quête de sens comme motivation humaine primordiale. - Témoignage de Frankl sur les camps nazis, avec réflexion philosophique et psychologique. - A touché une génération en quête de profondeur après la guerre et face à la montée du matérialisme.

 

Benjamin Spock, "The Common Sense Book of Baby and Child Care" (1946)

Éducation bienveillante des enfants, responsabilisation des mères. - A influencé la génération des baby-boomers dans leur éducation (indirectement donc). - Accusé d’avoir causé l’individualisme de cette génération, bien que non destiné directement au développement personnel.

 

Dale Carnegie, 'How to Win Friends and Influence People"

1936, mais best-seller continu chez les baby-boomers - Techniques de communication et de persuasion dans la vie professionnelle et sociale.- 30 principes pour se faire des amis, convaincre, gérer les conflits. - Lu massivement par les jeunes cadres et vendeurs des années 50-60. - Devint un manuel officieux de savoir-vivre professionnel dans l’Amérique d'après-guerre.

 

Napoleon Hill, "Think and Grow Rich" 

1937, mais relancé dans les années 50 - Très populaire auprès des Baby-boomers dans les années 50 et 60 lors du rêve américain. - Publié en 1937 après plus de 20 ans de recherches, Think and Grow Rich est l’un des piliers de la littérature de développement personnel et de la pensée positive. Napoleon Hill y synthétise les principes qu’il affirme avoir tirés d’entretiens avec plus de 500 hommes influents de son époque (notamment Andrew Carnegie, Henry Ford, Thomas Edison). Son but n’est pas uniquement d’enseigner à "s’enrichir" financièrement, mais d’apprendre à transformer le désir en réalité grâce à une méthode mentale rigoureuse, centrée sur la croyance, l’autosuggestion, et la persévérance. Le point de départ de toute réussite est le désir ...

 

Norman Vincent Peale, "The Power of Positive Thinking" (1952)

 Introduction du concept de pensée positive dans le grand public. - Norman Vincent Peale, pasteur méthodiste et communicateur hors pair, fut l’un des pionniers de la psychologie religieuse appliquée. The Power of Positive Thinking est son œuvre la plus célèbre, et l’une des plus influentes du XXe siècle. Elle mêle recettes spirituelles chrétiennes, conseils psychologiques simples, récits anecdotiques et affirmations mentales. Peale affirme qu’un esprit rempli de foi, de confiance et de pensée positive peut surmonter toutes les difficultés – qu’elles soient personnelles, professionnelles ou psychologiques.. -  Immense influence sur le mouvement de l’auto-assistance américain ; plus de 5 millions d’exemplaires vendus dans les années 50-60.

Accusé de simplisme, mais central dans la culture optimiste des années 50.

 

Abraham Maslow, "Motivation and Personality" (1954)

Introduction de la pyramide des besoins (hiérarchie des besoins humains). - D’abord académique, mais largement reprise dans les milieux de développement personnel dans les années 60 et 70. - Transformation des pratiques managériales et éducatives dans un sens plus "humaniste".

 

Maxwell Maltz, "Psycho-Cybernetics" (1960)

Concept de l’image de soi comme moteur du succès personnel. - Maxwell Maltz était chirurgien esthétique. Il constata que même après une transformation physique réussie, certains de ses patients conservaient une faible estime d’eux-mêmes. Il en conclut que la vraie clé du changement durable ne résidait pas dans le corps, mais dans la "self-image" — l’image que l’on a de soi-même, souvent inconsciente. Le terme "cybernétique" vient des sciences du contrôle automatisé (comme dans un thermostat). Maltz applique cette idée au cerveau humain : nous sommes des systèmes orientés vers un but, capables d’ajustements automatiques, à condition que notre image intérieure du succès soit claire, réaliste et positive.. - Révolutionnaire pour l’époque : Psychologie orientée vers l’action et la performance.

 

Eric Berne, "Games People Play" (1964)

Introduction de l’Analyse Transactionnelle dans le grand public. - Identification des "jeux psychologiques" inconscients dans les relations sociales. - Fort écho chez les jeunes adultes en quête d’introspection à la fin des années 60.

 

Thomas A. Harris, "I'm OK – You're OK" (1967)

Vulgarisation de l’Analyse Transactionnelle de Berne. - Présentation simple des états du moi (Parent, Adulte, Enfant) et dynamique relationnelle. - Un des plus grands succès de l’époque : plusieurs millions d’exemplaires. - Lu aussi bien en entreprise que dans les milieux éducatifs et familiaux.

 

Carlos Castaneda, "The Teachings of Don Juan: A Yaqui Way of Knowledge" (1968) 

Chamanisme, altération des états de conscience, et quête spirituelle. - Genre : Récit initiatique pseudo-ethnographique. -  Carlos Castaneda (né au Pérou, anthropologue à UCLA) publie ce livre comme thèse de maîtrise en anthropologie. Il y relate son initiation auprès d’un chamane yaqui nommé Don Juan, qui lui enseigne l’"art de la sorcellerie" via l’usage de plantes hallucinogènes (peyotl, datura, psilocybes) et des rites d’intention, de silence et de perception non ordinaire. But ultime : devenir un "homme de connaissance", c’est-à-dire un être éveillé, conscient des réalités multiples, libre de la peur et des illusions. Les quatre ennemis de la connaissance : la peur, la clarté (fausse lucidité qui mène à l’arrogance), le pouvoir (risque de corruption), la vieillesse (le dernier obstacle). Le monde ordinaire n’est qu’un accord collectif et les psychotropes sont des outils pour "voir" la vraie nature mouvante et énergétique de la réalité. Le pouvoir personnel (tonal et nagual), "tonal", la conscience rationnelle, organisée, le monde tel qu’il semble, "Nagual",  la conscience silencieuse, intuitive, irrationnelle - l’accès au mystère. Don Juan enseigne à dépasser le tonal pour devenir un guerrier de l’esprit dans le nagual. - Publié en pleine explosion psychédélique (1968), le livre devient culte et fonde une œuvre majeure du New Age chamanique — tout en déclenchant des controverses majeures sur son authenticité.

 

Ram Dass (Richard Alpert), "Be Here Now" (1971)

Introduction de la spiritualité hindoue (Bhakti yoga, méditation) au grand public occidental. - Livre illustré, poétique, typographiquement non conventionnel. - Richard Alpert, professeur de psychologie à Harvard et collaborateur de Timothy Leary, est l’une des figures majeures de la contre-culture psychédélique des années 1960. Après des expériences intenses avec le LSD, il part en Inde, rencontre le maître Neem Karoli Baba, et revient transformé, adoptant le nom de Ram Dass ("serviteur de Dieu"). "Be Here Now" est un livre-objet unique, à la fois récit initiatique, guide spirituel illustré et manifeste visuel. Il incarne parfaitement la fusion entre mysticisme oriental et révolution de conscience occidentale.

L’ego est une illusion : l’identité personnelle, sociale, professionnelle est une construction temporaire. La liberté véritable passe par la dissolution de ce faux soi. Le présent est la porte vers l’absolu. Être ici maintenant (Be Here Now), c’est sortir du mental conditionné, du temps psychologique, pour entrer dans la conscience pure, non-duelle. Toutes les traditions spirituelles authentiques convergent : hindouisme, bouddhisme, christianisme mystique, soufisme, kabbale, taoïsme, Ram Dass les traite comme des chemins vers la même vérité. La spiritualité n’est pas évasion, mais engagement total dans la compassion, la prière, la présence et le don de soi. Et si le LSD a été un révélateur, mais seule la discipline spirituelle intégrée mène à l’éveil stable.  - Succès culte immédiat (plus d’un million d’exemplaires vendus), texte fondateur du spiritualisme New Age, mais aussi des mouvements de pleine conscience. Lu par des générations de chercheurs spirituels, thérapeutes, artistes, yogis.

 

Robert M. Pirsig, "Zen and the Art of Motorcycle Maintenance" (1974)

Fusion de la philosophie orientale, de la pensée socratique et de la culture mécanique. - Genre : Roman philosophique et autobiographique. - Rejeté par plus de 120 éditeurs avant sa publication, Zen and the Art of Motorcycle Maintenance est devenu un culte intellectuel des années 1970. Le livre raconte un voyage à moto à travers l’Ouest américain entrepris par un père (le narrateur) et son fils Chris, mais ce périple sert de toile de fond à une quête intérieure sur les valeurs, la raison, et la folie. Le sous-titre, "An Inquiry into Values", en dit long : ce n’est pas un manuel zen ni de mécanique, mais une méditation existentielle sur le sens et la qualité de l’expérience humaine.  Pirsig propose que la Qualité (Quality) est la source première de toute expérience — antérieure à la distinction entre sujet et objet. Elle ne peut être définie, mais tout le monde la reconnaît intuitivement. Le soin apporté à une moto devient une métaphore de la pleine conscience : réparer, ajuster, comprendre un système, c’est une manière d’entrer en relation avec le monde dans l’instant présent, avec respect et rigueur. Cela devient une pratique quasi spirituelle — un zen occidental du quotidien.  - Public touché : Intellectuels de la contre-culture, étudiants et ingénieurs en crise existentielle. - Best-seller mondial. Classé souvent comme l'un des livres les plus influents des années 1970.

 

Werner Erhard, "est: Erhard Seminars Training" (années 1970)

Fondé en 1971 à San Francisco, "est" (Erhard Seminars Training) est l’une des formations les plus emblématiques et controversées du mouvement de développement personnel américain des années 1970. Inspiré par la psychologie humaniste, le zen, la Gestalt-thérapie, la phénoménologie, et le langage transformationnel, est s’inscrit dans la contre-culture post-68, mais avec une rigueur radicale. Le programme n’est pas un livre mais une expérience immersive et encadrée, généralement sur deux week-ends intensifs (60 heures environ), rassemblant des centaines de participants. Il a influencé de nombreux programmes postérieurs : Landmark Forum, coaching transformationnel, PNL, Tony Robbins, etc.

Ce que vous considérez comme "réel" ou "vrai" est construit par votre langage, vos croyances, vos récits intérieurs. Changer votre perception du monde implique de changer votre interprétation des faits. Il n’y a pas de place pour le blâme ou la victimisation dans la philosophie est. Tout ce que vous ressentez, vivez ou croyez est votre création.

Le séminaire rejette les thérapies analytiques ou narratives longues. Il s’agit de "briser" les constructions mentales à travers des confrontations, des silences, des exercices de groupe, et des monologues du formateur. On parle souvent de "pop" chez les participants : un choc intérieur qui fait voler en éclats le récit habituel de soi. Ce moment de clarté radicale serait libérateur, immédiat, irréversible, comparable à une illumination. Les gens restent enfermés dans des conflits et des schémas souffrants parce qu’ils tiennent à leur ego, à leur image, à leurs justifications. "est" enseigne à choisir la responsabilité et l’engagement, plutôt que d'avoir "raison".

 

Fritjof Capra, "The Tao of Physics: An Exploration of the Parallels Between Modern Physics and Eastern Mysticism" (1975)

Dialogue entre physique quantique et spiritualité orientale. - Physicien théorique autrichien, Fritjof Capra fut formé aux sciences dures mais influencé par les courants contre-culturels et spirituels des années 60-70. Avec The Tao of Physics, il devient une figure centrale de la pensée holistique et systémique, en proposant une synthèse audacieuse entre sciences exactes et spiritualités orientales. L’idée centrale : les découvertes les plus avancées de la physique moderne révèlent une réalité paradoxale, interconnectée et non dualiste, très proche de ce que les mystiques d’Orient ont toujours pressenti. 

La réalité n’est pas faite de particules solides mais de processus dynamiques. En physique quantique, la matière est énergie, vibration, interaction. Les "objets" ne sont que des nœuds de relations au sein de champs de forces. C’est une vision très proche du bouddhisme, qui nie l’existence d’un "soi" ou d’une entité fixe. 

L’observateur n’est jamais séparé du phénomène observé. Les expériences en mécanique quantique (principe d’incertitude, dualité onde-particule) montrent que la conscience de l’observateur influence le système. Idée en résonance avec les traditions taoïstes et védiques, où le sujet et l’objet sont inséparables.

Capra ne prétend pas que les anciens sages "connaissaient la physique", mais que leur perception intérieure de la réalité rejoint les intuitions fondamentales des physiciens modernes. - Résonance énorme chez les étudiants baby-boomers, scientifiques alternatifs, chercheurs de sens. - Représente l’union entre science, mysticisme et écologie.

 

Wayne Dyer, "Your Erroneous Zones" (1976)

Déconstruction des schémas mentaux négatifs à l’aide de la psychologie humaniste. - Public visé : Premiers baby-boomers arrivant à l’âge adulte. - Psychologue de formation, Wayne Dyer propose ici un livre radicalement anti-déterministe et orienté vers la liberté individuelle. À une époque où la psychanalyse dominait encore, il affirme que la plupart des souffrances psychologiques sont entretenues par des pensées irrationnelles, conditionnées, et modifiables. Avec Your Erroneous Zones, il rend la psychologie comportementale et existentielle accessible à un large public. Le ton est direct, provocateur, et responsabilisant. Vous êtes responsable de ce que vous ressentez : Dyer rejette l’idée que le passé, les parents, la société ou les circonstances dictent nos émotions : nous choisissons nos réactions mentales, souvent inconsciemment. Les "zones erronées" sont des pièges mentaux, des attitudes, croyances ou habitudes mentales qui empêchent de vivre dans le présent, nourrissent la culpabilité ou l'inquiétude, favorisent la dépendance affective, entravent la spontanéité et la joie. L’objectif est de les identifier et de les déconstruire - L’un des livres les plus vendus des années 70 dans la catégorie. - Précurseur de la vague "New Age" et psychologie positive des années 80.

 

M. Scott Peck, "The Road Less Traveled: A New Psychology of Love, Traditional Values and Spiritual Growth" (1978)

Psychologie spirituelle combinant discipline, amour, et croissance personnelle. - Psychiatre américain, M. Scott Peck mêle dans ce livre psychologie clinique, introspection spirituelle et réflexion morale. Publié dans une Amérique en quête de sens après les remous des années 60-70, The Road Less Traveled devint un best-seller durable, lu par des millions de lecteurs. L’idée centrale : la croissance personnelle et spirituelle est difficile — mais nécessaire. “Life is difficult.” — Cette première phrase célèbre donne le ton. Peck soutient que la souffrance est inévitable, mais qu’elle peut devenir source de transformation si elle est affrontée avec discipline. Le chemin vers la maturité psychologique est une voie exigeante, qui suppose discipline, amour réel, responsabilité et confrontation avec la douleur existentielle. - Reste 13 ans sur la liste du New York Times. Influence majeure sur les générations de thérapeutes et lecteurs post-baby-boomers.

 

Shakti Gawain, "Creative Visualization: Use the Power of Your Imagination to Create What You Want in Your Life" (1978)

Introduction pratique de la visualisation guidée dans la culture mainstream. - Shakti Gawain (1948–2018), figure majeure du mouvement New Age, propose avec Creative Visualization une méthode simple et accessible pour appliquer la "loi de l’attraction" avant même que ce terme devienne populaire avec "The Secret". La visualisation créatrice consiste à imaginer clairement un objectif ou un état de vie désiré comme s’il existait déjà, avec émotion et précision. Gawain part du principe que l’univers est énergie, et que la pensée focalisée agit comme un aimant ou un guide pour cette énergie. Penser intensément à une chose, c’est commencer à l’attirer ou à l’actualiser.

Le livre, largement autodidacte dans sa démarche, repose sur l’idée que la pensée et l’imagination sont des forces créatrices réelles, capables d’influencer la matière, la santé, et les événements. - Lecture phare dans les cercles spirituels et féminins.

 

Marilyn Ferguson, "The Aquarian Conspiracy: Personal and Social Transformation in the 1980s" (1980)

Manifesto du mouvement New Age. - Marilyn Ferguson était journaliste et essayiste américaine, issue des milieux scientifiques et psychospirituels. The Aquarian Conspiracy est son ouvrage majeur, devenu culte dans les années 1980. Elle y décrit une transformation souterraine mais massive de la conscience collective, qu’elle appelle "conspiration" — non au sens politique, mais au sens étymologique : con-spirare, "respirer ensemble". Ferguson décrit la fin d’une vision mécaniste, linéaire, rationaliste du monde, au profit d’une approche holistique, non linéaire, systémique, inspirée de la physique quantique, de la cybernétique, et des neurosciences. Ferguson s’appuie sur les neurosciences émergentes (à l’époque) pour montrer que le cerveau humain n’est pas figé, mais peut se "reconfigurer" par l’expérience, l’apprentissage et l’introspection. Elle popularise notamment les travaux de Roger Sperry sur les deux hémisphères cérébraux : logique vs intuition. - Ce livre est souvent considéré comme le manifeste du mouvement New Age, bien que Ferguson ne se réclame pas de ce label. - Largement lu dans les milieux alternatifs, progressistes, éducatifs. - Popularisation du concept de conscience planétaire et 'interconnexion.


2. Le développement personnel (DP) de l’époque des baby-boomers (1946–1964) est profondément lié à l’émergence et à la diffusion de nouvelles formes de thérapies, mais ces pratiques se diffusent par vagues successives, avec des racines posées dans les années 1950-60 et une explosion dans les années 1970.

 

Dans sa forme la plus ultime, il s'agit de s’émanciper du moi conditionné et accéder à une conscience élargie, ce qui veut tout dire et ne rien dire, mais le sait-on à l'époque? ...

-  La Psychologie humaniste, avec Abraham Maslow, Carl Rogers, Rollo May. C’est le début d’un virage non-pathologique en psychologie : soigner l'âme, pas seulement traiter les troubles.

- La Gestalt-thérapie (Fritz Perls, années 1950) - Approche holistique qui insiste sur la conscience du moment présent et l’expérience corporelle. - Très influente dans les milieux de développement personnel à Esalen (Californie). - Utilisation du jeu de rôle, du corps, de la prise de conscience émotionnelle directe.

- L'Analyse Transactionnelle (Eric Berne, fin 1950, puis grand public en 1964)

Thérapie brève et structurée : Parent / Adulte / Enfant. - Rapide à enseigner, facilement popularisable, et donc adoptée dans des séminaires d’entreprises.

- mais on peut citer de très nombreuses figures de l'époque, particulièrement créatives, Milton Erickson (Hypnose non directive, permissive, fondée sur le langage métaphorique), Virginia Satir (la famille comme système de communication émotionnelle), Alexander Lowen (Bioénergie, lien entre tensions corporelles et émotions refoulées), R.D. Laing (antipsychiatrie, approche existentielle de la folie), Stanislav Grof (psychologie transpersonnelle, respiration holotropique, exploration de la conscience élargie), Carl Whitaker (thérapie familiale symbolique, usage de l’humour, du paradoxe, du non-verbal), 

Jay Haley (thérapie stratégique, inspirée d’Erickson) ...

 

... et jusqu'aux Ateliers de cri primal (Primal Therapy) développés par Arthur Janov, qui ont connu leur apogée au début des années 1970, avec une influence majeure entre 1970 et 1975. La publication du livre fondateur "The Primal Scream" (Le Cri primal, "The Primal Scream: Primal Therapy, The Cure for Neurosis"), devenu un best-seller mondial date de 1970, et c'est la participation de John Lennon et de Yoko Ono aux fameuses séances de thérapie chez Janov (à Los Angeles),  qui propulseront la méthode sous les projecteurs (son album "John Lennon/Plastic Ono Band" (1970) est un journal sonore de sa thérapie chez Janov, et des chansons comme "Mother" (hurlement final) ou "My Mummy's Dead" en sont des traces directes). 

En 1971, ouverture du Primal Institute à Los Angeles : la thérapie devient un phénomène culturel : médias, parodies dans la pop culture (films, comics). Des salles dépouillées, matelas à même le sol, ambiance "laboratoire existentiel", des participants allongés en cercle, visages crispés, corps en tension pendant les séances de cri (archives photo de Jerry Stoll, 1971) ...

La "Douleur Primale" (Primal Pain) ..

Selon Janov, les traumatismes de l'enfance (carence affective, abus, négligence) génèrent une souffrance refoulée qui s'incarne physiquement dans le corps. Cette douleur devient le noyau des névroses adultes (dépression, anxiété, addictions).

Le Refoulement comme maladie : L'enfant se "coupant" de sa souffrance pour survivre crée une scission corps/esprit. Adulte, il reste prisonnier de besoins infantiles non résolus ("le Vrai Soi" étouffé par le "Faux Soi").

La Catharsis par le cri : accéder à la "Douleur Primale" nécessite une régression contrôlée (pleurs, cris, convulsions) pour revivre le traumatisme originel. Le cri libérateur brise l'armure neurotique : "Ce n'est pas une métaphore, mais un son physiologique spécifique" (Janov).

1973-1975, apogée médiatique, mais aussi premières critiques scientifiques. Janov publie "The Primal Revolution" (1973), approfondissant sa théorie. Le déclin s'amorce fin des années 1970 face à la concurrence d'autres thérapies (Gestalt, bioénergie) et aux accusations de charlatanisme.

 

Les années 1970 sont, pour le DP, des années d'expérimentation, voire de transgression, un véritable laboratoire sauvage aux limites, parfois, du charlatanisme et du bricolage thérapeutique. ...

 

L'atmosphère est post-contre-culturelle (héritage de 1968) - rejet des institutions psychiatriques classiques, quête de libération individuelle, explosion des pratiques alternatives (corps, conscience, énergie, communauté), avec un vaste mélange des influences (psychothérapie occidentale, traditions orientales, chamanisme, physique quantique, psychédélisme) ...

 

Parmi les pratiques emblématiques, on peut citer,

 

 1. - Le Centre Esalen, fondé en 1962 à Big Sur, en Californie, l’un des lieux les plus emblématiques et influents du développement personnel moderne, de la contre-culture et des thérapies alternatives. Il a été à la fois laboratoire expérimental, sanctuaire spirituel, et incubateur de nouvelles psychothérapies, marquant profondément les années 1970. On y croisera Aldous Huxley, Alan Watts, Gregory Bateson...

"The upstart spring : Esalen and the American awakening", Addison-wesley Educational Publishers Inc, 1966, 1966, by Walter Truett Anderson.

C'est dans un lieu conçu comme un lieu d’immersion totale, dans un environnement à la fois sauvage, esthétique et spirituel (surplombant l’océan Pacifique et construit sur un ancien site sacré amérindien), que Michael Murphy et Dick Price (anciens étudiants de Stanford), inspirés par les spiritualités orientales (zen, yoga, vedanta), la psychologie humaniste naissante, et les écrits d’Aldous Huxley, Carl Jung, Abraham Maslow, entendent explorer le potentiel humain au-delà des normes psychiatriques classiques, dans un cadre expérientiel et communautaire. On y pratiquera Gestalt-thérapie (Fritz Perls), Bioénergie (Alexander Lowen), Rebirth (Leonard Orr), Massage Esalen (créé sur place), Rolfing, Feldenkrais, Tai chi, yoga, Hypnothérapie (Erickson, indirectement), Respiration holotropique (Stanislav Grof), Psychédéliques (expérimentations dans les années 60), Méditation, chant, danse sacrée. Moins radical, plus orienté vers le bien-être, la retraite holistique, la pleine conscience, le leadership conscient, le centre est resté une référence mondiale du développement personnel "profond".

Jeffrey J. Kripal & Glenn W. Shuck, "Esalen: America and the Religion of No Religion" (University of Chicago Press, 2007), est la référence académique majeure sur l’histoire d’Esalen, et sans doute l’ouvrage le plus rigoureux et complet jamais écrit à son sujet. George Leonard avait auparavant formulé dans "The Transformation: A Guide to the Inevitable Changes in Mankind" (1972) son expérience vécue de praticien d’Esalen, écrivain et co-animateur de groupes. Le cofondateur d’Esalen publiera par la suite "The Future of the Body: Explorations into the Further Evolution of Human Nature" (1992), un ouvrage-fleuve sur les capacités humaines ...

 

2. Les Mouvements New Age : guérison énergétique et conscience ..

Soins par chakras, reiki, cristal thérapie. Pas toujours considérées comme "thérapies" au sens médical, mais comme des pratiques d’harmonisation personnelle. S’inscrivent dans une recherche de holisme (unité corps-esprit-univers).

 

Paramahansa Yogananda et son chef-d'œuvre "Autobiographie d'un Yogi" (1946) sont des piliers fondamentaux du mouvement New Age, surtout dans sa phase de popularisation occidentale.

Son influence souterraine dans les années 1970 est incontestable (plus de 4 millions d'exemplaires vendus). Le Fondateur de la Self-Realization Fellowship (Los Angeles, 1920, premier réseau de diffusion du yoga et de la méditation kriya en Occident) fut cité par George Harrison (The Beatles) comme sa "bible spirituelle" et Steve Jobs fit distribuer l'ouvrage lors de ses funérailles (500 exemplaires). L'édition 1951 (avec préface du biologiste Luther Burbank) fut la bible des expériences LSD de Timothy Leary, reliant mysticisme oriental et psychédélisme...

 

Le mouvement New Age, né dans les années 1960-1970, est un courant spirituel éclectique qui puise dans des traditions multiples (ésotérisme occidental, spiritualités orientales, chamanisme, psychologie transpersonnelle).

Il débute autour d'Helena Blavatsky (1831-1891), fondatrice de la Société Théosophique (1875), précurseure directe du New Age, Alice Bailey (1880-1949), qui popularise le terme "Ère du Verseau" (âge spirituel succédant à l'ère des Poissons), Carl Gustav Jung (1875-1961) et ses concepts clés d'inconscient collectif et d'archétypes. Vint ensuite les grands popularisateurs des années 60-70 (Castaneda, qui a popularisé le chamanisme mexicain, "L'Herbe du diable et la petite fumée", 1972) et les gourous du développement personnel (comme Tolle ou Dyer) qui ont recyclé des concepts spirituels en produits de masse ...

 

Wouter Hanegraaff, "New Age Religion and Western Culture" (1996) a écrit la première étude académique exhaustive, systématique et non polémique du phénomène New Age, le sortant du mépris ou du sensationnalisme ...

- en enracinant le New Age dans l'histoire longue de l'ésotérisme occidental, il a permis de comprendre sa généalogie et sa structure conceptuelle, au-delà de ses manifestations superficielles ou commerciales.

- et en adoptant une position résolument descriptive et compréhensive, il a cherché à comprendre le phénomène "de l'intérieur" selon sa propre logique, sans jugement normatif sur sa vérité ou sa valeur.

- et son concept de "sécularisation de l'ésotérisme", lui permet de décrire un processus historique et culturel par lequel les traditions ésotériques occidentales (hermétisme, alchimie, kabbale chrétienne, théosophie, etc.) sont transformées et adaptées aux valeurs de la société moderne sécularisée. Le New Age démystifie l'occulte (De-occulturation), retire les aspects les plus "effrayants" ou "irrationnels" (démons, magie noire, dangers spirituels), rationalise et psychologise les pratiques (la magie devient "loi d'attraction" (pensée positive), la possession devient "travail sur les subpersonnalités"), et naturalise le surnaturel : les esprits deviennent des "guides intérieurs" ou des "archétypes de l'inconscient collectif".  L'alchimie ou la kabbale perdent leur cadre religieux pour devenir des outils de développement personnel...

 

Wade Clark Roof, dans son livre "Spiritual Marketplace: Baby Boomers and the Remaking of American Religion" (1999), analyse comment la spiritualité contemporaine (dont le New Age) fonctionne comme un marché où les individus "consomment" des croyances.  La quête spirituelle devient un choix individualisé, où l'on picore des pratiques (yoga, méditation, chamanisme, etc.) selon ses besoins, comme dans un supermarché.

 Jeremy Carrette & Richard King, dans "Selling Spirituality: The Silent Takeover of Religion" (2005), dénonceront la récupération capitaliste des traditions spirituelles. Le New Age et la "spiritualité bien-être" sont devenus des produits marketing vidés de leur substance critique, au service du consumérisme et de la performance individuelle.

 

Steve Bruce, sociologue des religions, décrira le New Age comme une "religion à la carte" dans "God is Dead: Secularization in the West" (2002). L'éclectisme spirituel reflète l'individualisme moderne : chacun construit son propre "panier" de croyances sans engagement envers une tradition.


Les Années 1980 seront marquées, en réaction, par une certaine volonté de normalisation, de codification et de professionnalisation du DP. Celui-ci entre dans les entreprises, les ressources humaines, les séminaires de leadership (Corporate-friendly) : ce qu'il perd en radicalité; il semble le gagner en légitimité sociale ...

 

C'est le retour de valeurs plus pragmatiques et libérales, l'individualisme de marché, le souci de l'efficacité, performance. L’idéal n’est plus la libération psychospirituelle, mais la réussite fonctionnelle et adaptative (au travail, en couple, en société).

Une évolution qui voit s'imposer de nouvelles figures : coach, consultant en développement, formateur en communication.

A la fin des années 1980 le développement personnel s'est imposé dans le monde managérial, éducatif, et professionnalisé : il est devenu mesurable, structuré et commercialisable ...

 

Trois piliers du développement personnel « normalisé semblent se constituer ...

 

- Il semble possible de reprogrammer son cerveau pour réussir ...

La PNL (Programmation Neuro-Linguistique) naît en 1975 dans un contexte expérimental (Richard Bandler, John Grindel), mais s’impose dans les années 1980 en raison de plusieurs facteurs historiques, culturels et économiques qui en ont fait l’outil idéal pour l’individualisme managérial et le développement personnel de performance. 

Programmation (Modifier les schémas mentaux ou émotionnels devenus inefficaces) / Neuro (Agir sur les processus cognitifs, sensoriels et neurologiques de la perception) . 

Linguistique (Utiliser le langage (verbal et non-verbal) pour transformer la perception et l’action) : la PNL ne cherche pas à expliquer pourquoi une souffrance existe, mais comment en sortir rapidement. Ce qui est idéal pour une culture de la performance immédiate, sans introspection prolongée.

 

- Il est temps d'identifier ce qui va bien, plutôt que ce qui dysfonctionne, et à le développer activement chez l’individu, l’enfant, le travailleur ou la communauté...

Contrairement à la PNL, la psychologie positive ne naît pas dans les années 1980, mais s’appuie sur des fondations posées à cette époque (Mihaly Csikszentmihalyi), avant d’émerger comme champ académique structuré à la fin des années 1990. Toutefois, les années 1980 sont cruciales pour sa préparation, légitimation et diffusion progressive.  C'est en 1998, que Martin Seligman, psychologue et président de l’APA (American Psychological Association), lancera officiellement le mouvement ...

 

- Enfin, le "coaching" : une pratique d’accompagnement non thérapeutique, visant à faire émerger le potentiel d’un individu pour atteindre des objectifs personnels ou professionnels, à travers l’écoute, le questionnement et la responsabilisation.

Il ne s'agit ni de former, ni de conseiller, ni de soigner, mais d’aider à clarifier les choix, activer les ressources internes et définir des plans d’action concrets. Les années 1980 font apparaître en effet de nouveaux styles de management dans les entreprises post-industrielles : en réésonance avec l’individualisme néolibéral, le coach devient le guide discret de l’autonomie individuelle, sans idéologie politique ou thérapeutique. Les décennies suivantes verront le métier se structurer ...