Robert Musil (1880-1942), "Der Mann ohne Eigenschaften" (1920-1930) - Leo Perutz (1882-1957)  - Gustav Wunderwald (1882-1945) - "Menschen am Sonntag" (1929) - ...

 

Last update: 12/31/2016

 

Robert Musil, Leo Perutz, Heimito von Doderer, chacun d'entre eux, à sa façon, jette un regard inquiet sur le monde qui se déconstruit autour d'eux, un monde dans lequel s'éprouvent tout à la fois la valeur de la raison et les mouvements obscurs de l'âme : ils vécurent en Allemagne la Première Guerre mondiale et les préparations inéluctables de la Seconde. Tout semble encore possible, l'écriture est là pour le démontrer, mais ce n'est plus du roman, plutôt les traces sans cesse reprises d'une expérience du monde, sans une Savoir qui puisse véritablement s'imposer. Le fil conducteur semble être cette confiance dans la possibilité malgré tout d'appliquer des méthodes quantifiables à cet irrationnel qui traverse de toute part nos existences...


Robert Musil (1880-1942)
Dans un Empire austro-hongrois au crépuscule de son histoire, et dans lequel s'agite une foule de personnages livrés à l'effondrement de toute une société, "L'Homme sans qualité" de Robert Musil, mais aussi une nymphomane, un aristocrate et le meurtrier d'une prostituée, tentent, non pas de "se construire", - l'époque n'est plus à la construction de soi -, mais de "se définir" dans une tempête d'idées qui les agite en tout sens. L'intrigue n'est pas tant le sujet principal que ne peut l'être le gouffre qui sépare la psychologie des individus, leurs aspirations profondes, de ceux qui incarnent les institutions, les savoirs, l'autorité morale et politique. On l'a dit, c'est à une véritable "vivisection de l'esprit" que tente de s'adonner Musil, mais la tâche, immense, restera inachevée...

 

Né à Klagenfurt (Carenthie, Autriche), Robert Musil entreprend des études d'ingénieur puis soutient une thèse de psychologie consacrée à Ernst Mach en 1906, à Berlin. Il gardera de cette formation le goût de la précision. Il est hanté dès sa jeunesse par l'oeuvre absolue. Vers 1903, il note dans ses carnets : « L'un des problèmes de sa vie : son rapport à un éventuel art absolu. »
À cette époque, il achève donc un premier roman, "Les désarrois de l'élève Torless". Il est ingénieur à Stuttgart, et son métier l'ennuie. Il s'est mis à écrire ses souvenirs de l'école militaire qu'il a fréquentée adolescent, et de la brutalité qui y régnait. Le roman a un certain retentissement, à sa parution en 1906. "Grâce à la manière "amorale" dont on prétendit que je l'avais traité, le livre fit du bruit, et l'on me sacra "narrateur". Sans doute, quand on prétend avoir le droit de ne pas narrer, doit‑on pouvoir le faire, et je crois en être assez capable ; mais ce que je narre a toujours passé pour moi au second plan. Alors déjà, pour moi, l'essentiel était ailleurs." Cet ailleurs, cet absolu, c'est "L’Homme sans qualités", œuvre inachevée de 1700 pages auquel l’écrivain autrichien a travaillé pendant plus de trente ans, qui est restée presque inconnue, presque sans influence du vivant de l'auteur et qui ne fut re-découvert que dans les années 1950. L'arrivée des Nazis au pouvoir le fait quitter Berlin pour Vienne et, après l'Anschluss, Vienne pour Zürich. Ses revenus déclinent suite à l'interdiction de ses oeuvres par les nazis. Robert Musil meurt à Genève, sans avoir terminé son roman.


Ses oeuvres essentielles : "Die Verwirrungen des Zöglings Törleß" (1906, Les Désarrois de l'élève Törless), "Vereinigungen. Zwei Erzählungen" (1911, Noces),  "Die Schwärmer. Schauspiel in drei Aufzügen" (1921, Les Exaltés),  "Drei Frauen" (1924, Trois femmes), "Vinzenz und die Freundin bedeutender Männer. Possen in drei AktenVinzenz und die Freundin bedeutender Männer. Possen in drei Akten" (1926, Vincent et l'amie des personnalités), "Der Mann ohne Eigenschaften" (fragments posthumes).

 

L'Homme sans qualités" (1930-1943, Der Mann ohne Eigenschaften)

"Über dem Atlantik befand sich ein barometrisches Minimum; es wanderte ostwärts, einem über Rußland lagernden Maximum zu, und verriet noch nicht die Neigung, diesem nördlich auszuweichen. Die Isothermen und Isotheren taten ihre Schuldigkeit. Die Lufttemperatur stand in einem ordnungsgemäßen Verhältnis zur mittleren Jahrestemperatur, zur Temperatur des kältesten wie des wärmsten Monats und zur aperiodischen monatlichen Temperaturschwankung. Der Auf- und Untergang der Sonne, des Mondes, der Lichtwechsel des Mondes, der Venus, des Saturnringes und viele andere bedeutsame Erscheinungen entsprachen ihrer Voraussage in den astronomischen Jahrbüchern..."

Musil travaille à cette Somme de 1920 à la fin de sa vie, trois volumes de plus de mille pages (Une manière d'introduction et Toujours la même histoire, 1930 ; Vers le règne millénaire, ou les criminels, 1932 ; Fragments posthumes, 1943) tentent de saisir un monde en mutation, dont l'ébranlement intellectuel, politique et idéologique s'opère dans toutes les couches de la société à la veille de la Première Guerre mondiale.
"Dans un roman qui balance entre l'utopie et l'ironie, Musil invente Ulrich, un « homme sans qualités », c'est-à-dire débarrassé des scories de son milieu, de son éducation, de sa profession. Cette absence de qualités fait de lui un personnage réceptif à toutes les expérimentations morales et intellectuelles. Ulrich est conscient que la vision scientifique du monde pourrait engendrer de fabuleux bouleversements moraux, si seulement les hommes étaient aussi rigoureux et précis dans la réflexion sur eux-mêmes et sur les vrais problèmes humains qu'ils ne le sont dans l'application technique de leurs découvertes. Ulrich devient le secrétaire de l'Action parallèle, institution absurde chargée de célébrer les soixante-dix ans de règne de l'empereur. À la fois détaché et passionné, Ulrich met à nu tous les dysfonctionnements d'une société décadente, qui avance vers la destruction et l'apocalypse (le roman, dit-on, devait se terminer par l'entrée dans la Première Guerre mondiale).

Autour d'Ulrich gravite une nébuleuse de personnages qui sont autant de symptômes de l'époque : les couples infernaux Arnheim & Diotima (le grand écrivain et la belle-âme), Walter & Clarisse (réplique parodique du couple Wagner/Nietzsche), ou encore Bonadea la nymphomane & Moosbrugger le fou et assassin de prostituées, ou Hans-Sepp le jeune nationaliste allemand..."

"On signalait une dépression au-dessus de l'Atlantique; elle se déplaçait d'ouest en est en direction d'un anticyclone situé au-dessus de la Russie, et ne manifestait encore aucune tendance à l'éviter par le nord. Les isothermes et les isothères remplissaient leurs obligations. Le rapport de la température de l'air et de la température annuelle moyenne, celle du mois le plus froid et du mois le plus chaud, et ses variations mensuelles apériodiques, était normal. Le lever, le coucher du soleil et de la lune, les phases de la lune, de Vénus et de l'anneau de Saturne, ainsi que nombre d'autres phénomènes importants, étaient conformes aux prédictions qu'en avaient faites les annuaires astronomiques. La tension de vapeur dans l'air avait atteint son maximum, et l'humidité relative était faible. Autrement dit, si l'on ne craint pas de recourir à une formule démodée, mais parfaitement judicieuse : c'était une belle journée d'août 1913.

Du fond des étroites rues, les autos filaient dans la clarté des places sans profondeur. La masse sombre des piétons se divisait en cordons nébuleux. Aux points où les droites plus puissantes de la vitesse croisaient leur hâte flottante, ils s'épaississaient, puis s'écoulaient plus vite et retrouvaient, après quelques hésitations, leur pouls normal. L'enchevêtrement d'innombrables sons créait un grand vacarme barbelé aux arêtes tantôt tranchantes, tantôt émoussées, confuse masse d'où saillait une pointe ici ou là et d'où se détachaient comme des éclats, puis se perdaient, des notes plus claires. A ce seul bruit, sans qu'on en pût définir pourtant la singularité, un voyageur eût reconnu les yeux fermés qu'il se trouvait à Vienne, capitale et résidence de l'Empire.

On reconnaît les villes à leur démarche, comme les humains. Ce même voyageur, en rouvrant les yeux, eût été confirmé dans son impression par la nature du mouvement des rues, bien avant d'en être assuré par quelque détail caractéristique. Et s'imaginerait-il seulement qu'il le pût, quelle importance? C'est depuis le temps des nomades, où il fallait garder en mémoire les lieux de pâture, que l'on surestime ainsi la question de l'endroit où l'on est. Il serait important de démêler pourquoi, quand on parle d'un nez rouge, on se contente de l'affirmation fort imprécise qu'il est rouge, alors qu'il serait possible de le préciser au millième de millimètre près par le moyen des longueurs d'onde; et pourquoi, au contraire, à propos de cette entité autrement complexe qu'est la ville où l'on séjourne, on veut toujours savoir exactement de quelle ville particulière il s'agit. Ainsi est-on distrait de questions plus importantes.

Il ne faut donc donner au nom de la ville aucune signification spéciale. Comme toutes les grandes villes, elle était faite d'irrégularité et de changement, de choses et d'affaires glissant l'une devant l'autre, refusant de marcher au pas, s'entrechoquant; intervalles de silence, voies de passage et ample pulsation rythmique, éternelle dissonance, éternel déséquilibre des rythmes; en gros, une sorte de liquide en ébullition dans quelque récipient fait de la substance durable des maisons, des lois, des prescriptions et des traditions historiques.

Bien entendu, les deux personnes qui remontaient une des artères les plus animées de cette ville n'avaient à aucun degré ce sentiment. Elles appartenaient visiblement à une classe privilégiée, leurs vêtements, leur tenue et leur manière de parler étaient distingués; de même qu'elles portaient leurs initiales brodées sur leur linge, elles savaient, non point extérieurement, mais dans les plus fins dessous de leur conscience, qui elles étaient, et que leur place était bien dans une capitale d'Empire..."

 

"Les Désarrois de l'élève Törless" (1906, Die Verwirrungen des Zöglings Törleß)
"Eine kleine Station an der Strecke, welche nach Rußland führt. Endlos  gerade  liefen  vier  parallele  Eisenstränge  nach beiden Seiten zwischen dem gelben Kies des breiten Fahrdammes ; neben jedem wie ein schmutziger Schatten der dunkle,  von  dem  Abdampfe  in  den  Boden  gebrannte Strich..."
D'un mot, Musil, mêlant éléments autobiographiques et digressions philosophiques et sociales, raconte ici la découverte de la sensualité par un adolescent, au sein d'un internat militaire. À la fin du XIXe siècle, Törless, âgé d'environ quatorze ans, entre dans un internat autrichien austère et huppé, aux confins orientaux de l'empire austro-hongrois. Le roman s'ouvre sur les adieux douloureux du jeune adolescent à ses parents sur le quai de la gare. S'ajoute à la scène le contexte de la misère des habitants de la ville où se situe l'internat. Loin des siens, le jeune élève va vivre ses premiers troubles adolescents, intellectuels et charnels, la prostituée Bozena est au centre des initiations de la communauté adolescente. Il y fait l'expérience du désir, de l'amour, mais aussi de la cruauté. La sensualité ambiguë de son camarade Basini plonge Törless dans la région obscure de l'âme où naissent à la fois le désir et la cruauté. Et plus encore, Törless prend conscience que derrière la respectabilité de ce monde bourgeois, se cache un univers de luxure sans frein.

"Wenn du in meiner Situation wärest, würdest du geradeso handeln«, hatte Basini gesagt. Da war das Geschehene als eine einfache Notwendigkeit, ruhig und ohne Verzerrung.
Törleß' Selbstbewußtsein lehnte sich in heller Verachtung selbst gegen die bloße Zumutung auf. Und doch schien ihm diese Auflehnung seines ganzen Wesens keine befriedigende Gewähr zu bieten. »... ja, ich würde mehr Charakter haben als er, ich würde solche Zumutungen nicht ertragen, – aber ist dies auch von Belang? Ist es von Belang, daß ich aus Festigkeit, aus Anständigkeit, aus lauter Gründen, die mir jetzt ganz nebensächlich sind, anders handeln würde? Nein, nicht daran liegt's, wie ich handeln würde, sondern daran, daß ich, wenn ich einmal wirklich so handelte wie Basini, ebensowenig Außergewöhnliches dabei empfinden würde wie er..."

 

"Si tu étais dans ma situation, tu agirais comme moi", avait dit Basini. En ce cas, tout ce qui s'était passé se réduisait à une nécessité banale, paisible, sans grimaces.
La conscience de Törless s'indignait, se révoltait à cette seule supposition. Mais ce refus de tout son être ne semblait pas lui donner de garanties apaisantes. "Oui, j'aurais plus de caractère que lui, je ne supporterais pas de pareilles exigences.. Mais est-ce là ce qui importe? Importe-t-il vraiment de savoir que par fermeté, par décence -toutes raisons que je juge maintenant secondaires - j'agirais autrement? Non, ce qui compte, ce n'est pas de savoir comment j'agirais, mais bien qu'agissant un jour comme lui, j'aurais aussi peu que lui le sentiment de l'extraordinaire.."


"Trois Femmes" (1924, Drei Frauen)
Les nouvelles de "Noces" (Vereinigungen. Zwei Erzählungen, 1911) et des "Trois femmes" (Drei Frauen, 1924) ont en commun d'entreprendre une véritable analyse clinique de l'univers du sentiment et de la sexualité féminine . Chacune des nouvelles des "Tois Femmes" portant le nom d'une héroïne, énigmatique pour l'homme qui l'aime. « Grigia » (Grigia. Novelle, 1923) est une paysanne qui trompe son mari avec un ingénieur des mines. « La Portugaise » (Die Portugiesin, 1923), délaissée dans un château tyrolien par son belliqueux seigneur, lui révèle la jalousie. « Tonka », l'humble vendeuse de magasin, laisse son amant raisonneur entre le doute et la confiance.


"Berlin: Die Sinfonie der Großstadt"

Film allemand muet réalisé par Walther Ruttmann en 1927, "Berlin, symphonie d'une grande ville" témoigne, dans cette Allemagne de l'entre-deux-guerres traversée par les troubles politiques, l'inflation, mais aussi une densité de la vie urbaine inégalée jusqu'alors : la ville est désormais cette immense "machine" qui va rythmer l'existence des hommes et des femmes et qui n'est plus perçue au travers du prisme de l'expressionnisme, mais sous un angle incroyablement réaliste ...

Walter Ruttmann (1887-1941) est un peintre qui a connu Paul Klee à Munich et qui se tourne vers un cinéma expérimental, "abstrait" ("Absoluter Film") dans une Allemagne où fleurissent nombre de studios indépendants et une créativité alors peu répandue en Europe : Oskar Fischinger (1900-1967), Karl Freund (1890-1969),  Carl Mayer (1894-1944), Robert Wiene (1873-1938), Walter Röhrig (1892-1945).. Si Ruttmann réalise des oeuvres singulières comme "Melodie der Welt" (1929), "Wochenende" (1930), c'est avec "Berlin: Die Sinfonie der Großstadt" qu'il connaît une immense notoriété, avant de sombrer dans la propagande nazie...


"Menschen am Sonntag"

Film muet allemand réalisé en 1929 par Robert Siodmak (1900-1973) et sorti en 1930, "Les Hommes le dimanche" se veut documentaire et histoire réaliste filmée de cinq personnages allant et venant dans le Berlin des années vingt, utilisant toutes les techniques possibles de l'époque, panoramique, transition, effets spéciaux, premiers plans, premiers jeux cinématographiques auxquels participent Billy Wilder (1906-2002) et Fred Zinnemann (19071997) : tous les trois devront s'exiler avec la montée du nazisme et deviendront les grands réalisateurs américains que nous connaissons...


Leo Perutz (1882-1957)
Leo Perutz écrit des romans énigmatique et fantastique qui mettent en scène une fatalité qui se vérifie à mesure que ses protagonistes héros en prennent conscience et prétendent la déjouer : ne reste en fin de compte qu'un obscur sentiment de culpabilité qui s'est malgré tout imposé...
L'oeuvre de ce tchèque de langue allemande est une remarquable combinaison d'étrange, de fantastique et d'intrigue policière, généralement insérée dans un contexte historique. Fils d'industriel, il quitte Prague, sa ville natale, à dix-sept ans pour s'installer à Vienne. Après ses études, il est actuaire dans une compagnie d'assurance.  Passionné de mathématiques, il met au point une formule algébrique qui porte son nom et rédige un traité de bridge basé sur le calcul des probabilités. Grièvement blessé pendant la Première Guerre, il écrit son premier roman en convalescence, "Die dritte Kugel" (1915). Devant le succès, il abandonne les assurances et se consacre entièrement à son oeuvre, qu'il édifie lentement.En 1938, suite à l’annexion de l’Autriche et à l’interdiction de "La Neige de saint Pierre" par les nazis, il s’exile à Tel-Aviv où il n’écrira plus jusqu’en 1953, date à laquelle il publie son dernier roman, "la Nuit sous le pont de pierre". Leo Perutz meurt en 1957 en Autriche, près de Salzbourg.

Parmi ses oeuvres: "La troisième balle" (1915, Die dritte Kugel), "Le miracle du manguier" (1916, Das Mangobaumwunder), "Le tour du cadran" ( 1918, Zwischen neun and neun), "Le maître du jugement dernier" (1923, Der Meister des Jüngsten Tages), "Où roules-tu, petite pomme ?" (1928, Wohin rollst du, Äpfelchen… )

 

"La Nuit sous le pont de pierre" (Nachts unter der steinernen Brücke, 1953)
«La belle Esther, l’épouse de Mordechai Meisl, s’éveilla dans sa maison de la place des Trois-Fontaines. La lumière du soleil matinal tombait sur son visage et donnait à ses cheveux des reflets rougeâtres… C’était un rêve ! murmura-t-elle. Et nuit après nuit, c’est toujours le même ! Quel beau rêve ! Mais, loué soit le Créateur, ce n’est qu’un rêve. »  Roman des amours irréelles, roman d’une ville disparue, roman d’une société enchanteresse : dans La Nuit sous le pont de pierre, Leo Perutz ressuscite, avec une maestria digne des kabbalistes qu’il met en scène, la Prague du 17e siècle. Quatorze tableaux pour peindre les amours merveilleuses de la belle Esther et de l’Empereur, et pour magnifier un monde extravagant, empli de bouffons, d’astrologues, d’alchimistes et de courtisans fébriles, où s’entrelacent les passions. (Livre de Poche)

 

"Le Judas de Léonard" (Der Judas des Leonardo, 1959)
"Milan, 1498. Léonard de Vinci, invité à la cour de Ludovic le More, travaille à sa célèbre Cène. Il cherche en vain un modèle pour la figure de son « Judas ». Il a beau hanter les bas-fonds de la grande cité lombarde, passer en revue toutes les canailles du lieu, les vices qu’il découvre sont à l’évidence de ceux que Jésus aurait pardonnés. Or Jésus n’a pas pardonné à Judas…  On rencontrera, au fil d’une pérégrination riche en surprises, un duc peu soucieux de son statut souverain ; un prêteur sur gages prompt à se vendre pour quelques sequins, mais dont la fille offre son corps et son âme contre un sourire ; un poète mauvais garçon, sorte de Villon amnésique, évoquant des terres possédées jadis « il ne sait où » ; un marchand allemand enfin, honnête et droit, mais qui trahira par crainte d’aimer… et dont Léonard fera son modèle.  On goûtera surtout, par-delà les mirages d’une imagination enfiévrée, la beauté musicale qui fait toute la magie des romans de Perutz : ces conversations qui se croisent en contrepoint vertigineux, l’allégresse du ton que contredit cruellement un discours désabusé, le rythme inattendu des épisodes, qui trahit un surprenant désordre des valeurs. Mais l’imprévisibilité, laquelle donne tout son prix à la musique comme à l’art du roman, n’est-elle pas la clé ironique de l’humaine existence ?" (10-18)

 

"La neige de saint Pierre" (St Petri Schnee, 1951)
"Le 2 mars 1932, Georg Friedrich Amberg, jeune médecin récemment engagé par le baron von Malchin pour soigner les paysans de son village de Morwede, émerge d'un long coma dans un hôpital d'Osnabrück en Westphalie. A peine les terribles événements des cinq dernières semaines lui sont-ils revenus en mémoire qu'il s'enquiert, auprès de l'infirmière et du médecin-chef, du baron, de Bibiche, sa bien-aimée menacée de mort, de la révolte, mais on lui rétorque qu'il divague, qu'il a tout simplement été renversé par une voiture. Or Georg reconnaît parmi les infirmiers les protagonistes du drame qu'il a vécu à Morwede... Cauchemar? Délire? Conspiration? Etayés par la structure policière  du récit, les thèmes chers à Perutz ne tardent pas à apparaître: manipulation de l'Histoire, précarité de la frontière entre raison et folie, aveuglement de l'homme qui cherche à faire et à comprendre sa propre histoire. Fable trop transparente en pleine ascension du nazisme, la Neige de saint Pierre, oeuvre d'un écrivain juif, fut interdite peu après sa sortie en 1933." (Editions Fayard)

 

"..Lorsque la nuit me libéra, j'étais une chose sans nom, une créature impersonnelle qui ne connaissait pas les concepts de "passé" et d' "avenir". Plusieurs heures durant, mais peut-être aussi seulement l'espace d'une fraction de seconde, je restai allongé, dans une sorte de torpeur à laquelle succéda un état que je ne saurais plus décrire à l'heure qu'il est. Si je disais qu'il s'agissait d'un état de conscience vague, imprécis, allié à un sentiment d'indétermination totale, je n'exprimerais que de façon imparfaite ce que cet état avait de particulier et de singulier. Il serait aisé de dire que je flottais dans le vide. Mais ces mots n'ont aucune signification. J'avais simplement le sentiment que quelque chose existait, mais je ne savais pas que j'étais moi-même ce quelque chose..."

 


Gustav Wunderwald (1882-1945), "Straße in Üskyp (Mazedonien)"(1917), "Fabrik von Loewe & Co. (Moabit), (1926), "An der Landsberger Straße" (1926), "Brücke über die Ackerstraße" (1927), "An der Travemünder Straße" (1927) - Après la défaite de l'Allemagne en 1918, Gustav Wunderwald retourne à Berlin, où il cherche à s'établir en tant qu'artiste indépendant, utilisant son appartement de Charlottenburg comme atelier. Huit ans plus tard, en 1926, "parfois, je reviens en titubant, comme ivre, de mes pérégrinations à travers Berlin ; il y a tant d'impressions que je ne sais plus où donner de la tête", écrit -il. Bien des artistes vont errer dans Berlin à la fin des années 1920, Siegfried Kracauer, Franz Hessel et Joseph Roth, guettant dans le rythme incessant des changements de la ville des sujets pouvant être relatés dans les feuilletons des journaux, Walter Benjamin a également ressenti avec acuité ses modifications incessantes portées à ses paysages urbains....